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Alain Trautmann, Didier Chatenay, Georges Debrégeas

15 février 2009

Pour une vraie réforme de notre système d’enseignement supérieur et de recherche.

Article publié sur le site de “Sauvons la recherche”

Alain Trautmann, Didier Chatenay, Georges Debrégeas 2009-02-15

Dans le débat actuel autour du système français d’enseignement supérieur et de recherche (ES&R), certains accusent ceux qui s’opposent aux projets gouvernementaux de n’avoir aucune proposition à faire, d’être partisans du statu quo. D’autres affirment que nombre des propositions faites lors des Etats Généraux de la Recherche de 2004 (EGR) auraient été largement prises en compte par le gouvernement. Ces deux critiques sont évidemment exclusives l’une de l’autre, et également contestables. Nous allons répondre à l’une et l’autre en montrant sur quelques exemples à quel point les évolutions mises en place par l’actuel gouvernement vont à l’encontre de la plupart des pistes explorées lors de ces Etats Généraux. Ceci permettra aussi de répondre à ceux qui suggèrent que le mouvement de 2004 était légitime, mais que le mouvement actuel ne le serait plus [1].

La question de l’emploi

Dès 2004, une des préoccupations fondamentales du mouvement “Sauvons La Recherche” a été la question de l’emploi scientifique et de la précarité grandissante dans le milieu académique. Il s’agissait d’un point central des EGR qui soulignait la nécessité d’un plan pluriannuel pour l’emploi. Ce point était tellement crucial qu’il avait été repris par François Fillon qui, dans son discours aux EGR à Grenoble, avait déclaré : “Je considère qu’il est absolument nécessaire de mettre en place un véritable plan pluriannuel de l’emploi scientifique, et la loi devra y faire référence.” Pour des raisons purement idéologiques, sans rapport avec la crise actuelle, le gouvernement a obstinément refusé de mettre en place un tel plan, alors que le coût de la création de 1000 postes dans l’ES&R (charges comprises) est de moins de 50 millions€, soit moins de 1.5% du Crédit Impôt Recherche (CIR) en 2009 [2]. Ce refus d’un plan pluriannuel pour l’emploi s’inscrit dans une politique globale de diminution de l’importance des services publics et de réduction systématique de la part de travail effectuée sur des emplois statutaires dans ce secteur. Nous affirmons que cette volonté dogmatique de destruction des services publics risque d’avoir des conséquences désastreuses, à la fois pour l’emploi et pour la qualité des services concernés, en particulier dans l’ES&R.

Evaluation des laboratoires a priori ou a posteriori, priorité à l’ANR ou aux établissements de recherche

Concernant le mode de financement des laboratoires, les EGR avaient conclu que l’essentiel de ce financement devait être versé sous la forme de crédits de base, et ajusté en fonction d’une évaluation quadriennale, combinant évaluation a posteriori et sur projets. En cas d’évaluation positive, un laboratoire signerait avec ses établissements de tutelle un nouveau contrat quadriennal avec une dotation pour 4 ans prenant en compte la qualité scientifique des travaux effectués et les besoins associés au projet à venir. Le financement sur projets courts ne devait constituer qu’un complément limité de cette dotation essentielle. Un corollaire de cette proposition était la garantie de l’autonomie des EPST [3] et des universités, et l’augmentation de leurs budgets, dont le montant était déjà notoirement insuffisant pour financer les recherches des équipes dont elles ont la charge. Les choix effectués actuellement sont diamétralement opposés : les EPST sont en cours de démantèlement, l’autonomie de leurs directions réduite à néant, leurs budgets en diminution constante (ce qui tue toute possibilité de politique scientifique), tout cela au profit du développement d’une agence gouvernementale, l’ANR [4] (dont la création a été décidée dès juillet 2004, donc avant les EGR), une agence qui finance des projets à court terme, majoritairement thématisés, et qui pratique essentiellement une évaluation a priori. Tout ceci n’empêche pas le gouvernement d’essayer de faire croire que l’ANR est une proposition des EGR !

Evaluation des personnes

Le Président de la République, dans son discours du 22 janvier 2009, a osé prétendre que les scientifiques n’étaient pas évalués et ne souhaitaient pas l’être, si ce n’est sous la forme de petits arrangements entre amis. Revenons sur la réalité des faits. Sur l’évaluation existante, régulière, de l’activité des chercheurs, les EGR avaient souligné que le principe de structures comme le Comité National de la Recherche Scientifique (CoNRS) ou les commissions de l’INSERM était bon, et devait être conservé, même si certains aspects de leur fonctionnement pouvaient et devaient être améliorés. Il était clairement proposé que les enseignants-chercheurs devraient eux aussi bénéficier d’une évaluation régulière de l’ensemble de leurs activités (enseignement, recherche, administration), et que cette évaluation (au niveau national pour la partie recherche – comme pour les chercheurs -, au niveau local pour les autres aspects de leurs activités) devrait être effectuée par les pairs, en satisfaisant à des principes de base tels que la collégialité, l’indépendance, l’existence de débats contradictoires. Il était souhaitable que les mêmes structures évaluent les personnes et les équipes de recherche (comme le fait le CoNRS), afin de garantir la cohérence de ces évaluations entre elles. Enfin, il fallait aussi mettre en place une évaluation souhaitée par les ingénieurs de recherche -pour leurs activités de recherche-, et pour les autres ingénieurs et techniciens, par métier. Toutes ces évaluations visaient à améliorer le fonctionnement du système en aboutissant à accélérer les promotions des personnes les mieux évaluées, et en aidant les personnes moins bien évaluées à améliorer leur travail.

