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Pierre Dazord

Professeur des Universités

7 avril 2008

Ne touchons pas à la loi de 1905

Intervention de Pierre Dazord Président du C.R.L.R. à la réunion organisée le 3 avril 2008
par le Grand Orient de France.
« Ne touchons pas à la loi de 1905 »

      Je remercie le Grand Orient de France d’avoir pris l’initiative de cette réunion et d’y avoir convié le Cercle des Rationalistes de Lyon et sa Région (C.R.L.R.). 

       Nous avons immédiatement accepté cette invitation. En effet le C.R.L.R. adhère, à travers la Fédération des Œuvres Laïques du Rhône, à la Ligue de l’Enseignement dont on sait le rôle qu’elle joua dans l’émergence des lois laïques et d’autre part le Cercle est l’antenne régionale de l’Union Rationaliste  qui lutte dans l’esprit des Lumières pour une conception rationnelle et scientifiquement fondée du monde et de la vie.

      Dans l’affirmation de la conception laïque de l’état trois étapes majeures sont à retenir : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen  adoptée le 26 août 1789, la loi de 1905 et enfin la Constitution et notamment son article 1.

      Avec la Déclaration « l’Etat démocratique, comme le dira Jaurès en 1904, ne se réclame plus d’un principe traditionnel, ou d’une légitimité historique ; il se légitime lui-même comme le contrat implicite des volontés libres et égales, cherchant dans sa souveraineté la garantie de leur libre développement….L’individu ne fonde pas sa dignité, son droit sur des titres historiques ou des titres surnaturels ; c’est seulement sur la dignité enfin retrouvée de la personne humaine que les individus de la Révolution fondent leurs revendications et leurs droits ». «  La démocratie ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale ». En affirmant la liberté des opinions sauf à troubler l’ordre public, l’assemblée refusait en particulier  de faire un sort à part aux opinions religieuses : les fidèles sont seuls responsables de leur culte, de son organisation et de son expression dans le respect de l’ordre public. L’Etat n’a pas à intervenir contrairement à ce que fera Nicolas Sarkozy avec le Conseil français du culte musulman. Enfin Condorcet tirera de la Déclaration  que « l’Instruction publique est un devoir de la société à l’égard des citoyens comme moyen de rendre réelle l’égalité en droits ».

      Ainsi dès le départ la voie est tracée qui sera continuée par la troisième République : La France n’est pas la France des Territoires ni ne se définit en référence à des « sources » habilement sélectionnées, chrétiennes par exemple. Par delà la diversité   de son peuple, de ses choix idéologiques, philosophiques ou religieux, la nation est le creuset où les volontés libres et égales se réunissent pour garantir leur  liberté et leurs droits. Elle oppose à l’idée, instrumentalisée et donc source de divisions, d’un retour à un passé mythifié à l’image des sociétés tribales de l’antiquité,  la dynamique nouvelle  de l’union dans la liberté. Ce qui ne relève pas des rapports sociaux, origines, croyances, etc… ne peut justifier de traitement particulier. La loi protège, partout et en toute circonstance, les droits de la personne humaine ; la loi est égale pour tous.

       Alors que la République n’avait été proclamée en 1875 qu’à une voix de majorité par l’adoption de l’amendement du député catholique de centre droit Henri Wallon, les grandes lois laïques de Jules Ferry notamment et les lois sociales du Ministère Waldeck Rousseau étaient ratifiées à chaque consultation électorale et de plus en plus largement. Voyant leur défaite irrémédiable se consommer, la droite antirépublicaine et l’Action française   déclanchèrent avec l’affaire Dreyfus une attaque extrêmement violente contre les fondements de la République en s’en prenant aux citoyens juifs qu’ils voulaient chasser de la communauté nationale. L’appui qui leur fut apporté par l’épiscopat rendait intolérable le maintien du concordat bonapartiste qui assurait une place privilégiée et financée par l’Etat à l’Eglise Catholique et constituait donc une grave entorse au principe de liberté. Le succès électoral de 1902, en montrant en particulier que la grande masse des catholiques approuvait le cours nouveau, rendait possible la séparation des églises et de l’Etat.

