
Françoise Olivier-Utard
1er juin 2014
Rapport de l’Observatoire de la laïcité
Le rapport annuel 2013-2014 de l’Observatoire de la laïcité a été publié en mai dernier. C’est un document volumineux, qui commence par rappeler les objectifs que s’était donnés l’Observatoire : informer, transmettre, proposer et observer.
Il débute par quatre avis sur des questions d’actualité : sur la charte de la laïcité à l’école, sur l’encadrement du fait religieux dans les structures privées de la petite enfance ( à partir de l’affaire de la crèche Baby-Loup), fait un rappel à la loi et propose l’instauration d’une journée nationale annuelle de la laïcité le 9 décembre. Dans la foulée, l’Observatoire a établi trois guides destinés à éclairer ceux et celles qui souhaitent élaborer des règlements intérieurs sur les limites à respecter pour rester conformes à la loi : pour les collectivités locales, pour les entreprises privées, pour les structures socio-éducatives. Ces avis et dossiers sont documentés et détaillés. L’Observatoire se fonde sur le rôle de l’État comme garant, par sa neutralité, du libre exercice de la liberté de conscience et de religion et sur le code du travail, qui prévoit que dans certaines circonstances, il peut être institué dans les entreprises privées des restrictions à la liberté d’exercice des pratiques religieuses (hygiène et sécurité, identification de la personne, nature de la tâche à accomplir, image de l’entreprise et paix sociale dans l’entreprise par l’interdiction du prosélytisme ou de pressions exercées sur des coreligionnaires). Ces mesures doivent être justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Il faut ajouter que la loi prévoit expressément que les entreprises dites de tendances (dont la raison d’être est religieuse, syndicale ou politique) peuvent pratiquer une sélection basée sur des considérations religieuses ou politiques. L’Observatoire se positionne contre toute nouvelle loi qui mettrait en cause le code du travail actuel et estime qu’une meilleure connaissance des textes en vigueur concernant les possibilités de limitation de l’expression individuelle des convictions et pratiques religieuses permettrait d’éviter un certain nombre d’impasses. Il maintient donc que la laïcité est un principe d’organisation sociale et non une conviction parmi des convictions de type religieux.
Le rapport de l’Observatoire se poursuit par un état des lieux du principe de laïcité en France (initiatives locales, écoles, burka, outre-mer, établissements de santé, sports, entreprises privées, perception internationale de la laïcité française, établissements scolaires français à l’étranger).
Il rend ensuite compte des auditions des représentants des principales religions de France, des responsables des principales obédiences maçonniques et enfin celles de responsables d’associations promouvant la laïcité.
L’Alsace-Lorraine
La dernière partie du rapport rassemble des interventions individuelles ou de représentants des ministères. A cette occasion le rapport traite de la situation des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle dans deux interventions, qui toutes les deux posent des questions graves et donnent des approches décevantes sinon dangereuses pour l’avenir.
La contribution de Nicolas Cadène (p. 227-231) concerne le statut des cultes et analyse la décision du Conseil constitutionnel du 23 février 2013 suite à la QPC de l’association APEL concernant la constitutionnalité du paiement de salaires aux ministres des cultes protestants en Alsace-Moselle.
L’auteur rappelle (il faut le souligner car c’est souvent mis de côté) le caractère transitoire et provisoire du maintien, en 1919 puis en 1924, des lois napoléoniennes et allemandes : tant que les lois françaises n’auront pas été introduites, les lois anciennes seront appliquées et constituent le droit local. C’est tout, et c’est beaucoup, mais ce n’est pas une nouveauté. Même le très régionaliste Institut de droit local le reconnaît : la loi s’applique, avec un principe d’obligation, tant qu’elle n’est pas modifiée par une nouvelle loi. Le statut des cultes napoléonien s’applique donc tant que la loi qui l’institue n’est pas changée. Le Conseil constitutionnel ne peut se prononcer sur la compatibilité des lois françaises et des lois locales quand les lois françaises ne s’appliquent pas. Le seul moyen de s’attaquer aux lois napoléoniennes est de les supprimer et d’introduire les lois françaises. A question mal posée, réponse décevante : le salariat des pasteurs (question soulevée en QPC l’an dernier par l’APEL) est conforme à la constitution. On tourne autour du pot pour ne pas poser la seule question susceptible de faire bouger les lignes : quand va-t-on introduire les lois laïques en Alsace-Lorraine ?
L’argument donné par l’auteur de la communication pour expliquer près de 100 ans de lois napoléoniennes est celui de « l’attachement de la population à ses pratiques religieuses ». Ce n’est pas tout à fait exact : le débat public sur le statut des cultes n’a jamais eu lieu. La population n’a jamais été sollicitée pour donner son avis sur cette question. Le débat a été escamoté en 1919 et remplacé par un débat sur « l’école sans Dieu » en 1925, mené par le très fanatique évêque catholique Ruch dans les campagnes, et soutenu par la Ligue des catholiques (en France) à la tête de laquelle se trouvait le général de Castelnau, convaincu qu’à partir de là les lois laïques pourraient être renversées. Le débat a été tronqué volontairement par les autorités religieuses qui voulaient défendre leurs privilèges. En 1945, le MRP, puis toutes les forces antilaïques réunies autour de Michel Debré, ont fait pression sur le Parlement pour l’éviter à nouveau, avec le même argument. Cela aurait mérité d’être dit, pour éclairer l’opinion de tous les citoyens. Mais M. Cadène va beaucoup plus loin en concluant que le Conseil constitutionnel consacre ainsi une laïcité de cohabitation (terme déjà utilisé par lui dans le rapport d’étape et que nous avions dénoncé). Il est difficile pour un esprit rationnel de considérer ensemble séparation et cohabitation.
