Gérard Fussman

Agrégé de lettres classiques, professeur au Collège de France.

 

29 juin 2012

Les religions, fondements du lien social ?

Conférence prononcée à Rouen le 29 juin 2012 à l’initiative de l’Union rationaliste et du Comité de réflexion et d’action laïque de Seine maritime (CREAL 76).

Les fondements théoriques de la laïcité française peuvent se résumer en deux textes que la plupart des Français connaissent au moins par ouï-dire bien que de façon souvent déformée. Le premier date de la révolution française, c’est la constitution de 1791 :

Titre ΙΙ : De la division du royaume, et de l’état des citoyens

Article premier. Le roy­aume est un et in­di­vi­sible ; son ter­ritoire est dis­tri­bué en qua­tre-vingt-trois dé­par­te­ments, chaque dé­par­te­ment en dis­tricts, chaque dis­trict en can­tons.

Article 2. — Sont citoyens français …

Ce passage est repris et actualisé dans le préambule de la constitution de 1958, actuellement en vigueur :

Article 1er

La France est une Ré­pu­bli­que in­di­vi­sible, laïque, dé­mo­cra­tique et so­cia­le. Elle as­sure l’éga­lité devant la loi de tous les ci­toyens sans dis­tinc­tion d’ori­gine, de race ou de re­li­gion. Elle res­pecte toutes les croyan­ces. Son orga­nisa­tion est décen­tra­lisée.

L’article premier du titre ΙΙ de la constitution de 1791 visait à prévenir toute tentative de séparatisme de provinces françaises souvent rattachées depuis peu, par conquête, à la France et dont la population souvent parlait des dialectes non-français. Mais combiné avec l’article 2 et survenant après un titre Ι abolissant tous les corps constitués[1], il signifiait aussi que la République française ne reconnaissait et ne reconnaît que les individus et refuse ou ignore toutes les communautés, héréditaires ou volontaires (La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution). En vertu de ce principe, pendant la majeure partie du 19e siècle, syndicats et partis politiques ont été interdits, la loi ne reconnaissant que les citoyens. Syndicats et partis sont aujourd’hui officiellement reconnus et considérés comme interlocuteurs légitimes du pouvoir politique. Le Ministre de l’Intérieur, aussi Ministre des cultes, rencontre les dirigeants des églises et des communautés religieuses. Il lui arrive même de susciter leur regroupement sur une base confessionnelle. Il existe également des semblants de corporations : ordre des médecins, des avocats etc. Mais le principe vaut toujours. Sa traduction est le suffrage universel, personnel et individuel. Les candidats, investis ou non par un parti, font acte de candidature à titre individuel. Une fois élus, même si le scrutin était de liste, ils peuvent rompre avec leur parti sans perdre aucun de leurs privilèges d’élus.

Le second texte est tout aussi connu, c’est le titre premier de la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État:

ARTICLE PREMIER. — La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

ART. 2. — La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

En d’autres termes, la République française est, au moins pour ses théoriciens, constituée de citoyens uniquement. La religion est une affaire personnelle qui ne concerne pas l’État, sauf en matière de police, pour assurer la liberté de conscience ou éviter les troubles à l’ordre public. Cette conception de la laïcité est, on le sait, unique dans le monde. Il est d’autres États, pas très nombreux il est vrai, qui assurent une pleine liberté de conscience à leurs citoyens et ne font pas ou peu de discrimination politique ou sociale liée aux opinions religieuses de ceux-ci. C’est le cas, par exemple, de trois grandes démocraties, la Grande-Bretagne, les USA, ou la République Indienne, qui à titres divers reconnaissent les Églises, les subventionnent et leur accordent en matière d’éducation, de soins de santé et de droit familial des privilèges qui à beaucoup de Français paraissent exorbitants.

