
Michèle Leduc
Responsable du site Web de l’Union rationaliste

10/04/2025
La liberté d’expression. Un moyen d’occulter la vérité ?
On assiste aux États-Unis à la disparition des contrôles de l’État sur les propos échangés par les réseaux sociaux : ainsi la suppression des règles encadrant les échanges sur Twitter X (Elon Musk) pour limiter les appels à la violence, ou la levée des modérations dont les IA étaient chargées (Mark Zuckerberg) et la suppression des fake checking. (Notons que l’État trumpiste s’autorise à l’inverse une censure inédite et d’une extrême violence dans les domaines de vigilance privilégiés de la gauche). La liberté d’expression est brandie comme un totem par les grands patrons des réseaux, et l’on est sidéré que ce soit au nom de la démocratie que cette « liberté » soit revendiquée. Citons les propos du vice-Président J D Vance à la conférence de Munich sur la sécurité le 14 févier 2025 : « La démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Soit vous défendez ce principe, soit non », après quoi il apporte un soutien au parti d’extrême droite allemande.
La France n’est pas à l’abri d’un semblable détournement des valeurs. Le président du Rassemblement national Jordan Bardella n’a pas manqué d’approuver les déclarations de J.D Vance à l’encontre de l’Europe. Il a même renchéri à son retour de Munich par l’affirmation que dans notre pays « le discours dominant n’est plus celui qui est majoritaire » et que la liberté d’expression est aujourd’hui en danger du fait du « militantisme de la gauche et de l’extrême gauche ». La droite rallie cette vision de l’extrême droite qui est aussi intégrée par le centre. De tels propos « libres » s’affranchissent des freins de la morale (on ne craint plus de les assortir d’injures, de menaces et d’invectives) et revendiquent le droit de tout dire – ce qui ne signifie pas dire n’importe quoi, car les discours sont orientés à sens unique vers les intérêts de ceux qui les prononcent en vue d’imposer une politique. On assiste alors à la dissolution progressive de la vérité. Des « faits alternatifs » s’apparentant souvent à des mensonges sont avancés avec autorité et sans confrontation à des arguments contradictoires. Leur martellement par ceux qui font entendre leur voix (politiques, journalistes, médias) finit par les faire prendre pour des évidences.
Des statistiques objectivement fausses sur l’immigration sont brandies pour justifier des projets de loi iniques contre les réfugiés. L’écologie passe à l’arrière plan des discours. Les agences de contrôle indépendantes perdent progressivement de leur autorité. Ainsi l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) reçoit des pressions inédites pour limiter ses recommandations sur l’usage des pesticides. Aucune mesure n’est prise pour contrôler et gérer les PFAS, ces composés organo-fluorés d’origine industrielle qui polluent dangereusement tout l’écosystème de la planète, en particulier l’eau que nous buvons. Les décrets pour enrayer les algues vertes, contraires aux intérêts des agro-industriels, ne sont pas appliqués quand des solutions possibles sont connues. La suppression des ZEF (zones à faible émission) destinées à faire baisser la pollution de l’air est votée à l’Assemblée par le RN et LR. Dans d’autres secteurs de la politique, il est envisagé de changer la catégorie des projets soumis à l’évaluation de la CNDP (Commission nationale du débat public), lui faisant perdre une partie de son influence et on assiste à de violentes attaques verbales mensongères contre des institutions républicaines, par exemple la magistrature, garante de l’État de droit.
On peut multiplier les exemples d’une parole publique où la vérité des faits est occultée sans complexe, au prétexte d’une prétendue liberté d’expression, invoquée seulement pour servir les intérêts de quelques uns. Il faut se battre avec les arguments de la raison pour une information réelle et non faussée, laissant place au débat contradictoire. Il est encore temps d’éviter à notre pays les bouleversements déjà en gestation à l’extrême droite, sur la lancée de ceux auxquels on assiste aujourd’hui Outre-Atlantique.
Michèle Leduc, pour le bureau de l’Union rationaliste