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Cahier rationaliste n°652

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Janvier-février 2018 – n° 652

Éditorial
• Sécurité et liberté / Alain Billecoq
Actualités
• Non, la violence monothéiste n’est pas qu’une violence politique / Jean-Pierre Castel
• De la fusion froide à la mémoire de l’eau / Elie Volf et Jean-Jacques Aulas
• De l’ignorance à la manipulation L’utilisation du langage en politique / Gérard Fussman
Radio
• L’homme augmenté avec Emmanuelle Huisman-Perrin et Jean-Michel Besnier
• Sacrées questions avec Emmanuelle Huisman-Perrin et Faouzia Charfi
Figure
• Quelle actualité pour Don Quichotte ? / Valérie Soria
Lectures
• Les sensibilités religieuses blessées de Jeanne Favret-Saada / Alain Billecoq
• Un peu de science ça ne peut pas faire de mal de Jacques Treiner / Evariste Sanchez-Palencia
• Livres, revues et plaquettes reçus en hommage des auteurs ou des éditeurs

Éditorial
Par Alain Billecoq

Sécurité et liberté

La question des rapports entre la sécurité et la liberté se pose de manière aiguë et constante à nous qui vivons en société dans un État structuré par des institutions à vocation pérenne.

Le présent débat est d’autant plus vif qu’il fait suite à des assassinats, des massacres, des attentats en Angleterre, en Espagne, en France, en Belgique, en Allemagne, aux USA pour parler des pays occidentaux ; mais aussi, et peut-être surtout, par leur ampleur et le nombre des victimes, dans d’autres parties du monde, au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. En France, pour ne s’en tenir qu’à elle, tout tourne autour du recours à l’état d’urgence. Deux thèses s’opposent non seulement parmi les citoyens mais aussi au sein même des gouvernements : il n’est pas rare d’apprendre que les ministères de l’Intérieur et de la Justice s’affrontent à ce propos. Pour les uns, il faut renforcer l’appareil répressif afin de sauvegarder la sécurité des gens et la souveraineté de l’État, pour les autres il est nécessaire de préserver la liberté individuelle qui est le fondement de la légitimité de la République. Débat d’opinions sans fin entre les supposés partisans du « tout sécuritaire » et les supposés « laxistes » puisque des arguments aussi recevables les uns que les autres se renvoient comme une balle de ping-pong.

Il n’est pas inutile de rappeler que dès la naissance de l’État moderne les penseurs ont été confrontés à ce problème et qu’ils ont montré que l’absence de conflit interne – ce qu’ils appellent la « guerre » – ne signifie pas ipso facto la paix. Car la tranquillité sociale peut très bien être, selon Spinoza par exemple, le résultat de la confiscation des libertés individuelles de pensée et de dire ce que l’on pense ; situation où l’individu n’est guère plus qu’un esclave ou un animal tandis que la paix véritable est celle d’une société où sécurité et liberté sont articulées de telle façon qu’elles permettent l’expression de l’humanité de l’homme et de la collectivité humaine. Il s’agissait donc, pour le 17e siècle, de trouver les moyens institutionnels qui garantissent à chacun le respect de ce qui est foncièrement ancré en lui- même, à savoir les désirs de sécurité et de liberté d’une part, et à l’État sa continuité et sa permanence d’autre part.

Or – nous devons le reconnaître – en ce début du 21e siècle, nous en sommes restés à peu près au même point. Nous nous interrogeons toujours sur cette (im)possible articulation. À cet égard, la juriste Mireille Delmas- Marty, observatrice de l’histoire récente, dénonce ce que l’on appelle la « dérive sécuritaire » qui remonte à la fameuse Loi Peyrefitte « Sécurité et Liberté » du début des années 80. Les choses se sont depuis durcies avec la mise en place d’un Conseil de défense et de sécurité nationale en 2009 à l’image du Patriot Act américain promulgué à la suite des attentats de 2001. Ce Conseil est composé, outre le Premier Ministre, des ministres de l’Intérieur et de la Défense. Y est ajouté celui des Affaires étrangères alors que – fait significatif – le Garde des Sceaux qui était présent dans le précédent Conseil de sécurité intérieure se trouve écarté. Plus récemment encore, nous observons la tendance à la quasi confusion entre le droit d’exception et le droit commun et à la prolifération de mesures de surveillance subséquentes, observées tant au niveau national que local.

Il y a toujours une valse-hésitation des esprits au gré des événements qui font, par exemple, que la fin, en novembre dernier, de l’état d’urgence instauré en 2017 pourrait être remise en cause en raison des attentats de Trèbes et Carcassonne.

Au bout du compte, il serait peut-être urgent (changeons d’urgence), ainsi que le préconise Mireille Delmas-Marty, de redonner sens et chair à la notion de « sûreté » qui compose avec la liberté la colonne vertébrale de la Déclaration de 1789. Article 2 « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme, ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». Si les Constituants se sont gardés de mentionner la sécurité c’est justement parce que la sûreté a pour fonction de faire le lien entre la liberté et celle-là. La Déclaration de 1789 s’opposait ainsi à la fois à l’État pour limiter son arbitraire afin de protéger les individus et aux individus dont elle limite les libertés pour protéger les personnes et les biens, et l’État.

Il revient au citoyen de veiller au maintien de cet équilibre précaire.

 

n°690-691

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