Ces États sont les héritiers d’une tradition qui perdure dans de très nombreux pays et qu’ils ont simplement adaptée à la multiplicité des religions et croyances existant à l’intérieur de leurs frontières. Il n’y a plus une religion d’État, comme dans la France de 1789, l’Espagne de Franco ou l’Arabie Saoudite, mais les religions et les Églises constituées sont considérées comme des élements essentiels de la fabrique sociale et, comme tels, dignes d’estime et de support. La religion est affaire individuelle, mais se pratique en communauté. La notion de religion individuelle, théoriquement possible, est dans les faits un non-sens. Elle ne vaut que pour des déistes à la Voltaire, plus proches des athées et agnostiques que des véritables croyants, et pour de rares mystiques qui ont établi un lien personnel et unique avec Dieu. Même ceux qui font profession d’avoir rompu avec le monde pour mener une vie exclusivement religieuse, moines catholiques ou bouddhistes, ascètes au désert, sadhus hindous, sont en fait profondément imbriqués dans la société dont ils vivent et qui les considère comme essentiels au bon fonctionnement de celle-ci.

L’une des raisons qui lie profondément la ou les religions à la société est que pour beaucoup, fussent-ils aussi incroyants que Voltaire, la religion est le garant de la morale sociale puisqu’elle est seule capable de faire croire au coupable que son crime ne restera pas impuni, que ce soit dans ce monde ou dans l’autre. Les sociétés humaines étant incapables de repérer tous les auteurs de crimes et de les punir, et les hommes étant plus sensibles à la menace de la punition qu’à l’attrait de la vertu, seule l’omniscience divine assure à la société que ceux qui enfreignent ses lois fondamentales seront un jour punis et retient dans le droit chemin les potentiels coupables, nous tous disent les plus pessimistes. Rien n’échappe à l’œil de Dieu. Il est facile de constater que les codes de lois religieux sont en fait des codes de lois garantissant le bon fonctionnement de la société. Comparons, par exemple, les dix commandements judéo-chrétiens, proclamés par Dieu via Moïse, et les tout à fait indépendantes règles de moralité suivies par les bouddhistes et les hindous considérées par eux non comme édictées par une divinité, mais comme une évidence indiscutable.

 

 

 

Dix commandements :
Seconde table de la loi relative au prochain.

 

1 Honore ton père et ta mère afin de jouir d’une longue vie dans le pays que l’Éternel ton Dieu te donne.

2 Tu ne commettras pas de meurtre.

3 Tu ne commettras pas d’adultère.

4 Tu ne commettras pas de vol.

5 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.

6 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, tu ne convoiteras ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien qui lui appartienne.

Dix défenses bouddhiques[2] :

 

1 Ne pas tuer.

2 Ne pas voler.

3 Ne pas avoir de relations sexuelles illégitimes.

4 Ne pas mentir.

5 Ne pas boire de boissons intoxicantes.

6 Ne pas tenir de propos futiles.

7 Ne pas tenir de propos blessants.

8 Ne pas tenir de propos qui sèment la discorde.

10 Ne pas convoiter.

11 Ne pas se mettre en colère.

 

Il n’est pas besoin d’être un grand sociologue pour constater que ces règles, qui n’excluent pas la polygamie et ne sont pas universelles (certaines religions ne considèrent pas le meurtre et le vol comme des péchés), sont les règles de fonctionnement minimales d’une petite société patriarcale fondée sur la famille et la propriété privée. L’un des exemples les plus nets de ce conservatisme social est le grand texte des hindous, la Bhagavad-Gīta, où le dieu Krishna explique à Arjuna, qui hésite à lancer une bataille où des milliers de héros trouveront la mort, qu’il n’a pas à se préoccuper de cela, mais qu’il doit suivre la conduite que lui impose son rang social. Dans certains pays, en Inde par exemple, ces règles dites de moralité ne sont pas liées à une proclamation divine quelconque. Elles sont considérées par consensus comme éternelles et s’appliquant à tous, même aux dieux. En ce cas leur transgression appelle automatiquement la punition, en ce monde ou dans l’autre, sans jugement ni intervention divine.

