Philippe Zarka
Directeur de recherche au CNRS en astrophysique au LESIA (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique) de l’Observatoire de Paris
04/08/2018
En quatre minutes, des chercheuses et chercheurs nous font partager leur enthousiasme et leur détermination à s’aventurer dans l’inconnu, où la rigueur sert de lampe et la raison de boussole. Les Histoires courtes proposées ici sont autant de témoignages de la science en train de se faire et son consultables sur llx.fr . Les explorations les plus récentes dans les champs les plus variés sont ainsi contées. Quant aux photos qui accompagnent le texte, leur rôle est d’ouvrir la porte au rêve, indispensable ferment de l’intuition créatrice. L’Union rationaliste voit chaque jour confortée sa confiance dans les progrès sociétaux qu’apporte la recherche dans tous les domaines de la connaissance. Au fil des semaines, elle vous invite à découvrir ces contes…
RADIO PLANÈTES
Une clef des exoplanètes est dans les champs d’antennes.
Directeur de recherche au CNRS en astrophysique au LESIA (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique) de l’Observatoire de Paris, Philippe Zarka, outre ses responsabilités au sein de la mission Cassini-Huygens, plante avec constance des forêts d’antennes radio dans la forêt de pins de Nançay, au cœur de la Sologne, d’où il pense pouvoir détecter et étudier de nouvelles propriétés des exoplanètes – notamment leurs magnétosphères – en radio.
Tapuscrit
Philippe Zarka – La découverte des exoplanètes, simplement leur existence, leur orbite et puis une petite information sur leur masse, dans les années 90, ça a révolutionné l’étude de la dynamique, et en particulier de la formation du système solaire. Avant, on avait un seul système solaire, il fallait expliquer que les planètes telluriques se forment près de l’étoile, les planètes géantes plus loin. Et on n’y arrivait pas trop mal. Mais les premières exoplanètes qu’on a découvertes ont d’abord été des planètes très inattendues, alors il y en a eu autour d’un pulsar, et puis, surtout, il y a eu les Jupiter chauds, donc des grosses planètes qui orbitaient très près de leur étoile. Et ça a remis en cause les théories de formation et il a fallu par exemple inventer la migration planétaire. De la même façon, les magnétosphères de la Terre, Mercure, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, sont toutes très, très différentes pour ce qu’on en a vu avec les sondes Voyager, bien qu’elles soient fondées sur les même processus physiques, universels, et donc il est à peu près certain que la découverte de champs magnétiques et de magnétosphères d’exoplanètes, ça amènera une révolution comparable dans cette thématique. La magnétosphère, c’est la bulle, gigantesque, qui entoure une planète magnétisée, et qui à la fois la protège et puis est un accélérateur de particules chargées, et ces particules produisent les aurores et les émissions radio entre autres.
Alors, le problème, c’est que les exoplanètes sont beaucoup plus loin que Jupiter, et que le fond du ciel, qui est noir en optique, il est très, très brillant en radio, parce qu’il y a beaucoup d’électrons énergétiques qui se baladent dans le champ magnétique de la galaxie. Et donc, l’enjeu de détecter les exoplanètes, en radio, c’est vraiment comparable à ce qu’a donné leur détection en optique, leur détection en optique a révolutionné les théories de formation du système solaire. Leur détection en radio, on en attend la mesure du champ magnétique, de la rotation de ces planètes, de l’inclinaison de leur orbite, l’énergie électromagnétique échangée avec l’étoile, voire la présence de satellites. Accessoirement, un champ magnétique, ça pourrait être un facteur favorable à l’apparition de la vie, parce qu’une protection, en fait, de la surface planétaire et de son atmosphère.
Alors, quand on fait le calcul, on s’aperçoit qu’il faut une énorme surface collectrice d’antennes pour espérer détecter une émission radio d’exoplanète, et encore faut-il qu’elle soit nettement plus intense que celles de Jupiter avec les plus grands instruments dont on dispose aujourd’hui. Côté théorique, grâce à l’analyse de plus de vingt-cinq ans d’observations qu’on a faites au réseau décamétrique de Nançay, ici, on a pu répondre positivement à la question : oui, il y a probablement des émetteurs radio beaucoup plus intenses que Jupiter, et il est probable que ce sont les Jupiter chauds. Pour les observations, j’ai d’abord utilisé le radiotélescope géant de Kharkov, en Ukraine, qui fait 1 km sur 2. Et puis ensuite le réseau d’antennes LOFAR, un immense radiotélescope de nouvelle génération, distribué sur plus de 2 000 km à travers l’Europe, mais qui est dilué, bien sûr. Alors on a conçu il y a quelques années, et on est en train de construire, avec les ingénieurs et puis les autres personnels de la station de radioastronomie de Nançay, un nouveau radiotélescope, il s’appelle NenuFAR, qui est un acronyme qui veut dire une extension de LOFAR à Nançay. C’est un instrument qui comporte autant d’antennes que tout LOFAR, plus sensibles, en particulier aux basses fréquences, mais qui sont concentrées dans un diamètre très restreint, un cœur de 400 m et quelques réseaux d’antennes jusqu’à 3 km. Et on va commencer à observer en 2018. Et puis à l’horizon de la prochaine décennie, il y a le réseau mondial SKA, qui est en cours d’étude et de prototypage actuellement, et lui, il devrait permettre de détecter des émissions radio à peine plus intenses que celles de Jupiter, à la distance de la centaine d’étoiles les plus proches, on va dire, quelques dizaines de parsecs…
Et donc, avec les exoplanètes en radio, si on a un peu de chance et qu’on détecte bien tout, on pourrait avoir couvert le domaine de bout en bout, et ça, ce serait vraiment une très belle histoire, pas très courte, hein, elle s’étale sur vingt-cinq ans, mais finalement c’est très peu à l’échelle du l’Univers…
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