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Cahier rationaliste n°655

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Juillet-août 2018 – n° 655

Éditorial
• Sur l’urgence de raviver la flamme à l’Union rationaliste / Yves Bréchet
Actualités
• Homme augmenté et citoyen abusé / Jean-Philippe Catonné
Radio
• Qui a peur de la théorie queer ? avec Emmanuelle Huisman-Perrin et Bruno Perreau
Lectures
• Spinoza ou L’« athée vertueux » d’Alain Billecoq / Jean Devos
• Les grandes épopées qui ont fait la science Ouvrage collectif coordonné par Fabiennne Chauvière / Michel Henry
• JAMAIS SEUL Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations de Marc-André Selosse / Roland Borghi
• Émile Borel, Une carrière intellectuelle sous la IIIe République de Michel Pinault / Hélène Langevin
• Livres, revues et plaquettes reçus en hommage des auteurs ou des éditeurs
Sections locales
• L’Union rationaliste à Ivry en Fête / Françoise Perrot, Claude Stéphan, Michel Verdaguer
Annonces
• Colloque : La science dans l’enseignement : quelle formation pour les professeurs ?
• Prix 2018 de l’Union rationaliste

Éditorial
Par Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences, président de l’Union rationaliste

Sur l’urgence de raviver la flamme à l’Union rationaliste

Les valeurs de l’Union rationaliste, la rationalité, la démarche scientifique comme illustration emblématique de cette rationalité, et la laïcité, sont des valeurs que nous avons trop tendance à considérer comme « allant de soi ». Et chaque jour nous voyons qu’il n’en est rien.

Ces valeurs sont menacées par les erreurs manifestes qui sont propagées au mépris de concepts scientifiques de base. Ces erreurs sont portées avec un aplomb digne des « tontons flingueurs »(1) par une floraison « d’experts indépendants » qui sont, de fait, le plus souvent des « experts incompétents ».

Elles sont menacées par les postures relativistes concernant les sciences, qui sapent le fondement même de la démarche scientifique : son universalité et la capacité de partager un raisonnement.

Elles sont menacées par les résurgences des croyances religieuses qui, au-delà du respect auquel elles ont droit, revendiquent trop souvent une reconnaissance qui n’est pas dans les principes de l’État républicain.

À la racine des postures relativistes en science se trouve la conception implicite que la science n’est qu’un mode de connaissance comme un autre, une façon d’appréhender le monde qui est une manière parmi d’autres, l’astronomie n’étant pas plus ou moins « vraie » que l’astrologie. Par un singulier paralogisme, on égrène les fantaisies des grands scientifiques, un Newton alchimiste, un Edison tourneur de tables, un Flammarion spirite, un Einstein mauvais père et mauvais mari, un Von Neumann ultraconservateur, pour expliquer que s’ils se trompaient sur ces domaines, il n’y avait pas de raison de leur accorder crédit sur les questions de sciences… J’appelle cela un paralogisme car c’est prendre l’énoncé scientifique comme une conclusion qui tire sa valeur de celui qui l’énonce, et non comme une démarche qui relève de la rationalité qui est le bien de tous. C’est la confusion entre la plaidoirie et la démonstration, entre le témoignage qui rend le témoin unique, et la démarche scientifique qui rend la procédure vérifiable ou falsifiable, mais qui la met dans les mains de tous ceux qui savent, et qui veulent, raisonner. L’analyse des convictions catholiques et conservatrices de Pasteur (qui disait « laisser son catholicisme avec son chapeau à l’entrée de son laboratoire ») ne nous dit rien sur la valeur des extraordinaires expériences des ballons à col de cygne sur la génération spontanée… Félix Archimède Pouchet, le contradicteur de Pasteur, avait toutes les vertus de progressisme et de laïcité qu’on pouvait souhaiter, ses expériences n’en étaient pas moins entachées d’erreur et ses conclusions fausses.

Devant cette triple montée des menaces, il faut bien reconnaître que l’Union rationaliste est en constat d’échec. D’une part le « public naturel » de notre association, les scientifiques, les enseignants, les ingénieurs, s’est évaporé progressivement, et a vieilli sans se renouveler. D’autre part, malgré les évidences martelées sur l’homéopathie, sur l’astrologie, sur l’importance de la vaccination, il y a persistance dans le grand public d’énoncés qu’on croit démontrés faux. Le constat d’échec est douloureux, mais ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on soigne la maladie.

Il faut rénover l’Union rationaliste, et la redynamiser précisément parce que ses valeurs sont essentielles à la République.

Quels sont les moyens dont nous disposons, les leviers d’actions concrètes ?