Il est beaucoup plus fréquent que le châtiment post-mortem, suivant ou non la mort surnaturelle du coupable avalé par la terre ou frappé par la foudre, résulte d’un jugement porté par des autorités supra-humaines, autrement dit un dieu ou des dieux. Si ce dieu ou ces dieux s’intéressent de si près aux activités humaines, c’est souvent parce qu’ils ont créé le monde, qu’ils lui ont assigné ses règles de fonctionnement et désigné ses premiers dirigeants. Cette conception se trouve, avec des variantes, dans la plupart des sociétés humaines avant l’invention, au XVIIIe siècle, de la théorie d’un contrat social non patronné par les dieux (car il existe des contrats sociaux sanctionnés par Dieu ou des dieux, le souverain perdant son autorité s’il ne remplit pas les termes de son contrat). On pourrait citer beaucoup d’exemples de cette conception. Le plus net est sans doute le code d’Hammurabi (c. 1750 avant notre ère).

Quand Anu le Sublime, Roi des Anounaki, et Enlil, Seigneur du Ciel et de la terre, qui a décidé du sort du monde, ont assigné à Mardouk, le régnant fils d’Ea, Dieu du droit, la domination sur l’humanité terrestre, et l’a fait grand parmi les Igigi, ils ont donné à Babylone son nom illustre, l’ont rendue grande sur la terre, et fondé sur elle un royaume éternel, dont les fondations sont établies aussi solidement que celles du ciel sur la terre; ensuite Anou et Enlil m’ont appelé par mon nom, moi, Hammourabi, le prince exalté, craignant Dieu, afin d’apporter les règles du droit dans le pays, pour soumettre les méchants et les malfaiteurs; de sorte que le puissant ne puisse nuire au faible; afin que je puisse régner comme Shamash sur les peuples à tête noire, et illuminer la terre, pour le bien-être futur de l’humanité…..

Quand Mardouk m’a envoyé régner sur les hommes, pour donner la protection du droit sur le pays, j’ai été juste et rendu justice dans […], j’ai provoqué le bien-être des opprimés.

CODE DES LOIS

  1. Quiconque prend quelqu’un dans une machination pour le faire bannir, mais ne peut le prouver, sera mis à mort.
  2. Quiconque porte une accusation contre un homme, et que l’accusé va au fleuve et saute dans le fleuve, s’il coule dans le fleuve l’accusateur prendra possession de sa maison. Mais si le fleuve prouve que l’accusé n’est pas coupable, et qu’il en réchappe sans dommage, alors celui qui a porté l’accusation sera mis à mort, cependant que celui qui a sauté dans le fleuve prendra possession de la maison qui appartenait à son accusateur.
  3. Quiconque porte une accusation de crime devant les anciens, et n’apporte pas la preuve de ce qu’il avance, sera mis à mort s’il s’agit d’un délit grave.
  4. S’il plaît aux anciens d’imposer une amende en grain ou en espèces, il recevra l’amende fixée dans l’affaire.
  5. Lorsque un juge émet un jugement, rend sa décision, et la formule par écrit ; si ultérieurement il apparaît une erreur dans cette décision, par sa seule faute, alors il paiera douze fois l’amende par lui fixée dans l’affaire, sera publiquement privé de son siège de juge, et ne pourra plus jamais l’occuper pour rendre justice.
  6. Quiconque vole ce qui appartient au temple ou à la cour, est mis à mort, de même que le receleur. Etc., etc.

