Françoise Olivier-Utard

30 octobre 2014

Laïcité dans les entreprises

Arrêt de la cour de cassation dans l’affaire Baby Loup

La cour de cassation a rendu le 25 juin son arrêt au sujet du licenciement d’une employée de la crèche Baby-Loup. Elle a confirmé la légalité du licenciement (voir les documents sur internet : Arrêt n° 612 du 25 juin 2014 (13-28.369) – Cour de cassation-Assemblée Plénière – ECLI: FR:CCASS:2014:AP00612 ainsi que l’avis de l’assemblée plénière et le rapport Truchot). Ces textes sont très intéressants (en dépit ou à cause de leur longueur). Ils insistent sur le but poursuivi par l’entreprise (petite enfance, origine et options philosophiques variées des familles, code du travail français) et sur le droit européen qui protège les intérêts de l’enfant et garantit aux parents le droit de choisir l’éducation de leurs enfants.

Cette décision permettra aux associations laïques d’établir des règlements intérieurs évitant les conflits qui naissent aujourd’hui de revendications religieuses communautaristes. « Ainsi, la mesure d’interdiction de port ostentatoire de signe religieux vise à empêcher des actes de provocation, de prosélytisme et de propagande de la part des salariés dans le cadre de l’éducation de jeunes enfants » (rapport de l’assemblée plénière).

Et les entreprises privées ?

Si la question d’une certaine neutralité semble réglée pour les associations, il n’en va pas de même pour les entreprises privées.

Depuis 1978, l’état du droit et l’étendue du champ d’intervention des libertés individuelles ainsi que la protection contre leur violation ont beaucoup évolué. Le rôle de la jurisprudence a été de définir la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle et d’arbitrer les débordements de l’une sur l’autre. Ce sont les lois dites « Auroux » qui ont réglementé pour la première fois ces questions. En effet, la loi du 4 août 1982 a créé l’article L 122-35 du code du travail aux termes duquel le règlement intérieur « ne peut apporter aux droits des personnes et des libertés individuelles et collectives, des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché … ni comporter des dispositions lésant les salariés dans leur emploi ou leur travail en raison de leur sexe, de leurs mœurs, de leur situation de famille, de leurs origines, de leurs opinions ou confession ou de leur handicap à capacité professionnelle égale. »

Mais d’une part, comme le fait remarquer le rapport de la cour de cassation, le code du travail ne précise pas en quoi consistent les libertés individuelles, et d’autre part, la réglementation distingue deux notions : la discrimination et l’atteinte aux libertés individuelles. La discrimination est plus facile à prouver ou infirmer que l’atteinte aux libertés.

Selon l’argumentation de la cour, la liberté de religion présente deux aspects : un aspect absolu et un aspect relatif. Ce qui est absolu, c’est la liberté de choisir sa religion et d’en changer à sa guise. Ce qui est relatif, c’est la liberté de manifester sa religion. Cette manifestation ne doit pas troubler l’ordre public. L’employeur pourra être d’autant plus inflexible envers un salarié et porter une atteinte mesurée à l’une de ses libertés individuelles si le comportement de ce salarié, compte tenu des fonctions qu’il exerce, est contraire à la finalité de l’entreprise et cause un trouble caractérisé au sein de celle-ci. C’est là que le terrain impose peut-être de repenser les questions pour faire avancer la laïcité dans des conditions inédites jusqu’à aujourd’hui. La loi est-elle suffisante  pour assurer les négociations internes au cas par cas et assurer la liberté des salariés à ne pas subir de pressions ? La question par exemple de l’égalité des hommes et des femmes se trouve placée sur un terrain qui n’était prévu ni en 1905 ni en 1982. L’initiative récente du chef d’une entreprise de recyclage de papier (donc non concernée par la plupart des critères énoncés plus haut sur les finalités de l’entreprise) ne pourra pas passer inaperçue. Après plusieurs de mois de concertation avec les salariés actuellement en poste, une Charte de la laïcité a été adoptée, qui exclut toute manifestation ostensible des convictions religieuses en son sein. Ce n’est pas un règlement intérieur. Quelle est la valeur d’un tel engagement ? Un salarié peut-il changer d’avis ?

La question sera d’autant plus complexe que le Conseil français du culte musulman vient de publier une convention qui dit explicitement que les associations membres du CFCM sont respectueuses de la loi, qu’elles dénoncent les agissements terroristes, mais affirme aussi que le port du voile est une prescription du coran même s’il n’en définit ni la forme ni la taille. Par conséquent partout où la loi ne l’interdit pas, les musulmanes pratiquantes devraient en porter un. L’État est garant de ce droit, en vertu de la loi de 1905. Dans les entreprises privées, c’était jusqu’à présent la concertation qui prévalait. Si les tensions montent, faudra-t-il une loi quand même ?

A ce sujet, la pétition de l’UFAL, publiée dans Marianne, propose une analyse fine des questions qui se posent aujourd’hui, mérite d’être mentionnée et discutée à l’UR. Elle appelle à mettre fin au flou juridique et à l’indécision politique qui caractérisent l’actualité et rappelle que la loi parfois ne fait que consacrer des initiatives de terrain.

 

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