       Aristide Briand et Jaurès se refusaient à toute loi de vengeance  et à toute tentative de contrôle des églises par l’Etat. Sous leur impulsion, fut adoptée la loi de 1905, loi de liberté. Reprenant les termes de la constitution thermidorienne de l’an III elle assurait la liberté de conscience et mettait un terme définitif à tout financement public des cultes. Après une vive discussion et l’affirmation de Briand   qu’il s’agissait d’ « une loi de liberté, de franchise et de loyauté », l’article 4 qui précisait les conditions dans les quelles les associations cultuelles disposeraient des édifices appartenant à l’Etat  fut adopté dans une version rédigée par Jaurès à une écrasante majorité, seule une minorité à l’extrême droite et à l’extrême gauche la rejetant.

      Ce grand moment d’unité et de cohésion nationale animé du souffle de 1789  ne put se poursuivre totalement jusqu’à l’adoption de la loi à la suite de provocations de l’extrême gauche. Mais la loi fut finalement adoptée à une très large majorité. L’extrême droite échoua dans sa tentative de porter le débat dans la rue.

      Il faudra l’implosion de la France entraînant  sa défaite militaire pour que le coup d’état du 10 juillet 1940 en jetant à bas la République, mette un terme à ce qu’un jeune fonctionnaire de Vichy, François Mitterrand, appelait « ces cent cinquante années d’erreur [dont] nous n’étions guerre responsables ». Avec le soutien de l’épiscopat, le nouveau régime substituait à l’ambitieux mot d’ordre  libérateur de Liberté, Egalité, Fraternité, celui de Travail, Famille, Patrie, qui dédouanait le régime de toute responsabilité sociale. On remettait à l’honneur les « origines chrétiennes de la France » pour, en rupture avec le modèle républicain, trier qui serait français parmi les citoyens, en  excluant les juifs, les héritiers des lumières et en particulier, c’est ici le lieu de le rappeler, les francs maçons. Enfin le nouveau régime voulait  tenter de bannir le mal absolu, l’instituteur laïque responsable de tous les maux, en donnant à l’enseignement catholique des privilèges inouïs.

      Mais comme à chaque fois que la République subissait une attaque violente, c’est par une avancée de l’idée laïque que les républicains répondaient. Fruit de la liberté et de l’indépendance recouvrées comme de la défense par les instituteurs des principes laïques,sur proposition du député communiste Etienne Fajon et du porte parole de la France libre et fondateur du Mouvement Républicain Populaire Maurice Schumann, était adopté l’article 1 de la constitution de la Libération repris dans la constitution actuelle : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Pour la première fois au monde, et la seule jusqu’à présent, la laïcité était inscrite dans la constitution d’un état démocratique. La Nation reconstituée dans les combats de la Résistance effaçait ainsi définitivement les discours vichystes contre l’Ecole Laïque.

      C’est donc à l’aune de ces trois textes majeurs, Déclaration des droits, loi de 1905, Constitution qu’il faut juger les attaques frontales ou insidieuses contre la laïcité.

      Les opinions personnelles du Président de la République et sa curieuse et récente ferveur religieuse ne sont pas plus en cause  que sa fidélité à la Résistance. Mais peut-on accepter qu’en tant que Président de la République, au lieu d’assumer sa charge qui est d’être le garant et le premier défenseur de la République, il rompe le pacte républicain en reprenant à son compte les pires attaques qui fleurirent sous Vichy ? qu’il prône la supériorité du prêtre sur l’instituteur et paraphrase ce modèle de vertu qu’était Talleyrand en affirmant qu’il n’y a pas de morale laïque car elle a nécessairement un fondement religieux ? Au lieu d’écouter des conseillers qui caricaturent la République, il aurait pu s’inspirer de Condorcet affirmant que « la puissance publique n’a pas le droit de lier l’enseignement de la morale à celui de la religion » la base de l’enseignement de la morale étant la déclaration des droits, ou bien de la réponse de Madame Simone Weil à la question d’Alain Genestar lui demandant si devant les horreurs d’Auschwitz elle avait prié : « Non jamais. Nous étions une famille très laïque, élevée avec des valeurs morales et humaines…Je suis sûre que ni ma mère ni ma sœur n’ont prié ».

      Pour terminer je voudrais, sans souci d’exhaustivité, attirer l’attention sur quelques attaques souvent insidieuses contre la laïcité ou des approximations semant le trouble.

      Non, le ministre de l’intérieur n’est pas ministre des cultes. Cette attribution a été supprimée en décembre 1906 avec l’entrée en vigueur de la loi de 1905. Par contre il a en charge toutes les associations relevant de la loi de 1901 quel qu’en soit leur objet.

