Raison présente n° 223-224
22,00 €
Décembre 2022
SANTE PUBLIQUE ET DEMOCRATIE SANITAIRE
Sommaire
- Avant-propos
André Grimaldi – Fabienne Bock & Emmanuelle Huisman Perrin - La santé publique : une renaissance ?
Didier Fassin - « La Grande Sécu » : une réorientation substantielle du financement de la santé en France ?
Frédéric Pierru - Lutter contre les inégalités sociales de santé
Thierry Lang - Améliorer la prévention dans toutes ses dimensions
François Bourdillon - Santé au travail
William Dab & Sylvie Znaty - Quelle gouvernance pour les crises sanitaires d’origine animale ?
Frédéric Keck - One Health
Olivier Bouchaud - L’Organisation Mondiale de la Santé au cœur des profondes réformes qu’impose la pandémie de Covid-19
Michel Kazatchkine & Joanne Liu - Médecine clinique et médecine numérique
Claude Matuchansky - Santé communautaire : une alternative crédible
Didier Ménard - Démocratie et « contact tracking »
Renaud Piarroux - Le défi de la maladie chronique
André Grimaldi - Une expérience de patient expert en addictologie : d’une intuition clinique à la certification de patient expert
Ariane Pommery de Villeneuve - Rôle des associations de patients et usagers de la santé
Claude Rambaud - La crise de l’Hôpital Public : diagnostic pronostic et traitement
Anne Gervais - Reconstruire un secteur psychiatrique
Pierre Delion - Pour un service public de santé de l’enfant et de l’adolescent
Pierre Suesser & Paul Jacquin - Du Médiator à l’hydroxychloroquine, les cent visages des scandales du médicament
François Chast - Industrie pharmaceutique et santé publique
Jean-Paul Vernant - La prise en charge de la fin de vie : une mission de santé publique
Emmanuelle Huisman Perrin
Varia
- Hayek, fossoyeur de la social-démocratie
Damien Larrouqué
Trimestrielles (à consulter gratuitement sur www.cain.info)
- Sciences, Étymologie & sémantique, Théâtre, Cinéma, Atlas des arts vivants, Musique, À travers quelques livres, Notes de lecture
Disponible en version numérique sur Cairn.info : https://www.cairn.info/revue-raison-presente.htm
SANTÉ PUBLIQUE ET DÉMOCRATIE SANITAIRE
Avant-Propos
Fabienne Bock & Emmanuelle Huisman Perrin
À l’heure où le gouvernement organise un nouveau grand débat décentralisé sur notre système de santé, à la recherche de mesures dites « pragmatiques, sans tabou ni à priori » adaptées aux différents territoires, le comité de rédaction de Raison présente a souhaité publier un dossier consacré à la Santé publique. En 1973, le professeur Robert Debré, auteur de l’ordonnance de 1958 créant les Centres hospitalo-universitaires (CHU), regrettait de n’avoir fait que « la moitié du travail ». « Ce que j’ai fait avec la biologie, vous devrez le faire avec la Santé publique » disait-il. Mais notre système de santé semble prisonnier de son histoire. De 1945, nous avons hérité d’un système mixte, résultant d’un compromis historique : il est financé par la Sécurité sociale mais aussi par les assurances privées dites complémentaires, il est public pour l’hôpital et la plupart des centres de santé mais il est libéral pour l’essentiel de la médecine de ville dont les syndicats défendent le paiement à l’acte et la liberté d’installation. Ces syndicats se sont historiquement opposés à la construction d’un service public de la médecine de proximité en brandissant le spectre de la « fonctionnarisation ». La régulation de notre système de santé est également mixte, par l’État pour l’hôpital, par la Sécurité sociale pour la ville dans le cadre de négociations avec les syndicats des professionnels libéraux. D’où une construction en silos et des frais de gestion élevés nous plaçant en 2e position derrière les USA (alors que nous sommes, après le Ségur, en 16e position pour le salaire infirmier). La pandémie de la Covid-19 a agi comme une loupe montrant nos forces et nos faiblesses. Nos forces furent la gratuité des soins grâce à la Sécurité sociale et la qualité des professionnels (hospitaliers d’abord puis professionnels de première ligne : médecins généralistes, infirmièr(e)s et pharmacien(ne)s), sans oublier les professionnels assurant la logistique. La pandémie a aussi montré nos faiblesses : le défaut de coordination ville-hôpital, l’insuffisance du travail en équipe pluri-professionnelle en ville (malgré le développement des maisons et centres de santé et des communautés professionnelles de territoires de santé, les CPTS), le manque de valorisation des infirmièr(e)s et des aides-soignant(e)s, l’insuffisance de personnels dans les EHPAD, les inégalités sociales et territoriales de santé, les oppositions d’une partie importante de la population à la vaccination, la carence de démocratie sanitaire, la puissance des big pharma faisant passer leur profit avant l’intérêt général, la perte d’indépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine et de l’Inde pour la production des médicaments et des dispositifs médicaux de protection…