Les publications de l’Union rationaliste tout d’abord. Une réflexion a été menée au sein du Conseil d’administration, à la suite du rapport rendu par Michèle Leduc. Elle conduit à mieux préciser les positionnements respectifs de la revue « Raison présente », des « Cahiers rationalistes », et de la « Lettre rationaliste », la première étant principalement thématique avec des articles sur commande, la seconde formée d’articles spontanés sur des sujets libres, et la troisième en guise de bulletin de liaison sur l’actualité de l’Union. Il nous faut aussi réfléchir à la numérisation de nos moyens d’information, et les bonnes volontés pour contribuer au développement du site web sont bienvenues.

La visibilité de l’Union rationaliste passe aussi par ses colloques, qui doivent porter sur des thématiques essentielles à nos missions. Ces colloques sont préparés par des équipes volontaires, avec un suivi régulier du bureau et du Conseil d’administration. Cette année, le thème sera La science et l’enseignement : quelle formation pour les professeurs ? C’est la parole de l’Union rationaliste qui est portée dans ces colloques, elle doit être ferme et claire. Il en va de même de l’émission de radio qui est un de nos moyens d’expression les plus efficaces.

Cette visibilité ne doit pas être une frileuse revendication d’identité : il est essentiel que l’Union rationaliste, pour être efficace, s’associe sur des sujets bien définis, et avec une feuille de route claire, avec des « associations sœurs ». Sans dénier la spécificité de chacune, nous pourrons ainsi unir nos forces contre un ennemi multiforme, hydre dont chaque tête repousse dès que coupée. Là encore, chacun d’entre vous peut être la cheville ouvrière d’un rapprochement au niveau local, l’endroit où les choses se font concrètement.

Car c’est aussi une caractéristique de l’Union rationaliste qui doit toujours rester présente dans toutes les actions de rénovation que nous voudrons mener : quand on veut atteindre le grand public, la lutte pour la rationalité est efficace au niveau local, elle se construit sur une confiance entre les citoyens, et le rôle des sections est essentiel. Nous pourrons mener la plus belle réflexion du monde, si elle n’a pas le relais des sections locales elle restera lettre morte. En parallèle aux actions « pilotées » que je viens de vous présenter, il nous faut réfléchir aux actions locales, au partage des bonnes pratiques, à la mutualisation des retombées de chaque action locale pour l’Union dans son ensemble.

Le relativisme est une maladie de gens paresseux et pressés, d’un monde qui ne veut plus prendre le temps de décortiquer un raisonnement, d’analyser les étapes qui construisent une vérité scientifique, d’attendre que ce travail soit reproduit, compris, digéré et comme absorbé par la communauté scientifique, et qu’enfin le public se l’approprie, non pas par un argument d’autorité mais parce qu’il l’a compris. Le relativisme n’est pas simplement un contresens sur la valeur de la science, c’est un contresens sur la nature même de la science, sur ce caractère de bien commun, de connaissance construite comme une série d’étapes vers une connaissance plus approfondie. Les groupes de travail « Culture scientifique » et « Science et société » sont essentiels à ces objectifs : ils sont actifs mais leur action vous est peut être trop peu connue. Nous nous proposons de mettre sur le site de l’Union des points d’avancement de leurs travaux, pour vous inciter à y contribuer.

Notre objectif est de ranimer un groupe de travail sur la laïcité, avec une feuille de route claire qui nous évite la tentation de la glose sur l’actualité. C’est dans la longue durée que le combat de l’Union rationaliste fait sens, et cela suppose une réflexion de fond.

Reste que demeure cette question lancinante : d’où vient la résilience de l’irrationalité malgré tous nos efforts pour la réduire ?

Pour prendre une métaphore de jardinage, je crois que l’Union rationaliste sait en général bien faire « la différence entre un rosier et un liseron ». Je pense qu’elle a, par la pratique, mis au point un certain nombre de remèdes pour combattre les faits irrationnels. C’est en quelque sorte « savoir arracher le liseron ». Mais, clairement, « le liseron repousse », l’irrationalité perdure inlassablement, elle prospère ; on a enlevé les feuilles mais on a laissé les racines. Il nous faut comprendre au fond ce qui nourrit cette croissance renouvelée du liseron, quel est le terreau dans lequel il prospère. Plutôt que de chercher des faiblesses dans les grandes histoires de la science -il semble que certains se délectent à l’exercice -, il nous semble plus efficace de rechercher honnêtement les causes de la vitalité des énoncés scientifiquement faux qui réussissent à se faire passer pour vraisemblables, de les démasquer, de les dénoncer et, enfin, de les combattre.
Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences, président de l’Union rationaliste

(1) « Les cons, ça ose tout, et c’est même à ça qu’on les reconnaît »…

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