On aurait aimé aussi que des chiffres soient fournis : combien de ministres des cultes sont salariés, à quelle hauteur, à quelles conditions ? Combien de bâtiments sont financés ?
Dans la deuxième communication touchant l’Alsace-Moselle, celle de Mme Catherine Moreau, directrice des affaires juridiques du ministère de l’éducation nationale et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (p. 265-267), la question de fond est exactement la même. Le texte est une présentation confuse, mal informée et partiale du régime de l’enseignement public en Alsace-Moselle. L’auteure n’en est pas à une contradiction près. Elle commence par une allusion à la loi du 9 décembre 1905, ce qui est une erreur car cette loi ne visait pas l’enseignement mais le statut des cultes puis se reprend à la page suivante, en disant que « contrairement à l’opinion reçue» (l’opinion de qui ?), le statut scolaire n’a rien à voir avec le Concordat. C’est juste mais insuffisant car toutes les associations laïques ont envoyé au ministère et à Mme Moreau en particulier des courriers documentés sur la question. Tout le monde sait que la seule introduction de la loi de 1905 en Alsace Moselle aujourd’hui ne réglerait rien concernant l’enseignement de la religion à l’école publique. Pour supprimer la loi Falloux et les lois allemandes sur l’école, ce sont les lois de Jules Ferry qui doivent être introduites.
De même la référence à l’arrêt du Conseil constitutionnel concernant la société Somodia (à propos du travail du dimanche) est une gymnastique compliquée pour justifier seulement l’existence d’un droit local concernant le code du travail. Cela n’a rien à voir avec l’école.
Remarquons aussi que les textes régissant l’enseignement obligatoire de la religion sont allemands, qu’il a fallu 95 ans pour qu’on s’en rende compte et qu’ils viennent seulement d’être traduits (avec apparemment un glissement d’interprétation important : « dans toutes les écoles, l’enseignement et l’éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et les respect des pouvoirs établis et des lois » signifie que l’État a obligation d’organiser l’enseignement religieux mais n’implique pas l’obligation pour les parents d’inscrire leur enfant en religion, comme l’a fait remarquer le Cercle Jean-Macé du Bas-Rhin.
De ce panorama il résulte pour Mme Moreau que le « caractère obligatoire de l’enseignement religieux aussi bien dans l’enseignement primaire que secondaire a une base législative. C’est la même question que plus haut : tant que les lois laïques ne sont pas introduites, les lois anciennes se maintiennent, ici la loi Falloux (contre laquelle les députés alsaciens avaient d’ailleurs voté en 1850!)
Mais le plus inquiétant est dans la suite car la deuxième partie du texte a pour titre : « L’existence d’une dispense assure la constitutionnalité et la conventionalité de l’enseignement religieux ». Ah qu’en termes choisis ces choses-là sont dites ! Mais qui peut s’en satisfaire ? Quoiqu’on dise, une dispense est un droit négatif. On demande à être dégagé d’une obligation. Cette possibilité n’existait pas dans le code allemand, elle n’a été ouverte, à la demande pressante des laïques de l’époque, qu’en 1933, par la circulaire Guy La Chambre, et maintes fois remaniée, le plus souvent d’ailleurs dans un sens restrictif.
Notons aussi que le ministère ne semble pas connaître les décisions du recteur : pour la rentrée prochaine des lycées et collèges, le formulaire d’inscription en cours de religion fait de la religion un cours optionnel. Les parents ne sont plus tenus de demander une dispense. Ils déclarent (ou l’élève lui-même s’il est majeur) s’inscrire ou non en cours de religion. C’est une victoire non négligeable des associations laïques qui demandaient de longue date ce type d’aménagement en attendant des progrès plus décisifs. Mais c’est une victoire à la Pyrrhus : la déclaration initiale est censée être valable pour toute la scolarité et dès la page 2 de la circulaire rectorale remise aux parents, revient la demande de dispense, possible certes, mais seulement en fin d’année scolaire. Il n’est donc pas exact de dire que la dispense peut intervenir à tout moment. Il n’est pas non plus envisagé qu’un dispensé rentre dans le rang et demande à suivre l’enseignement religieux. Le formulaire n’est pas adapté à ce cas de figure.
Pour faire avancer la compréhension de la situation, on aurait aimé trouver ici aussi quelques chiffres, sur le nombre d’élèves qui suivent les cours de religion (les statistiques anciennes donnent, avec une baisse régulière, 65% en primaire, 35% en collège, 12% en lycée en moyenne mais il faut nuancer selon qu’on est à la campagne ou en ville, dans tel département ou dans tel autre). On aurait aimé savoir aussi, puisque le recteur le demande aux chefs d’établissement, combien il y a d’enseignants de religion, combien d’intervenants, quels sont les effectifs des classes, comment les enseignants complètent dans d’autres matières leur service… Ces chiffres ne sont pas faciles d’accès. Pourquoi ? Ils avaient leur place dans un rapport de l’Observatoire de la laïcité. L’UR exigera de les obtenir.
Il est inutile de noyer le poisson, d’évoquer des questions juridiques complexes (constitutionnalité, conventionalité, voie réglementaire, voie législative etc) quand il s’agit de traiter une seule question de fond : veut-on ou non introduire les lois laïques sur l’ensemble du territoire national ou veut-on se débarrasser de la loi commune pour satisfaire les intérêts de communautés religieuses ?
Le rapport et donc très décevant et peu documenté sur la question de l’Alsace-Moselle. Une lueur d’espoir est cependant donnée par le programme de travail 2014-2015 de l’Observatoire : la question des sept régimes cultuels et le droit local spécifique à l’Alsace-Moselle » (point 4) sera abordée, ainsi que la laïcité à l’université (point 11). L’UR a demandé à être auditionnée sur ces points.