Nous avons historiquement construit un système de soins qui fut longtemps parmi les plus performants pour le traitement des maladies aiguës (bénignes en ville, graves ou nécessitant des gestes techniques complexes à l’hôpital, première et deuxième médecines). Mais nous sommes historiquement mauvais pour la prévention et pour la lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé faute d’avoir construit un véritable système de santé. Nous avons hérité de deux modèles politico-idéologiques : la médecine libérale, dont les principes remontent à la charte de 1927, et l’hôpital entreprise dont le concept a émergé dans les année 1980 parallèlement au New Public Management, cependant que le modèle de la psychiatrie de secteur créé après la Libération, assurant la continuité du suivi des patients sur un territoire, a été abandonné. Les deux modèles dominants globalement adaptés aux maladies aiguës et aux gestes techniques sont totalement inadaptés à l’évolution des besoins de santé : le traitement et la prévention des maladies chroniques (du diabète et de l’insuffisance cardiaque aux maladies mentales) et des épidémies infectieuses (du Sida à la Covid-19). Le traitement d’une maladie chronique est réalisé chaque jour par le patient qui doit acquérir une expertise et réussir à intégrer sa maladie (et/ou son handicap) à sa vie. Il s’agit donc d’une médecine holistique, biotechnologique, sociale, psychologique et culturelle. Une médecine de la personne, la « troisième médecine ». Cette médecine de la personne pose également la question de l’accompagnement de la fin de vie des personnes atteintes de maladies incurables évolutives. La santé publique, quatrième médecine, s’adresse, elle, aux populations pour prévenir les maladies et les handicaps grâce à la prévention, au dépistage, à la promotion de la santé, aux changements de comportements individuels et collectifs et à une politique de santé environnementale globale (qualifiée de « One Health »). La transition épidémiologique des maladies infectieuses vers les maladies chroniques non transmissibles s’accompagne désormais d’une rétro-transition avec le retour des épidémies infectieuses et l’émergence de nouveaux microbes nécessitant une coopération transdisciplinaire, notamment avec les spécialistes des zoonoses. Cette politique de santé environnementale dépasse le champ du ministère de la Santé pour concerner l’ensemble des politiques publiques, de la ville, du transport, du logement, de l’éducation, du travail, du sport, de l’agriculture, de l’alimentation et de la culture… La médecine des maladies chroniques, comme la santé publique de terrain, suppose un travail en équipe pluriprofessionnelle et la mise en œuvre d’une démocratie sanitaire de proximité grâce à la participation des patients eux-mêmes, dits « experts » ou « ressources », ainsi que de médiateurs communautaires de santé. La lutte contre les inégalités d’accès à la santé suppose le développement du « aller vers », c’est-à-dire aller vers les populations éloignées du système de soin. Le fait que le département du 93 soit à la fois le plus jeune de France et celui où le taux de mortalité due à la Covid fut le plus élevé, montre notre retard en matière de médecine communautaire (non communautariste). « Nous devrons prendre des décisions de rupture, je les assumerai » avait dit le président à l’acmé de la crise. Il s’agit maintenant de passer des paroles aux actes. Le pragmatisme est nécessaire mais à lui seul, il ne fera qu’ajouter quelques rustines supplémentaires sur un vieux pneu qui en est déjà recouvert. Si les mots ont encore un sens, c’est bien de Refondation dont notre système de santé a besoin. La réponse n’appartient pas qu’aux soignants. Ont contribué à ce dossier, outre des médecins de santé publique et des cliniciens, deux patientes expertes, un pharmacien, un sociologue, un anthropologue et une philosophe.
André Grimaldi
Professeur émérite CHU Pitié Salpêtrière
Les thèmes évoqués dans cette présentation sont déclinés dans le dossier de 20 articles dont la rédaction a été assurée en majorité par des praticiens expérimentés. Leur réflexion critique s’oriente vers de nouvelles propositions, visant à reconstruire une médecine et un système de santé plus justes et plus efficaces. Elle rencontre les recherches menées par des anthropologues, des sociologues et des philosophes dont les analyses viennent compléter celles des praticiens. De toutes ces contributions se dégage un thème fondamental, celui de la démocratie sanitaire.
Pour Raison Présente
Fabienne Bock & Emmanuelle Huisman Perrin