Il est rare que les prescriptions divines soient aussi détaillées, mais la notion que le souverain est l’élu de Dieu, qu’il tient son pouvoir de la divinité et des prêtres qui la servent, et que la protection divine s’étend au royaume tant que le souverain remplit ses obligations religieuses et fait observer les lois est très répandue. Au Gott mit uns des Allemands répondent le Dieu et mon droit des Britanniques, le In God we trust des Américains, et le Allah Akbar (Dieu est grand) des armées musulmanes. Les armées des souverains bouddhistes, qui souvent étaient loin d’être non-violents, étaient souvent précédées de reliques du Buddha, le feu sacré accompagnait toujours les armées sassanides. Sauf cas exceptionnels, comme celui de l’Indien Aśoka, les formations politiques, dans le passé, ont toujours été liées à une religion dominante, celle du souverain, même quand celui-ci est le peuple comme à Athènes. Quand cette religion est polythéiste, il peut y avoir apparence d’une tolérance généralisée. Athènes, Rome ou la Chine ont toujours accueillis les dieux étrangers, mais à condition que leurs fidèles reconnaissent aussi les dieux de la cité ou le caractère divin de l’Empereur. Il n’y avait pas de tolérance pour les athées, immoralistes et négateurs de la protection divine. Il est vrai qu’avant le XIXe siècle, l’athéisme radical était presque partout inconnu et qu’il est encore rare dans le monde.

Ces exemples historiques montrent la rupture qu’opèrent les philosophes des Lumières et les républicains français du XIXe siècle en prétendant que la religion est affaire individuelle. L’homme étant un animal social, la religion est aussi un fait social. L’une de ses fonctions est de maintenir ou au moins d’affirmer l’unité de la société à un moment donné. Je ne connais pas d’exemple de société qui change de religion sans que son fonctionnement ne change, et vice versa. La fonction de lien social se voit dans les rites sociaux, des plus simples (circoncision, communion solennelle, mariage, décès, messes villageoises) aux plus grands (messes solennelles, sacrifices royaux, couronnements, Te Deum, pèlerinages de masse etc.). Qui refuse de participer à ces rites se met à l’écart de la société ou de la fraction de société à laquelle il appartient. Combien de Français, aujourd’hui, ne se marient à l’Église que « parce que cela se fait » ? Et, malgré la loi de 1905, nul ne s’offusque vraiment que le Président de la République assiste à une messe solennelle à Notre-Dame, puis mette une kippa pour assister au dîner annuel du CRIF, et le lendemain dialogue avec les représentants des mosquées françaises. Ce faisant, il manifeste seulement l’appartenance à la France de ceux qui pratiquent cette religion. Seuls de mauvais esprits pourraient penser qu’il en profite aussi pour solliciter leurs voix aux élections.

La Russie de Putine est un bon exemple de la prégnance de cette conception. Dans une société largement déchristianisée, l’Église orthodoxe est brusquement revenue au premier rang, seul moyen apparemment de remplacer l’idéologie disparue du communisme, un communisme athée, mais qui avait gardé le sens du rituel et organisait des manifestations de masse remplissant la fonction des processions dans d’autres pays, allant jusqu’à recréer un culte des morts ou des saints (le tombeau de Lénine). Les républicains français en avaient fait de même, dès la Fête de la Fédération en 1790. Jusque dans les années 1950, le lien social de la République était exprimé par les fêtes du 14 juillet et il n’est pas indifférent que nos morts glorieux soient enterrés dans une ancienne église transformée en Panthéon, ou Temple de tous les dieux. Le respect dû au drapeau est calqué sur le respect dû à la croix. On sait que beaucoup de laïques militent pour l’établissement de rituels laïques, à la naissance, au mariage, et surtout au moment du décès.

Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si la laïcité française, qui suppose une séparation stricte entre les Églises et l’État et considère la religion comme relevant uniquement du libre choix de l’individu, est possible. On pourrait répondre cyniquement que la République française n’a jamais été totalement laïque, que dès la loi de 1905 elle a trouvé des moyens détournés de subventionner le catholicisme, et que les Églises chrétiennes, juive et musulmanes sont très présentes dans la vie de l’État et dans sa structure même (vœux du nouvel an, enterrements solennels etc.). Le calendrier français des fêtes est toujours, pour l’essentiel, le calendrier chrétien grégorien. Les républicains de 1905 n’ont pas cherché à rétablir le calendrier républicain laïque et rationnel de 1793. De même ils n’ont pas songé à faire bénéficier les colonies, dont l’Algérie, de la loi des séparation des Églises et de l’État : dans ces territoires, les religieux, et tout spécialement les missionnaires catholiques, étaient intégrés à l’ État, selon une conception très classique et très voltairienne de la religion comme outil de soumission de la population à l’autorité politique et sociale.

