
Jean-Michel Courty, Edouard Kierlik
14 septembre 2009
Le monde a ses raisons. La physique au cœur du quotidien
François Naulin a lu pour l’UR Le monde a ses raisons. La physique au cœur du quotidien, de Jean-Michel Courty, Edouard Kierlik, Bibliothèque scientifique, Belin Pour la Science. Mars 2006, 159 p., 21€.
Comment se fait-il que les meilleurs archers parviennent, une fois sur deux, à atteindre une cible de dix centimètres de diamètre placée à soixante-dix mètres, alors que la flèche est soumise dès qu’elle est lâchée à une série de perturbations complexes ? Pourquoi est-il si facile de tenir en équilibre en roulant à vélo – une fois passée la période d’apprentissage – alors que c’est quasiment impossible à l’arrêt ? Comment est-il possible de chauffer une maison en prenant de la chaleur à l’extérieur, où il fait plus froid qu’à l’intérieur ? Pourquoi l’eau éteint-elle les incendies, et est-ce toujours vrai ? Pourquoi la force de frottement qu’il faut vaincre pour déplacer une brique posée sur le sol en la poussant du pied ne dépend-elle que du poids de la brique et non de l’aire de la surface de contact ? Pourquoi l’argent et l’aluminium font-ils de meilleurs miroirs que l’or ou le cuivre, ces derniers donnant aux images reflétées une teinte jaune ou rouge, bien qu’ils soient tous quatre des métaux ? Pourquoi devient-il plus aisé de faire avancer un bateau à la godille au fur et à mesure qu’on parvient à lui faire prendre de la vitesse, alors que c’est le contraire qui se produit si on utilise des rames ? Pourra-t-on un jour faire fonctionner un hélicoptère à l’aide de la seule puissance mécanique du corps humain ?
En trente sept chapitres, presque tous indépendants les uns des autres, les auteurs nous font observer des phénomènes naturels ou des objets techniques variés présentant un caractère surprenant ou paradoxal. Dans certains cas, celui du vélo par exemple, cet aspect surprenant est masqué par la familiarité que nous avons avec le phénomène ou l’objet, et nous ne nous posons même plus de question, mais un peu de réflexion fait apparaître qu’il n’est pas si évident que les choses soient comme elles sont. Les auteurs nous montrent ensuite comment on peut comprendre ce qu’on observe à l’aide des lois de la physique. Il s’agit en quasi totalité de physique « classique » – mécanique, optique, électro-magnétisme, thermodynamique, mécanique des fluides – et nous voyons grâce à eux que cette physique recèle bien des idées puissantes et subtiles, sources de plaisir pour l’esprit, et reste un instrument de compréhension du monde et de création d’innovations techniques : imprimantes à jet d’encre, vidéo-projecteurs expérimentaux ultra-rapides faisant interférer des pixels réfléchissant la lumière. Que de raffinements et de science fondamentale pour arriver à ce que les couches-culottes d’aujourd’hui soient capables d’absorber autant de liquide !
Dans un style conciliant densité et clarté, et en respectant rigoureusement une « unité » de longueur de quatre pages par chapitre, les auteurs vont aussi loin que possible dans les explications sans utiliser d’équations. Cette façon de faire a évidemment des limites et on souhaiterait parfois des arguments plus détaillés, comme dans le cas du train rapide progressant dans un tunnel où la combinaison d’une surpression qui se propage et d’un échauffement différentiel de l’air entraînent la création d’une onde de choc.
Nous profitons aussi de la démonstration en acte de la façon dont le physicien doit pouvoir schématiser la réalité à l’extrême, mais avec habileté, pour être capable de prévoir des ordres de grandeur malgré la complexité du système étudié. Ainsi le raisonnement permettant de calculer la puissance nécessaire à la sustentation d’un hélicoptère, ou celui permettant, au-delà de la diversité des situations, de relier différents records d’athlétisme à la puissance du quadriceps. On perçoit parfois des effluves de magie comme avec les rayons T, qui permettent de voir à travers certains objets, le pendule inversé, ou le double Bozo-Bozo, dont la maîtrise reste encore le privilège de quelques initiés et le fonctionnement un défi aux amateurs d’explications scientifiques.
Ce livre peut satisfaire un large éventail de lecteurs : lycéens désirant découvrir le pouvoir explicatif de la physique parfois abstraite qu’ils apprennent et en connaître des applications récentes, esprits curieux aimant observer et comprendre, professeurs qui sauront y trouver une illustration pour un cours ou une source d’inspiration pour des énoncés de problème. Un seul regret : les illustrations sont claires et aident bien à la compréhension du texte mais les visages des personnages sont souvent tristement caricaturés et enlaidis.
Après la lecture on ressent l’impression d’avoir suivi un cours sans s’en être aperçu et l’on éprouve le désir d’aller plus loin, en se plongeant dans les manuels de physique, en construisant un Bozo-Bozo, en essayant de concevoir un pilote automatique purement mécanique pour son vélo ou en apprenant à godiller.