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Cahier rationaliste n°665

10,00 

Mars-avril 2020
Éditorial
• Rationalité et responsabilité en temps de crise sanitaire / Michèle Leduc et Antoine Triller
• Le virus, la science et les religieux / Gérard Fussman
Hommage
• Hommage à Jean-Claude Pecker / Michel Henry
• Disparition de Jean-Claude Pecker, grand scientifique rationaliste et humaniste / Michèle Leduc
• Le métier d’astronome / Jean-Claude Pecker – Présentation de l’article par Michel Henry
Actualités
• Le monde d’après / Jean-Pierre Foirry
Dossier
• Un groupe de travail de l’Union rationaliste : Transition écologique et rationalité / Jacques Haïssinski
• L’hydrogène : un matériau d’avenir pour stocker ou transporter de l’énergie ? / Roland Borghi
• Les énergies et les objectifs de limitation du réchauffement climatique, de sauvegarde des ressources et de réduction de la pollution / Hélène Langevin-Joliot
Radio
• Une histoire populaire de la France avec Emmanuelle Huisman-Perrin et Gérard Noiriel
• Menaces sur le Palais de la découverte avec Emmanuelle Huisman-Perrin et Étienne Guyon
Lectures
• Philosophie de la post-vérité d’Alain Cambier, lu par Alain Billecoq
• Le Triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie d’Emmanuel Saëz, lu par Claude Alphandéry
Section locale
• Union rationaliste Métropole Nord Les 10 ans de l’UR-MN
Tribune
• Jean-Paul Jouary, philosophe, rejoint le comité de lecture des Cahiers Rationalistes / Alain Billecoq

Éditorial
Par Michèle Leduc et Antoine Triller

Rationalité et responsabilité en temps de crise sanitaire

La crise sanitaire que nous vivons suscite des débats qui ébranlent notre vision de l’humanité et de l’organisation de la société. Par son caractère de pandémie mondiale et sa biologie particulière, elle pose à l’humanité des questions inédites qui ébranlent la raison et les certitudes communes. À ce titre, le tripode standard « Science-Médecine-Politique » est interpellé de manière vigoureuse. Toute la société est en état de sidération, les chiffres s’affolent, les discussions prolifèrent sur la nature du virus, les algorithmes, les traitements, les vaccins futurs, sans oublier les impacts économiques et sociétaux. Chacun se trouve pris dans le réseau intriqué des échanges suscités par une situation incertaine et alarmante.

En temps de crise, les scientifiques consultés, qui d’ordinaire travaillent sur le temps long, doivent donner des réponses rapides ayant des impacts potentiels significatifs sur les politiques de santé et avec des conséquences économiques importantes. Leur grille de lecture doit tenir compte des incertitudes dans un paysage complexe aux très nombreux paramètres dont certains sont mal connus. Si l’accessibilité à une vérité totale est impossible, il leur revient de rendre compte avec humilité des faits têtus établis par une méthode scientifique rationnelle et de les rendre accessibles sans déformation. L’urgence de la crise sanitaire autorise-t-elle à faire l’impasse de la rigueur ? La médecine a longtemps fait passer les soins empiriques avant la recherche, mais aujourd’hui elle est devenue plus scientifique et la rigueur impose des essais randomisés et des statistiques fiables. En tout état de cause, il y a, même dans les situations exceptionnelles, des standards internationaux d’intégrité scientifique à respecter. Ceux-ci ne peuvent faire débat, y compris sur le terrain particulier des sciences biologiques et médicales : fiabilité des méthodes utilisées, validation par les pairs des résultats publiés, absence de conflits d’intérêt.

La communication des résultats scientifiques implique honnêteté et transparence. Elle doit aussi être claire et bien ciblée, n’occultant pas les marges d’incertitude. Toutefois cela ne garantit pas qu’elle soit comprise et admise par l’ensemble de la population. De fait, les biais cognitifs irrationnels sont nombreux chez nous tous : on méconnaît les exemples étrangers, on se réfère à des événements connus pourtant bien différents, la peur fait surestimer les risques à faible probabilité, on comprend mal la signification d’une croissance exponentielle, la prise de conscience des vrais risques ne s’opère que par palier et avec retard, etc. De plus, l’impatience fait sur-réagir. Des vérités alternatives irrationnelles sont opposées aux faits scientifiques, parfois mises sur le même plan par certains médias irresponsables, pour lesquels il ne faut avoir aucune indulgence.