La laïcité à la française existe pourtant. Le système démocratique d’élections a coupé tout lien visible avec les Églises. Les concours anonymes d’État assurent que nul n’est écarté d’aucune fonction de l’État en raison de ses opinions religieuses. La loi interdit toute discrimination dans l’attribution des logements, même privés. On peut même obliger les individus à travailler pendant les jours religieusement fériés et chômés, quelle que soit la religion en cause. A part quelques extrémistes musulmans, toutes les formations politiques et religieuses françaises se prétendent maintenant laïques et voient dans la laïcité le moyen de maintenir l’unité nationale face à la montée des extrémismes religieux. Dans les pays qui reconnaissent toutes les religions, la Grande-Bretagne, les USA, l’Inde la tolérance règne en surface, sauf pour les athées, surtout s’ils sont d’extrême gauche. Mais elle est sans cesse menacée. La Grande-Bretagne a bien du mal avec ses communautés musulmanes, les USA avec leurs extrémistes chrétiens. Dans ces deux pays on voit les communautés religieuses, protestantes, catholiques, musulmanes, hindoues, sikhs, exiger que l’enseignement des sciences et de l’histoire corresponde à leurs dogmes, et souvent obtenir gain de cause dans les tribunaux. En Inde le danger du fondamentalisme hindou se traduit par des émeutes anti-musulmanes, des pogroms anti-chrétiens et des lois contre les conversions volontaires. Nous n’avons pas à rougir de notre laïcité à la française.

Mais nous devons être conscients qu’elle suppose un affaiblissement général du sentiment religieux. Reconnaître qu’un concitoyen peut avoir d’autres croyances que les siennes ou ne pas avoir de croyances du tout, c’est implicitement, et souvent inconsciemment, mettre en doute ses propres croyances. C’est admettre qu’elles ne soient pas les seules possibles. Reconnaître que l’État peut se passer de la protection divine, c’est reconnaître que celle-ci n’est pas très efficace. Admettre que le Dieu en lequel on croit n’occupe plus dans la société qu’une place secondaire, c’est placer la société civile avant les commandements divins, du moins tant qu’il n’y a pas contradiction absolue entre les lois et la conduite de l’État et les lois de Dieu. On est loin de la foi aveugle que prêchent toutes les religions. L’Église catholique française a dû, au prix d’un long et difficile combat des Républicains, accepter la laïcité française parce que la France est un pays déchristianisé où même les catholiques pratiquants ne respectent plus les règles de morale et de conduite édictées par l’Église[3]. En fait, elle accepte la coexistence avec d’autres religions dans les pays où elle est minoritaire ou fort peu majoritaire, et lutte de toutes ses forces contre les politiques partiellement laïques des pays où elle se sent très forte, comme l’Italie et l’Espagne.

La réussite de la laïcité et de la paix sociale qui en résulte suppose une autre conception de l’État que la traditionnelle conception de l’État de droit divin et de la religion d’État. Elle est liée au suffrage universel et à la démocratie, c’est-à-dire au respect du droit de la minorité, et de la possibilité pour elle de devenir majorité et de faire la loi. C’est aujourd’hui acquis dans un certain nombre d’États européens, américains, asiatiques. Mais c’est toujours fragile, à preuve les tentatives de certains extrémistes musulmans d’introduire en France la possibilité pour les musulmans de respecter certaines obligations considérées comme musulmanes, par exemple le voile intégral. Au Canada, c’est pire, c’est le respect de la charia qui est demandé en ce qui concerne le droit familial (mariage, divorce etc.) et personnel (héritage etc.), respect de tout temps acquis en Inde: le droit familial hindou et le droit familial musulman sont des droits religieux. De facto, on ne peut plus quitter la religion de la famille dans laquelle on est né, ni se proclamer athée. Et l’on connaît la vigueur combative des États reposant sur une croyance religieuse unique, Israel et un grand nombre d’États musulmans.

