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Jean-Pierre Camilleri

Professeur des universités et directeur honoraire de la section médicale de l’Institut Curie

 

Le Monde - 26 avril 2006

Les cancers de la pollution, L'environnement est-il seul en cause ?

Qu’est-ce que l’on met en tête de gondole des dégâts de la pollution chimique ? Le cancer, parce qu’il tue et qu’il est encore perçu comme un mal terrifiant, longtemps invisible, qui ronge de l’intérieur.

          On met en avant l’augmentation du nombre des cancers diagnostiqués au cours des vingt dernières années, en omettant de dire qu’en même temps la mortalité a baissé et que cette augmentation d’incidence est imputable pour l’essentiel au vieillissement de la population, à l’amélioration des moyens d’investigation et à notre incapacité à réduire les habitudes nocives de nos concitoyens.

          Selon l’OMS, 2 % à 4 % des cancers pourraient être attribués à la pollution de notre environnement. Elargir les connaissances que l’on peut avoir actuellement en matière de cancers professionnels à la population générale sans tenir compte des seuils de doses relève du mensonge. Faire l’amalgame entre des données qui se réfèrent à des définitions différentes de l’environnement relève de la falsification.

          Pour les généticiens, l’environnement est tout ce qui est acquis, c’est-à-dire à la fois la pollution et les modes de vie. Pour les cancérologues, il importe de distinguer ce qui relève de la pollution du milieu qui nous entoure et les modes de vie, et tout concourt à mettre au premier plan, parmi les causes de cancer, les comportements individuels. L’alcoolisme est en baisse, mais les comportements alimentaires se dégradent et le tabagisme occupe toujours la première place. Les premiers résultats obtenus dans les pays qui ont engagé une lutte active contre le tabac, notamment en Grande-Bretagne, en apportent une confirmation difficilement contestable. Le croisement des courbes d’incidence et de mortalité du cancer du poumon, chez la femme et chez l’homme, trouve un meilleur rationnel d’explication dans les différences d’habitudes tabagiques dans les années 1970-1980 que dans les aléas de la pollution atmosphérique.

          Le 7 mai 2004 à l’Unesco se tenait le colloque “Cancer, environnement et société” organisé par l’Artac (Association française pour la recherche thérapeutique anticancéreuse), fondée au cours des années 1980 par le professeur Dominique Belpomme. L’idée de réunir des scientifiques et le monde associatif sur ce thème était louable dans un monde où la conscience citoyenne tend à se développer. De cette réunion est sorti ce que l’on a dénommé, probablement pour lui donner une solennité particulière, l’Appel de Paris.

          On y découvre que “la situation sanitaire se dégrade partout dans le monde” et que cette dégradation concerne “aussi bien les pays pauvres que les pays riches”. Mais de qui se moque-t-on ? Dans un pays industriellement développé comme la France, au cours des vingt dernières années, la population a gagné chaque année trois mois d’espérance de vie supplémentaire. Certes, vieillir, c’est aussi avoir plus de probabilités de faire un cancer, opportunité que les peuples d’Afrique, décimés par le sida et les guerres, ont peu de chances de connaître.

          La déclaration finale de l’Appel de Paris affirme que le développement de nombreuses maladies actuelles est “consécutif à la dégradation de l’environnement”, que la pollution chimique constitue une menace grave pour la “survie de l’homme”. Mais où sont les preuves scientifiques de telles affirmations ? Procéder par paradigme sans se soumettre à l’épreuve des faits relève de l’idéologie.

          Il n’est pas question d’ignorer les risques sanitaires d’un environnement mal contrôlé, l’importance des intérêts économiques et les risques de conflits avec les enjeux de santé publique. Il est incontestable que les études épidémiologiques dont nous disposons sont parcellaires, et il faut développer la recherche dans ce domaine de la santé environnementale. C’est à cela que doit nous conduire un principe de précaution bien compris plutôt qu’à des mesures d’interdiction à la fois hâtives et injustifiées.

          Si le lien entre les pesticides et l’émergence de certains lymphomes se trouve confirmé, il sera légitime d’adopter des mesures contraignantes de restriction dans notre pays qui en est l’un des plus gros consommateurs. Les Suédois l’ont fait et l’agriculture de ce pays n’a pas été pour cela mise en péril. Le drame de l’amiante a révélé les dysfonctionnements de nos institutions, mais le tabagisme passif fait plus de morts que l’amiante et l’on tarde encore à appliquer la loi Evin. Evitons les amalgames et les déclarations incantatoires sur la “société cancérogène” ou encore les menaces sur la “survie de l’espèce humaine”.
          La chimie est au cœur de l’innovation technologique. Elle incarne l’idée de science à finalité pratique. Acteur essentiel de transformation des ressources de la nature et censée répondre aux besoins de la société, l’industrie chimique suscite des peurs et apparaît souvent pour le public comme en guerre contre la nature. Frankenstein n’est jamais très loin. Dès le milieu du XIXe siècle, en Angleterre, la pollution causée par les usines chimiques a conduit au vote d’un Pollution Act.
          Avec la seconde guerre mondiale et l’immédiat après-guerre, de nombreux produits chimiques synthétiques ont été introduits aux Etats-Unis et en Europe. Aux yeux de l’opinion publique, l’environnement est apparu comme un danger non maîtrisé et les industriels comme des empoisonneurs. Les produits chimiques sont partout, dans l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons ou la terre où poussent nos légumes.

          Une prise de conscience trop tardive des pouvoirs publics, le sentiment largement partagé que l’on veut cacher la vérité, l’incohérence des politiques conduites au niveau national ont favorisé les peurs et laissé le terrain libre à l’exploitation par les hérauts d’une écologie plus soucieuse de trouver un fonds de commerce à des fins électorales que de servir le bien public.

          Oui, il est temps de “conclure sur le projet de règlement Reach” (réglementation européenne pour l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques) comme le dit un responsable politique européen. Instituer un tel système européen permettra d’apporter plus de transparence et de dégonfler les peurs et les fantasmes de nos concitoyens. Bien sûr, la réglementation a un coût et il est légitime de vouloir évaluer l’efficacité des mesures proposées.
Peut-être serait-il plus rationnel de prendre en compte le risque, en intégrant à la fois danger et exposition, plutôt que de prendre le volume de production pour fixer l’ordre de priorité dans lequel les produits devraient être évalués ? Comment harmoniser les exigences des différents Etats au sein de l’Europe, notamment en ce qui concerne les seuils de toxicité ? Le débat n’est pas clos, mais il est temps d’en finir avec cette succession d’études et de contre-études, souvent ponctuées de coups de menton médiatiques. Le système devrait être opérationnel en 2007.

          Il y va de l’intérêt des populations, mais aussi de l’industrie chimique elle-même, qui doit comprendre qu’elle tirera sa meilleure plus-value d’une chimie moins polluante. Pour garder la confiance des consommateurs, elle devra assurer le coût immédiat de sa responsabilité.            

Point de vue

          LE MONDE 26.04.06

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