La logique de la ’réforme’ est à nouveau à l’opposé de ces propositions. Au lieu de promotions accélérées, de multiples primes individuelles ont été mises en place, ouvrant la porte à des pratiques opaques et arbitraires. Les ingénieurs et techniciens sont oubliés. La structure mise en place, l’AERES [5], est composée uniquement de personnes nommées, n’évaluant que les structures. L’objectif qui lui est assigné n’est pas d’en évaluer les forces et les faiblesses, d’identifier d’éventuels dysfonctionnements, et de proposer de possibles améliorations ou réorientations, mais de les classer afin de pouvoir par la suite punir ou récompenser. L’AERES ne sert pas la recherche et l’enseignement supérieur, elle sert une politique de tri sélectif qui tient lieu de politique scientifique. Une étape-clé (le classement des laboratoires) doit être effectuée par un groupe très restreint (au mépris d’un fonctionnement réellement transparent, collégial, contradictoire), ce qui renforce le processus de bureaucratisation de la recherche. Qui peut prétendre qu’un tel monstre correspond aux souhaits des EGR ?

Un simulacre de Haut Conseil de la Science

Les EGR avaient demandé la création d’un Haut Conseil de la Science (HCS), composé de personnalités dans lesquelles la communauté scientifique se reconnaîtrait (en particulier, des membres des Conseils Scientifiques des EPST, des représentants des universités, du Collège de France etc…). Au lieu de cela, dans le HCST qui a effectivement été créé (avec un T comme technologie), toutes les personnalités ont été nommées par le gouvernement, ce qui constitue une excellente garantie pour que la communauté scientifique ne s’y reconnaisse pas. Le HCS que nous demandions aurait eu droit d’auto-saisine, et aurait rendu publics tous ses avis. Aucune de ces dispositions n’a été retenue. Le HCST créé est un détournement complet du HCS qui était demandé. Ses avis comptent tellement peu que, lorsque le gouvernement a ressenti la nécessité d’un ‘avis objectif’ sur les réformes du système ES&R, il a mis en place un “comité de pilotage” ad hoc de plus, et a purement et simplement ignoré la parodie de HCS qu’il avait créée 2 ans plus tôt…

Des PRES pour favoriser la coopération ou la concurrence ?

Les EGR avaient demandé la création de PRES (Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur). Les motivations sous-jacentes à cette proposition étaient les suivantes. Les petites universités ont une utilité certaine, car elles proposent sur tout le territoire des lieux dispensant une formation supérieure, et contribuent à la vitalité de la région. Pour beaucoup de familles modestes n’ayant pas les moyens de payer un logement à un jeune étudiant dans une ville éloignée, ces petites universités sont importantes. Elles ne peuvent évidemment toutes être pluridisciplinaires, et avoir en leur sein des laboratoires de recherche de haut niveau dans tous les domaines. La présence dans le même réseau de plusieurs petites universités, et si possible d’une plus grande, devrait permettre de résoudre, au niveau d’un PRES, le problème de la pluridisciplinarité et du rattachement à un laboratoire de recherche de haut niveau. Le principe de base était donc de renforcer coopération et solidarité. Ce qui nous est proposé dans les PRES que le gouvernement met en place, répond à des principes parfaitement opposés. A la place de la coopération, on nous propose la compétition et la concurrence à outrance. A la place de rapprochements indispensables, particulièrement en province, on voit se mettre en place des alliances purement stratégiques chacune visant à être la plus grosse structure qui permettre d’écraser les concurrents dans la compétition pour le classement de Shangaï, et pour obtenir la plus grosse dotation gouvernementale possible, au détriment de celle accordée aux PRES concurrents.

Ces exemples suffisent à notre démonstration : il est absolument faux de prétendre que les opposants aux contre-réformes gouvernementales en matière d’ES&R n’ont fait aucune proposition et souhaitent l’immobilisme et le statu quo. [6] Il est tout aussi faux de prétendre que les décisions gouvernementales auraient pris en compte les propositions des EGR. Le gouvernement s’est inspiré des mots des EGR, pour en détourner, et même en retourner complètement l’esprit et le sens. Il y a incompatibilité totale entre la logique des EGR (renforcer notre capacité à produire et transmettre des connaissances, dans une logique de ’bien commun’, de démocratisation dans l’accès au savoir, dans un esprit de coopération) et la logique gouvernementale. Cette dernière ne vise pas à réformer notre système d’ES&R, mais littéralement à le défigurer, à le forcer à abandonner une logique de service public pour lui imposer celle d’une entreprise dont les maîtres-mots seraient rentabilité et gestion managériale.

[1] Voir par exemple “Sauvons la recherche… des chercheurs !”, tribune d’un haut fonctionnaire dans Le Monde du 21 février 09.

[2] Notons qu’un rapport de la Cour des Comptes de 2008 a souligné l’efficacité très douteuse du CIR pour la part -dominante- versée aux grandes entreprises.

[3] Etablissements Publics Scientifiques et Techniques

[4] Agence Nationale pour la Recherche

[5] Agenced’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur

[6] Au-delà des EGR, notons que de nombreuses structures (CPCNU, CoNRS, CS des universités, etc.) ont fait au cours des années des propositions d’amélioration de leur fonctionnement interne, et que celles-ci ont été systématiquement ignorées lors de l’adoption des lois nouvelles qui prétendaient les réformer.

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