La lutte est donc loin d’être terminée. Si l’on pense aux cinq millénaires d’histoire documentée, elle ne fait même que commencer. C’est une lutte contre le fanatisme plus que contre la religion. Cette lutte contre le fanatisme sera gagnée par des rationalistes. C’est la mise en valeur des contradictions du fanatisme et des atrocités auquel celui-ci mène inévitablement qui a affaibli le fanatisme. Ce sont également les progrès de la science, qui, démontrant l’inanité de beaucoup de vérités révélées, à commencer par tous les récits sur la création du monde et les conséquences morales qui en découlent, ont affaibli, mais chez les gens instruits seulement, l’autorité des discours religieux[4]. Ce sont enfin les leçons de l’histoire, en France les guerres de religion et la Révocation de l’Édit de Nantes. L’histoire des bons historiens, depuis Thucydide, est toujours rationaliste. Encore faut-il l’enseigner, et ne pas éliminer des programmes scolaires les sujets qui fâchent.

On en revient toujours au bon usage de la raison. Ceci explique le lien fait par l’Union Rationaliste, depuis sa fondation, entre science, connaissance et rationalisme. Le fanatisme, ennemi du libre arbitre et du libre examen, est antagoniste de la science. Il est aussi destructeur du lien social dans les sociétés modernes, et l’on voit avec effroi les guerres de religion recommencer à l’intérieur de certains États et entre États. Le seul moyen de ne plus voir les Saint-Barthélémys, ni d’ailleurs les noyades de Nantes, c’est de faire triompher la raison, en développant la science, l’éducation scientifique et littéraire (Montaigne et Voltaire sont de bons antidotes au fanatisme, Platon aussi) et en ne cédant pas aux revendications des extrémistes religieux. C’est aussi de développer la démocratie et d’obtenir des résultats politiques, économiques et sociaux qui démontrent aux croyants que la laïcité et la tolérance ne sont pas d’abominables création du diable et peuvent avoir d’heureuses conséquences, pour eux y compris. C’est ce que l’Union Rationaliste essaie de faire dans la mesure de ses moyens, en insistance sur l’importance du raisonnement et de la science, et sur le lien entre laïcité, science et liberté. Elle le ferait encore plus efficacement si beaucoup la rejoignaient.

  1. L’Assemblée nationale voulant établir la Constitution française sur les principes qu’elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l’égalité des droits.
  • Il n’y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d’ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions.
  • Il n’y a plus ni vénalité, ni hérédité d’aucun office public.
  • Il n’y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les Français.
  • Il n’y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.
  • La loi ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution.

[↑]

  1. Les cinq premières règles sont les seules attestées dans tous les textes. Les autres n’en sont en fait que des paraphrases. Les règles bouddhiques ne mentionnent pas le respect dû aux parents car elles s’adressent à l’origine à des moines ayant en principe rompu tout lien avec leur famille. Le respect dû aux parents et aux anciens va de soi pour les laïcs indiens, bouddhistes, hindous ou jains.[↑]
  2. L’exemple le plus spectaculaire est celui des rites du mariage. Combien de catholiques divorcent ? Combien de jeunes épousées arrivent à l’autel enceintes ou suvies de leurs enfants nés hors mariage ?[↑]
  3. Cela n’empêche pas nombre de grands savants, qui suivent en cela l’exemple de Galilée, Pascal, Newton etc., d’être de fervents croyants. Mais ils sont laïques dans leur pratique scientifique et souvent dans leur comportement quotidien. Ils n’obéissent plus aveuglément aux aux instructions de l’Église[↑]instructions de l’Église [↑]

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