C’est ainsi que des opinions qui ne sont que des fake-news inspirées de théories inventées, complotistes ou non, finissent par s’imposer dans l’opinion quand elles atteignent une masse critique permettant leur auto-entretien, quand bien même elles se révèlent inutiles voire dangereuses. Comment les combattre avec la rationalité ? Il faut essayer de comprendre leur origine, être à l’écoute des citoyens -c’est le rôle des sciences humaines et sociales -, en particulier quand la simple réfutation par les faits ne suffit plus. Il faut saluer l’effort des conseils scientifiques, d’ailleurs pas toujours entendus en temps utile, auprès des politiques qui décident en tenant compte de beaucoup d’autres critères. Le rôle de vigilance et de prévoyance de la science et des citoyens est fondamental. La rationalité finira par s’imposer au cours de la présente crise sanitaire. Espérons aussi qu’elle aidera à mieux comprendre l’histoire que nous vivons et à construire, avec les jeunes générations, un modèle de société plus adapté pour faire face et résoudre si possible les autres crises, tout aussi graves à plus ou moins long terme sur lesquelles nous n’avons pas encore agi, comme le changement climatique, et aussi celles dont nous n’avons pas encore pris conscience.


Éditorial
Par Gérard Fussman

Le virus, la science et les religieux

Il est trop tôt pour tirer toutes les leçons de l’épidémie de coronavirus qui fait rage dans le monde entier car l’Afrique et l’Amérique du sud commencent seulement à être touchées. Lorsqu’elle sera terminée, on pourra, on devra, faire des comparaisons entre pays, entre régions parfois, et évaluer la qualité des divers systèmes de santé, c’est-à-dire des politiques économiques et sociales menées avant et pendant l’épidémie. Cela ne sera pas sans conséquences1 . Dans notre pays même, la polémique a déjà commencé. Pour l’instant elle porte surtout sur la communication gouvernementale. Celle-ci se trouvait devant une contradiction majeure : dire la vérité de peur de n’être plus crédible si on était démenti par les faits et ne pas faire naître une panique comme celles qui provoquèrent la ruée sur certains rayons de supermarchés ou le mini-exode des Parisiens. Quand s’y ajoute la volonté de dissimuler les erreurs passées et présentes (manque de masques, de respirateurs et de personnel de santé, par exemple), la tâche devient presque impossible. L’hommage ému et incontestablement sincère aux personnels de santé ne compense pas le fait d’avoir ignoré des années durant leurs avertissements sur la détresse du système hospitalier.

Il faut espérer qu’au-delà de ce que certains appellent la politique politicienne, le débat s’élargira aux questionnements que l’épidémie a fait resurgir sur nos choix de société : compatibilité entre mondialisation poussée et informatisée à l’extrême et maintien d’un minimum d’autosuffisance ; gestion de la société, de la santé et de l’éducation en particulier, à la façon d’une usine moderne, en flux continu (zéro stock), ou en tenant compte de la survenue possible d’évènements imprévisibles (par la Sécurité Sociale et l’épargne de précaution tant décriée par les tenants de la capitalisation boursière) ; nécessité de coopérations internationales fortes et résurgence brutale des nationalismes, parfois même des régionalismes ; préservation de ce qui reste de notre tissu industriel et choix des entreprises ou secteurs à sauver ; financement des énormes déficits budgétaires annoncés et répartition des sacrifices etc. S’y ajouteront la reprise et sans doute l’accentuation de la question migratoire et la remise en cause encore plus forte de notre mode de vie. Il y a là des choix de société qui doivent être rediscutés. La démocratie doit servir à cela.

Les conséquences de la crise sanitaire seront terribles, mais le rationalisme et la science ne s’en tirent pas si mal. Les astrologues et les recettes de bonne femme ont soudain disparu des grands moyens d’information. Même Facebook et Twitter leur font la chasse. Le déremboursement des médicaments homéopathiques ne suscite plus de critiques. Les diatribes contre les vaccins et l’État liberticide qui les rend obligatoires ne font plus recette. On n’entend qu’un cri : un vaccin ! un vaccin ! Pour la recherche de médicaments efficaces, les médias, pourtant avides de sensationnel et de polémique, ne convoquent plus les charlatans et guérisseurs autoproclamés : sauf dans certains réseaux sociaux et probablement dans le bouche-à-oreille, on ne fait confiance qu’à la science et à la recherche. Le 19 mars, le président Emmanuel Macron a même annoncé une augmentation du budget de la recherche publique de 5 milliards d’euros sur 10 ans. C’est trop peu, trop tard, et l’argent n’est pas encore versé, mais c’est un premier pas.