      Non, il n’y eut pas après la grande guerre d’accord Briand-Cerreti, pour l’application de la loi de 1905. Le nonce Ceretti fut débouté dans ses tentatives et sèchement éconduit par Raymond Poiucaré, Aristide Briand et le Président du Conseil Edouard Herriot. Dans toute cette affaire, comme en 1789, il n’y eut jamais de négociation avec le Vatican, c’est le peuple français souverain qui s’est prononcé.

      Oui, il faut s’en tenir fermement à l’enseignement de ce que Condorcet appelait « les vérités de fait et de calcul » faute de quoi on court à la division de la société. L’enseignement de l’histoire en fait évidemment partie mais non les histoires saintes des religions au demeurant extrêmement variables de l’une  à l’autre. Celles-ci sont en effet les réécritures de l’histoire pour rendre manifeste les desseins de Dieu et les mérites de son Eglise et de ses prophètes dans leur accomplissement. Il n’y a pas contrairement à ce que  pense  Debray qui ignore les travaux des spécialistes, de catégorie  de « fait religieux » dont il est d’ailleurs totalement incapable de fournir la moindre définition, et que l’on pourrait isoler au sein de la catégorie des faits historiques. Ce qui relève de l’imaginaire des hommes manifeste au contraire une étonnante continuité dans tous les aspects y compris cultuels.  

      Oui, les collectivités territoriales sont dans leur rôle en participant au financement des Musées Gallo-Romain de Lyon et Saint Romain en Gal. Mais la création d’un musée de l’histoire du Christianisme à Lyon, relevant de la vision catholique et pour une bonne part légendaire de cette période, appartient à l’histoire sainte et la subvention de 486000€ promise par la Mairie de Lyon doit être annulée.

      Oui, les collectivités territoriales sont dans leur rôle en veillant à la bonne qualité des repas offerts aux enfants. Mais en aucun cas l’espace public ne doit être concerné par les interdits alimentaires qui relèvent des opinions et de l’espace privé. Ceux-ci ne relève en rien de l’hygiène alimentaire mais de préceptes religieux. Le porc, qui fut le premier animal domestiqué au Moyen Orient, a été la base de l’alimentation de tous les peuples de la région pendant des millénaires. Après l’échec de l’offensive sur le voile abondamment financée par les pétrodollars des monarchies du golfe principalement, il y a là une nouvelle tentative plus sournoise de porter atteinte à la laïcité de l’espace public.

La lucidité sur cette offensive ne doit pas interdire d’agir avec humanité mais il faut mettre un terme à toutes ces dérives visant à ramener notre société à des pratiques archaïques millénaires. La France est elle-même quand elle accueille des migrants avec générosité mais il faut aussi que cette démarche trouve son écho dans les populations accueillies. Il faut défendre la civilisation qui est la notre ce qui d’ailleurs contribue à attirer des populations nouvelles.

      Oui il faut combattre toutes ces phrases creuses qu’on oppose à l’Instruction Publique. L’enfant au cœur du système scolaire est une banalité sans contenu car que serait un enseignement qui ne se préoccuperait pas de sa réception par ceux auxquels il est destiné. Par contre il faut revenir à un enseignement rigoureux avec un contenu riche, comme le voulait Condorcet, l’éducation à la logique et la raison étant la principale protection contre toutes les dérives. 

      Pour conclure, le pacte républicain est aujourd’hui attaqué de divers côtés. La laïcité de l’Etat est la condition sine qua non de la liberté de penser. En séparant de l’espace public, un espace privé, terrain d’élection des opinions sous réserve du respect des droits de la personne humaine, la laïcité est aussi le garant de la paix civile, de la fraternité et la solidarité entre les habitants de notre pays. Nous ne sortirons pas  des problèmes et difficultés actuels en cédant aux revendications particularistes de groupes divers, religieux  notamment. Il faut en appeler à la responsabilité et aux respect des autres, aussi bien l’Eglise catholique dont certains prélats cherchent à tirer des difficultés actuelles des avantages qui à terme compromettraient la paix sociale, que l’Islam qui doit, sous les formes qu’il lui revient de déterminer, se plier à la vie en société et à la constitution qui l’organise.

      Il ne s’agit donc nullement de toiletter ou amender la loi de 1905. S’appuyant sur le socle républicain dont elle est une pièce majeure, il faut au contraire parachever la grande réforme entreprise par Jules Ferry et aller, du moins c’est mon opinion personnelle, vers une Instruction Publique Laïque recouvrant la totalité de l’enseignement obligatoire et mettant un terme aux privilèges exorbitants de l’enseignement privé.

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