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Cahier rationaliste n°680

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SOMMAIRE

Septembre – octobre 2022 – n° 680

Éditorial
• Salman Rushdie, l’islamophobie et la laïcité / Alain Billecoq

Hommage à Gérard Fussman
• Gérard Fussman 1940-2022 / Guy Bruit
• Gérard Fussman / Hélène Langevin-Joliot
• Gérard Fussman / Françoise Olivier-Utard
• Index bibliographique

Actualités
• « Cancel culture » ou barbarie ? / Alain Cambier
• L’affaire Dreyfus : raison et déraison. De l’usage du calcul des probabilités / Marc Thierry

Carte blanche
• Science et politique : Covid-19, un cas d’école / Jean-Francois Delfraissy

Dossier / Transition écologique
• Planification écologique et rationalité / Jacques Haïssinski
• La condamnable lenteur de la transition écologique : qui en est responsable ? / Jacques Haïssinski

Radio
• Guerre et vulnérabilité alimentaire avec Emmanuelle Huisman-Perrin et Nicolas Bricas

Lectures
• Pasteur. L’homme et le savant d’Annick Perrot et Maxime Schwartz lu par Jean-Philippe Catonné
• Reçus en hommage des auteurs ou des éditeurs

Éditorial
Alain Billecoq

Salman Rushdie, l’islamophobie et la laïcité

 

Dans son livre Joseph Anton, publié en 2012, Salman Rushdie écrit :
« Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : l’islamophobie ». Ne pas voir et ne pas chercher à voir. Autrement dit : Circulez, y’a rien à voir ! Puisqu’il n’y a rien. Dès lors un regard critique sur ce rien qui n’est rien, laudatif ou péjoratif, est prohibé. Datant du début du xxe siècle, le mot islamophobie est réinventé par les mollahs intégristes pour couper court à toute discussion – et au besoin couper la tête –, un peu comme à l’époque de l’« Aristoteles dixit » des scolastiques. Bouche cousue et le demeurer. Veut-on un exemple de manifestation de cette politique de la cécité et du silence qui ressemble fort à une approbation par abstention : souvenons-nous que la condamnation à mort en 1989 de l’auteur des Versets sataniques n’avait suscité aucun commentaire de la part des hautes autorités des deux autres religions du Livre qui, pareillement, sont restées étrangement discrètes après l’attentat récent qui a failli lui coûter la vie. En France, seul le recteur de la Grande Mosquée de Paris, pourtant réputé modéré, a commis un tweet fustigeant les mécréants, qu’il s’est empressé d’effacer.
Voir ou ne pas voir ? Telle est la question.

Islamophobie signifie étymologiquement crainte ou haine de l’islam. Or c’est sur la polysémie du terme que joue la rhétorique des docteurs de la loi islamique.
L’islamophobie est, certes, incontestable de la part d’individus qui se rêvent en nouveaux Charles Martel boutant le musulman hors des frontières de l’Occident mais l’accusation est ridicule et sans fondement lorsqu’il s’agit de l’œuvre littéraire d’un écrivain apostat nullement hostile à sa religion d’origine. L’ambiguïté provient de ce que ces docteurs de la foi sont aussi des hommes de pouvoir temporel pour qui la distinction entre islam et islamisme politique, essentielle à nos yeux, n’a pas lieu d’être. L’islam, mot qui veut dire soumission, est une religion fondée sur la lecture du Coran révélé (ou plutôt récité) au prophète Mahomet. À l’instar de toute religion, en particulier ses religions sœurs (ennemies, c’est selon les circonstances), il se veut guide des âmes et des mœurs et, parce qu’il détient la Vérité, légifère en tout domaine, scientifique ou non, puisque la loi divine surpasse et transcende les lois humaines. Quant à l’islamisme, il est sa version idéologico-politique qui, comme telle, a vocation à prendre et à exercer le pouvoir. En cela, il est effectivement à craindre et doit être combattu si l’on n’accepte pas de vivre dans une cité soumise aux diktats de théologiens qui se déclarent seuls compétents en matière de lecture de textes sacrés.

L’islamisme exerce un chantage sur les consciences, particulièrement en France. En premier lieu, sur celles de musulmans eux-mêmes qui sont de sincères républicains et démocrates mais qui, par solidarité confessionnelle, se sentent obligés de se taire par crainte d’encourir l’opprobre visant les renégats voire, pour d’autres, que la familiarité avec des usages traditionnels peut conduire à ne pas identifier comme telles les manœuvres de l’entrisme islamiste. Ensuite, sur celles des hommes de bonne volonté qui, soucieux de ne pas froisser les sensibilités musulmanes, se refusent à voir les provocations islamistes alors qu’ils dénoncent de concert les tentatives réelles d’atteinte à la laïcité de la part d’intégristes des autres religions ou même des entorses à son endroit de la part des pouvoirs publics. Ils avalisent, de cette façon, pour la plus grande satisfaction des islamistes, les égalités : islam = islamisme, et musulman = islamiste. Cependant, le chantage a porté ses fruits, vraisemblablement au-delà de toute espérance, lorsque certains doctes se sont ingéniés à montrer que les croyances sont muselées par les expressions libres de penseurs, artistes, créateurs, écrivains, bref possiblement de tout un chacun. Ainsi certainement de Rushdie aux États-Unis, mais aussi, chez nous des caricaturistes et journalistes de Charlie Hebdo, et encore de Samuel Paty qui n’accomplissait que son métier d’enseignant. Aussi n’est-il pas surprenant qu’on ait peu entendu à la suite du 12 août ces néanmoins volubiles parleurs qui suggéraient à demi-mot que les victimes de ces attentats l’avaient bien cherché et rejoignaient dans le déni les autorités religieuses mentionnées plus haut.
Bien souvent, ce qu’on appelle pudiquement « retenue » n’est que l’effet de pressions exercées sur l’esprit. C’est pourquoi, comme le soulignait Régis Debray dans Marianne du 29 janvier 2016 : « Le chantage à l’islamophobie est insupportable […]. La critique d’une religion ne se confond pas avec l’injure faite aux fidèles de cette religion, et c’est au juge et à lui seul de faire le partage, si litige il y a ». Dans un État de droit, il revient au juge, s’appuyant sur la loi, de décider ce qu’il en est.

L’État de droit et démocratique dans lequel nous vivons a peut-être peu d’idées mais il a garanti dès 1789 les libertés de conscience, de libre pensée et de dire ce que l’on pense, qu’il a renforcées institutionnellement en inventant en 1905 la séparation des Églises et de l’État, puis en la gravant dans sa constitution. La laïcité n’est pas une opinion, elle est un principe irréfragable. Elle est l’aune non seulement des libertés individuelles, collectives, de la liberté des opinions, a fortiori de la liberté des religions et de leurs fidèles qui peuvent vivre leur foi et leur culte en toute quiétude, en toute liberté.
Les islamistes exècrent la liberté et la pensée et, sans aucun doute, la laïcité. Autrement dit, ils exècrent les hommes et, surtout parmi eux, les hommes de talent qui, comme Salman Rushdie, ont l’audace de choisir de voir et de créer.

n°688

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