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Marcel-Francis Kahn

Médecin

Emission Radio : 01/09/1998

Les médecines parallèles

Gabriel Gohau : Nous recevons ce matin Marcel-Francis Kahn. Il est toujours difficile de présenter un invité plus célèbre que soi, aussi me contenterai-je de rappeler que vous êtes médecin, professeur à Bichat, que vous avez exercé longtemps les fonctions de chef de service en rhumatologie et que parmi les combats que vous avez menés – ils sont nombreux – on trouve celui contre les médecines dites parallèles et d’abord l’homéopathie. I1 n’y aurait peut-être pas lieu de reparler de ces questions, sinon pour réfuter les assertions fausses mais toujours réitérées des partisans de ces pratiques, si le Conseil de l’Ordre des médecins n’était intervenu récemment dans un rapport sur l’enseignement de l’homéopathie. Pouvez-vous nous rappeler les faits et nous dire votre réaction personnelle, publiée immédiatement dans Le Monde ?

Marcel-Francis Kahn : En fait cela fait déjà longtemps que l’Ordre des médecins manifeste une indulgence très connue pour l’homéopathie, et le fait s’est confirmé récemment. L’ordre des médecins a favorisé, il y a déjà de longues années, le droit pour les médecins de se dire homéopathes, ce qui est tout à fait exorbitant par rapport à la reconnaissance des spécialités. Tout récemment, j’avais en main le livre blanc des homéopathes qui se targuaient du soutien du professeur Glorion, le président actuel de l’Ordre. Celui-ci, je pense, ne croit pas un seul instant à l’efficacité de l’homéopathie. Mais par faiblesse, disons même le mot, par démagogie, et devant la popularité que connaît cette méthode parmi les autres médecines parallèles, il a effectivement favorisé la publication d’un rapport, émis au sein de l’Ordre des médecins, qui concluait par cette position tout à fait exorbitante : à savoir qu’une méthode devait être à la fois enseignée et évaluée. C’est tout à fait étonnant, si c’était un autre sujet je dirais même amusant, de voir qu’on va enseigner comme méthode thérapeutique quelque chose qui n’est pas évalué. Les homéopathes sont en France un lobby très puissant qui s’inscrit d’ailleurs dans un lobby européen sur lequel, je crois, il faut dire quelques mots. Il y a actuellement une offensive irrationnelle très importante, qui a comme défenseur un écologiste belge, ingénieur de profession, Pierre Lannoye. Il a suscité la constitution d’un intergroupe au sein du Conseil de l’Europe qui essaye depuis 1994 de faire reconnaître l’ensemble des médecines parallèles à l’égal de la médecine basée sur les connaissances scientifiques et évaluée rigoureusement. L’objectif des défenseurs des médecines parallèles est de les faire reconnaître officiellement et même de les faire rembourser au même titre que la médecine reconnue.

G.G.: Quand vous dites belge, cela veut-il dire que certains pays d’Europe sont bien moins protégés que nous vis-à-vis de l’homéopathie ?

M-F. K. : Et des médecines parallèles en général. Je crois qu’il faut rappeler que notre voisin allemand a depuis une date qui est d’ailleurs tout à fait significative, puisque c’était le 17 février 1939 – je n’ai pas besoin de rappeler qui était au pouvoir à ce moment là – un statut qui reconnaît et officialise les « heilpraktiker », c’est-à-dire les guérisseurs. Ces « praticiens de santé » ont la reconnaissance officielle d’un diplôme de guérisseurs qui donne le droit de prescrire un certain nombre de médicaments dits naturels au premier plan desquels l’homéopathie. En fait ce lobby, qui n’est pas seulement belge, je m’empresse de le dire, mais assez largement allemand, anglais et pour une petite part français, s’efforce de faire adopter par le Conseil de l’Europe un statut officiel de toutes ces médecines parallèles au premier plan desquelles l’homéopathie. Il y a d’ailleurs là, en ce qui concerne le conseil de l’Ordre, une position tout à fait curieuse car dans certains bulletins le conseil de l’Ordre se déclare formellement opposé à une telle reconnaissance et d’un autre côté il vient de prendre les mesures que vous avez signalées vis-à-vis de l’homéopathie. Et qui ne sont pas les seules puisque, il faut le rappeler, en janvier de cette année a paru au Journal officiel un texte inspiré des directives européennes, lui aussi tout à fait exorbitant, qui permet aux médicaments homéopathiques d’être mis sur le marché et remboursés au taux fort de 65 % sans qu’il y ait besoin qu’ils prouvent, comme les autres médicaments, qu’ils sont à la fois efficaces et bien tolérés.

G.G.: Donc un autre médicament doit faire la preuve évidemment de son innocuité mais aussi de son efficacité ?

M.-F. K. Absolument. Certes il y a un certain nombre de médicaments qui ont la même ancienneté que les médicaments homéopathiques et qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité mais ils ont été déremboursés, c’est-à-dire qu’ils sont toujours autorisés, appelés médicaments de confort, mais ne sont plus pris en charge par la Sécurité sociale. Les gens les payent de leur poche.

G.G.: L’efficacité n’est pas nécessaire pour être vendue mais elle est nécessaire pour être remboursée par la Sécurité sociale, si je comprends bien.

M.-F. K. : Sauf en ce qui concerne les médicaments homéopathiques. C’est un exemple unique totalement exorbitant et dont nous pourrons, si vous le voulez, discuter les raisons politiques, économiques et même idéologiques.

G.G.: Quelles sont ces raisons?

