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Bernard Graber

02/10/2008

Pourquoi les banques ont-elles une telle responsabilité dans les crises ?

Parce que leur pouvoir sur l’activité économique est beaucoup plus grand qu’on ne le croit habituellement : elles sont à l’origine de la plus grosse partie de la masse monétaire ; la dérégulation mondiale et la sophistication croissante des produits financiers les rend partenaires d’immenses opérations au bénéfice de la finance beaucoup plus que de l’économie ; elles échappent de plus en plus au contrôle du politique cependant seul dépositaire de la légitimité démocratique et en charge de la bonne marche de l’économie.

Elles créent de la monnaie par leur droit de faire « travailler » l’argent qui leur est confié en dépôt. Les divers crédits qu’elles ouvrent dépassent largement les fonds dont elles disposent. Ces crédits (prêts, autorisations de découvert) constituent un argent qui peut être dépensé et s’ajoute donc à celui des dépôts (comptes en banque, livrets d’épargne…) qui reste à la disposition de leurs propriétaires. On peut dire qu’une banque commerciale crée de la monnaie à l’instant où elle conclue un contrat de prêt avec un emprunteur. Ces crédits se font en échange d’une créance que la banque considère comme un actif à partir duquel elle va pouvoir consentir de nouveaux prêts. On parle d’un effet multiplicateur du crédit. Cette monnaie créée par les banques souvent par le simple jeu d’écritures est appelée ‘scripturale’. Sa masse peut atteindre jusqu’à plus de10 fois celle de la monnaie ‘fiduciaire’ des banques centrales (billets, pièces) gérée avec beaucoup plus de rigueur puisque maintenue stable aux variations du PIB près et garantie par les Etats. De plus, les banques se prêtent entre elles si bien qu’une énorme masse de capitaux est en circulation constante générant d’énormes profits certes parfois risqués mais autrement faciles que ceux de l’activité économique non financière. 

La liberté des banques d’ouvrir des crédits est, évidemment, limitée par la loi pour protéger les déposants mais aussi les banques contre elles-mêmes dans la mesure où elles peuvent être tentées d’abuser de leur droit à ces jeux d’écriture d’un si bon rapport. Il existe un système de réserves obligatoires imposant aux banques de conserver un certain taux de ‘liquidités’ et à placer sur un compte de dépôts auprès de la banque centrale une ‘fraction’ des crédits qu’elles accordent (‘réserves fractionnaires’) ce qui fixe une limite quantitative à la création de crédits. D’autre part, une convention internationale (accords de Bâle II en 2004) prescrit de tenir compte de la qualité de l’emprunteur, établit une procédure de surveillance de la gestion des fonds propres et préconise une discipline du marché comportant la transparence dans la communication des établissements. Ces règles ne suffisent pas à garantir la sécurité du système et Maurice Allais, notre unique prix Nobel d’économie (1988), a pu écrire : « L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile ». 

Il est bien évident que les recommandations de bonne conduite ne valent que dans la mesure où elles sont soutenues par un appareil de contrôle, national ou international, doté d’un pouvoir de sanction. Le néolibéralisme en vigueur a obtenu, au contraire, la réduction de contrôles considérés comme un frein à la liberté de l’entreprise jugée essentielle au développement de l’économie. 

La création inconsidérée de crédits a une autre conséquence qui est celle de toute production excessive de monnaie : la montée des prix. Celle-ci peut être générale ou limitée à certains secteurs (valeurs boursières, œuvres d’art, entreprises d’Internet, immobilier) provoquant la constitution de ‘bulles’. Ces bulles sont gonflées par l’usage des crédits ‘à terme’ qui anticipent sur l’augmentation de la valeur du bien. Elles sont d’autant plus destinées à exploser que cette augmentation de valeur est factice et seulement la conséquence de cet afflux de monnaie virtuelle. 

Le système repose sur les anticipations de remboursements des crédits qui sont comptés dans les liquidités. Quand les remboursements anticipés se font mal, les liquidités diminuent, le ratio crédits/liquidités n’est plus respecté et les banques ne peuvent plus prêter y compris aux clients sérieux qui peuvent être conduits à des dépôts de bilan pour de minimes problèmes transitoires de trésorerie, ce qui étend à l’économie une crise au départ purement financière. Les banques doivent alors réaliser certains de leurs actifs pour reconstituer leurs liquidités mais si ces actifs sont devenus ‘toxiques’ comme les subprimes, non seulement ils ne sont plus monnayables mais ils doivent être retirés des actifs et une cascade de catastrophes peut alors s’enclencher.

 C’est ce qui est arrivé aux USA où deux géants américains de la finance, Bear Stearns en mars et Lehman Brothers en septembre ont mordu la poussière en quelques jours par la multiplication des défauts de paiements et des défaillances d’entreprises et par l’accumulation d’actifs toxiques qui leur faisaient refuser des prêts par les autres banques. Le cas de Bear Stearns est exemplaire. Début mars 2008, le montant de son pôle de liquidités tournait, comme d’habitude, autour de 20 milliards de dollars. Le lundi 10 mars, il était encore de 18,1 milliards de dollars. Le lendemain, il chute à 11,5. Le jeudi, il se retrouve réduit à 2 milliards de dollars, 10 fois moins que la semaine précédente. Le vendredi Bear Stearns n’a plus d’argent frais et n’arrive pas à vendre ses actifs. C’est la chute. Une recapitalisation est alors indispensable. La Fed volera à son secours, puis JP Morgan la rachètera. [http://www.journaldunet.com/economie/finance/dossier/].

 Le Congrès s’opposera à ce que le même traitement soit appliqué à Lehman Brothers par refus de faire intervenir l’Etat dans le domaine économique pour les uns ou de faire endosser aux contribuables les fautes des banquiers pour les autres, mais ce refus risque de coûter beaucoup plus cher quand il faudra faire face à des dégâts en chaîne bien plus considérables.

 La crise actuelle aurait sans doute pu être évitée par le respect plus strict des accords de Bâle mais les facilités des profits financiers étaient trop grandes, la tentation du gain trop forte et, sans doute, le niveau moral des agents économiques néolibéraux trop bas, pour s’en tenir au fonctionnement normal du système financier et à sa juste rétribution. 

Il faut espérer que cette crise aura le mérite de briser l’utopie néolibérale et de ramener un peu de bons sens et de moralité dans les mœurs économiques. 

Voir aussi

http://fr.wikipedia.org/wiki/Création_monétaire
http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_multiplicateur_du_crédit
http://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_dérivé_(finance)
http://www.chomage-et-monnaie.org/Documents_pdf/QRFAQQuantite.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bâle_II

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