Georges Chapouthier
Neurobiologiste et philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS.
13/04/2014
En quatre minutes, des chercheuses et chercheurs nous font partager leur enthousiasme et leur détermination à s’aventurer dans l’inconnu, où la rigueur sert de lampe et la raison de boussole. Les Histoires courtes proposées ici sont autant de témoignages de la science en train de se faire et son consultables sur llx.fr . Les explorations les plus récentes dans les champs les plus variés sont ainsi contées. Quant aux photos qui accompagnent le texte, leur rôle est d’ouvrir la porte au rêve, indispensable ferment de l’intuition créatrice. L’Union rationaliste voit chaque jour confortée sa confiance dans les progrès sociétaux qu’apporte la recherche dans tous les domaines de la connaissance. Au fil des semaines, elle vous invite à découvrir ces contes…
LE JOUEUR
Les animaux rient jeunes, les humains rient vieux même si parfois jaune.
Neurobiologiste et philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS, Georges Chapouthier interroge sans relâche le monde animal. Car si l’homme reste jusqu’à la tombe un animal juvénile, donc joueur, donc susceptible d’apprendre, la plupart des autres espèces ne jouent que le temps de leur enfance, n’apprenant que le strict nécessaire à leur vie d’adulte, où l’on retrouve pourtant déjà les ébauches de ce que seront, pour le meilleur et pour le pire, notre esthétique et notre morale.
Tapuscrit
Georges Chapouthier – On a longtemps dit que le rire était le propre de l’homme. C’est absolument faux. Beaucoup d’animaux rient. Les singes rient comme nous ! Lorsqu’il y a quelque chose qui leur plaît bien, ils rigolent ! Quand on les chatouille, ils rigolent ! On peut même dire que les singes ont un certain sens de l’humour. J’ai vécu une année avec des chimpanzés, et l’un des chimpanzés avec qui j’étais ami, lorsqu’on les mettait en récréation avec nous, me menaçait. Et au milieu de l’année j’ai eu un mouvement de retrait, comme si j’avais peur. Il est parti en rigolant. Sa menace, c’était une blague. Les rats rient beaucoup, mais ils rient dans les ultra-sons, nous ne pouvons pas les entendre. Mais les ratons qui jouent entre eux rigolent énormément, et bien sûr si on les chatouille, ils rigolent abondamment.
Chez un animal, chez un animal évolué, disons, le jeu sert à forger le comportement des adultes. En revanche, dans la majorité des espèces, l’adulte ne joue plus ! Et à ce propos il faut rappeler que l’homme est ce qu’on appelle en sciences un néoténique, c’est-à-dire un juvénile. Nous avons un look de fœtus de singe, peu de poils, une grosse tête, de gros yeux, et notre cerveau extrêmement malléable explique nos performances aussi. Nous sommes des juvéniles, nous jouons tout le temps ! Regardez l’importance prise par les jeux, de hasard, olympiques, etc., etc.. Eh bien de la même manière, nous avons adopté comme animaux de compagnie deux animaux néoténiques, juvéniles, le chat et le chien. Ce sont des animaux qui jouent toute leur vie, et pas seulement quand ils sont jeunes, qui nous ressemblent, qui sont jeunes, si j’ose dire, comme nous. Trois des activités humaines parmi les plus importantes, c’est-à-dire l’activité artistique, la recherche scientifique et l’activité sexuelle comportent tous les trois une part de jeu considérable. Parce que nous sommes des hommes, nous sommes des joueurs. Alors avec des avantages et des inconvénients, on est très plastiques, on peut s’adapter à tout, c’est merveilleux, mais qui dit s’adapter à tout dit s’adapter aussi bien au mal qu’au bien ! Et l’espèce humaine est capable du meilleur comme du pire. Dans des proportions absolument hallucinantes ! Et donc ça vient de ce fait que notre cerveau est adaptable à tout. Et parce qu’on est adaptables à tout, et parce qu’on joue tout le temps, on a tendance à développer ou accentuer des traits qui n’auraient peut-être pas été aussi développés dans d’autres espèces. Je pense que, un chimpanzé peut pas devenir un bourreau, enfin il peut, un petit peu, hein, mais parce qu’il est canalisé par la troupe, etc., etc., tandis que nous, le sujet, quand il a plus, quand il a plus de contraintes sociales, il peut faire n’importe quoi, à la limite. En bien comme en mal.
L’homme s’est cru le seul détenteur de ce qu’on appelle la culture, c’est-à-dire la capacité de faire passer des traits de comportement d’un animal à un autre, d’un être à un autre, simplement par imitation, enseignement. C’est faux ! Ainsi on trouve des animaux qui manipulent des outils, qui ont des communications compliquées, qui ont des embryons de langage, etc., et on trouve même ce qu’on peut appeler des proto-morales ou des proto-esthétiques. Pour les oiseaux, ce sont souvent les couleurs du partenaire. L’animal va préférer la couleur rouge si son partenaire est rouge, et puis ensuite il préfèrera le rouge de façon générale, de façon abstraite. Donc y a un lien, en quelque sorte, entre un choix sexuel au départ qui devient un choix abstrait. De la même façon que chez l’homme, on le sait, dans nos tableaux ou dans nos sculptures, il y a très souvent des femmes nues qui suggèrent également que chez l’homme, les choix esthétiques ont une base dans la sexualité. Tous les animaux sociaux ont des formes de proto-morale. Un chien ne va pas, par exemple, manger son maître ! Donc le fait de vivre en société suppose un certain nombre de contraintes, qui sont à la base de la morale. Alors bien sûr l’homme va faire des morales beaucoup plus compliquées, mais les racines-mêmes de la morale humaine, on les trouve chez les animaux. Nous sommes scandalisés par la torture, mais la torture d’un enfant nous scandalise beaucoup plus que la torture d’un adulte. Ça, c’est une vieille règle darwinienne, qui veut que tout animal qui a des petits privilégie la protection de ses petits. Deuxième exemple d’origine biologique de notre morale, le tabou de l’inceste ! Nous serions des chats ou des souris, ça nous choquerait pas du tout qu’il y ait des incestes entre les générations. Nous sommes des singes ! Et chez tous les singes, y a un tabou de l’inceste, nous trouvons scandaleux moralement l’inceste parce que nous sommes des singes ! L’éthologie est en train de se développer, et on s’aperçoit que les animaux, qu’on avait en quelque sorte méprisés, sont beaucoup plus intelligents que ce qu’on croyait. On n’a pas posé les bonnes questions, on ne l’a pas assez étudié.
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