M.-F. K. : On peut peut-être commencer par les données économiques. On citait récemment le fait que les actions qui ont le plus monté à la Bourse sont celles des laboratoires Boiron de Lyon. Ils ont en France, non pas un monopole mais une position dominante sur le marché des médicaments homéopathiques : ils ont le plus progressé, plus de 35 pour cent si ma mémoire est bonne. Il y a donc des intérêts financiers importants et il a été avancé qu’une partie des bénéfices de ce laboratoire pouvait soutenir tel ou tel parti politique. C’est maintenant devenu une part significative, certes encore réduite mais en progression, du marché international des médicaments français et la grande ambition des laboratoires Boiron est d’ailleurs de s’étendre dans le monde entier et de dresser partout le drapeau tricolore de l’homéopathie française. Donc il y a incontestablement des intérêts économiques. Il y a également, si j’ose dire, des problèmes politiques : pour des raisons sur lesquelles on peut discuter, l’homéopathie est populaire. Il ne sert à rien de se le cacher. Les enquêtes qui ont été faites, lors de cette décennie et celles qui l’ont précédée, montrent que le recours à l’homéopathie à la fois du côté des usagers et du côté des médecins qui la pratiquent est de plus en plus important. Ce développement n’est pas propre à la France. Il est également constaté en Grande-Bretagne qui a longtemps été assez réticente mais qui depuis dix-quinze ans laisse une porte largement ouverte à l’homéopathie. La propagande que fait pour cette méthode la famille royale anglaise joue largement. Alors, il est certain qu’à partir du moment où c’est devenu, si j’ose dire, un problème de masse, aucun pouvoir politique ou législatif ou réglementaire n’a osé – je dis bien n’a osé – s’attaquer au lobby des homéopathes, par peur de voir se dresser, contre toutes mesures restrictives et par exemple le déremboursement des médicaments homéopathiques, une large fraction des gens qui croient en son pouvoir. Cela concerne aussi les médecins. Vous savez qu’actuellement les rapports du pouvoir avec le corps médical libéral ne sont pas au beau fixe et il y a dans les milieux politiques une peur effective de voir un nouveau prétexte à de nouveaux affrontements. Ce qui est intéressant c’est de savoir que quand on interroge les décideurs aucun d’entre eux ne pense que l’homéopathie est une méthode sérieuse et qu’entre quatre z’yeux mais sans l’écrire et sans en tirer de conclusions, tous pensent effectivement que les petites pilules sucrées ne contiennent rien et n’ont pas d’activité.

G.G.: Et pourtant quand on en parle avec le public, on vous répond : des expériences ont été faites, elles ont prouvé une certaine action de l’homéopathie. Il faut peut-être à nouveau dire qu’il n’en est rien.

M.-F. K. : Oui, il serait trop long de détailler les éléments scientifiques de cette discussion. Il y a eu récemment ce qu’on appelle des méta-analyses, c’est-à-dire des revues générales de tout ce qui a été publié – ces méta-analyses ont d’ailleurs été faites par des partisans de l’homéopathie. Je m’y suis bien entendu beaucoup intéressé et je peux vous dire qu’aucune des soi-disant preuves scientifiques n’est convaincante. Au mieux, l’homéopathie fait mieux que des traitements intempestifs, et là je vais faire un tout petit rappel historique. Quand l’homéopathie est née, ä la fin du XVIIIe siècle, sur les théories vitalistes de Hannemann qui d’ailleurs reprenait des travaux antérieurs, (on trouve même la trace de cela dans Hippocrate), la médecine officielle thérapeutique était une véritable catastrophe. Les médicaments utilisés étaient en petit nombre et ils étaient dangereux: citons les saignées répétées, le mercure. Bref, la médecine officielle qui a connu un fantastique développement pour tout ce qui a concerné l’isolement des maladies et les méthodes de diagnostic, surtout vers la fin du XIXe siècle, était totalement carente en matière de thérapeutique. Et non seulement elle était carente mais elle était dangereuse. Par conséquent à tout prendre, il valait mieux ne rien faire que d’appliquer une méthode dangereuse, et c’est ce qui a fait le succès de l’homéopathie. Actuellement dans le public on assiste à une position contradictoire, d’ailleurs tout à fait intéressante. Il y a chez les gens à la fois une croyance illimitée dans les techniques scientifiques de la médecine moderne, le scanner, l’IRM, la biologie moléculaire, les médicaments nouveaux. Tout cela fait l’objet d’émissions, d’articles, encore tout récemment à propos du cancer. Or, bien entendu, on est très loin de cette situation : nous mourrons tous, le cancer, le sida, on sait les faire reculer en partie, on ne sait pas les guérir. On ne sait pas arrêter le vieillissement, on ne sait pas arrêter l’encrassement des artères. Donc il y a chez les gens une déception par rapport à ces grandes illusions. Par une espèce de retour tout à fait inverse, il y a chez beaucoup de gens, surtout dans les pathologies bénignes – car l’homéopathie ne prétend pas, sauf quelques intégristes, guérir le cancer ou le sida – un retour vers des méthodes dites naturelles, vers les plantes, vers des petites doses, vers les petits granules sucrés et vers des explications simples. Et ça, c’est certainement une des grandes causes du succès de l’homéopathie. Une autre raison qui joue aussi pour les autres médecines parallèles réside dans les imperfections, qu’il faut dénoncer aussi, de la médecine moderne. C’est vrai qu’il y a du côté des grands laboratoires, des problèmes financiers, des intérêts énormes et puis c’est vrai qu’il y a aussi cette absence de dialogue entre soignants et soignés qui devient de plus en plus regrettable, et qui s’aggrave parallèlement au progrès des méthodes scientifiques.

G.G.: Je crois qu’on va être obligé d’arrêter là l’émission. Il y avait l’aspect idéologique, je crois, dont vous vouliez parler. Il me semble qu’il faudra le réserver pour une autre fois car nous ne pouvons pas tout traiter en une seule fois. Je vous remercie Marcel-Francis Kahn.

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