Pour savoir quel était le médicament miracle, les Français ont préféré se renseigner auprès des experts certifiés par l’Université, pas auprès des inventeurs intuitifs. Ils se sont certes trouvés confrontés à des déclarations aussi péremptoires que contradictoires qui les ont laissés perplexes d’autant que la politique et la recherche médiatique du sensationnel s’en sont mêlées. Pour qui connaît un peu la façon dont la science avance, avec ses contradictions et parfois ses anathèmes (voyez Galilée, voyez Pasteur, voyez Darwin, voyez les controverses sur le changement climatique), il n’y a là rien d’étonnant ni d’alarmant. Pour qui croit aveuglément en la science sans en connaître les mécanismes, il y a de quoi être désorienté, ce qui n’a pas empêché les gens de se ruer sur le paracétamol, pas sur les médailles saintes.

Car le plus étonnant pour qui a quelque souvenir ou connaissance des années 1900 et même 1950, c’est la réaction des autorités religieuses, chrétiennes, musulmanes, juives et, je suppose, bouddhistes. Pas de processions, pas de grands rassemblements pour implorer la clémence divine, pas d’imprécations contre les pécheurs responsables de tous nos maux. Dès le 15 mars, plus tôt que beaucoup de gouvernants occidentaux, le pape François a annoncé que toutes les cérémonies de la Semaine sainte se dérouleraient à huis clos, sans la présence physique des fidèles : pas de veillée pascale dans la basilique Saint-Pierre, pas de messe le jour de Pâques sur la place ni de bénédiction urbi et orbi devant la foule. La plupart des évêques catholiques ont pris la même décision. Le sanctuaire de Lourdes est fermé depuis le 17 mars. Les pasteurs protestants, en général, agissent de même.

Dès le 29 février l’Arabie saoudite a décidé de suspendre momentanément les entrées sur son territoire pour un des grands pèlerinages de l’Islam, l’Umrah. Le 13 mars, elle a annoncé en faire de même pour le grand pèlerinage de la Mecque, le Hajj. L’imam d’Al-Azhar, l’un des plus grands centres de théologie musulmane, a publié un texte (fatwa) demandant aux musulmans de ne pas se réunir dans les mosquées et de prier chez eux. Les dignitaires musulmans de presque tous les pays où l’islam est religion d’État en ont fait de même. À Jérusalem, les lieux saints de toutes les religions sont interdits d’accès, avec l’accord de leurs responsables. Partout la police fait respecter ces obligations et parfois même arrête les prêtres et les fidèles qui les refusent. Une telle attitude, jadis, aurait causé des émeutes et des excommunications majeures. Les hiérarchies religieuses, partout, désormais, s’inclinent devant les données de la science et reconnaissent que la prière ne suffit pas à arrêter la diffusion du virus. Belle revanche pour Galilée.

Il y a certes des exceptions. Les évêques polonais insistent pour que les fidèles suivent la messe dans les églises car « les églises servent, entre autres, à traiter les maladies spirituelles, il est donc inimaginable que nous ne priions pas dans nos églises ». Des pasteurs évangéliques, aux USA, en Afrique du sud, ailleurs aussi je suppose, essaient de continuer à rassembler en un même lieu des centaines de croyants exaltés, à la façon des journées de prière de la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse qui ont contribué à la diffusion du virus dans le Grand Est (mais c’était à la mi-février). Dans le monde musulman, l’accès aux sanctuaires et tombeaux de saints n’est pas entièrement interdit aux nationaux. Des juifs ultra-orthodoxes, à Jérusalem, ignorent les consignes du gouvernement. On ne change pas les mentalités d’un coup de baguette magique. Il est réconfortant de voir que les médias, en tout cas ceux de notre pays, attribuent ces attitudes à la bêtise et à l’ignorance.

Mais ne croyons pas que seuls les illettrés se conduisent ainsi. Les dirigeants occidentaux ont mis du temps à comprendre ce qu’est un virus et la façon dont une épidémie peut se propager. MM. Bolsonaro et Lukashenko, le 3 avril, ne l’avaient pas encore compris. Le manque de culture scientifique et historique de nos dirigeants et de la plupart des journalistes est effrayant. Espérons que la crise passée, l’urgence estompée, ils voudront bien passer quelques heures à se renseigner par eux-mêmes. Avec internet c’est désormais relativement facile. Le pape l’a sans doute fait.

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