
Claude Stephan et François Clapier
18 mai 2010
A propos de sortie du nucléaire
La catastrophe nucléaire au Japon qui fait suite à celles de Tchernobyl et Three Mile Island amène tout un chacun à se poser des questions sur l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. Faut-il pour autant sortir du nucléaire comme le réclament certains. Au delà de ces derniers, il est vrai que le questionnement qui s’installe ou est renouvelé chez beaucoup est légitime.
Il y a cependant des choses évidentes qu’il faut rappeler: un réacteur nucléaire ne peut en aucun casse transformer en bombe atomique et la dangerosité des radiations dépend des doses que l’on peut recevoir après un accident nucléaire (voir le texte sur les doses mis en appendice dans le texte sur la catastrophe au Japon). Nous sommes soumis en permanence à des rayonnements dus à la radioactivité naturelle. Il y a un seuil en dessous duquel on peut considérer que le danger de développer un cancer est nul.
Après l’accident de Tchernobyl, bien plus grave puisqu’il y a eu explosion avec éjection partielle du cœur, un nuage radioactif s’est propagé dans l’atmosphère. Les autorités françaises de sûreté nucléaire n’ont jamais caché qu’il était passé au dessus de la France mais en précisant qu’il était sans conséquence pour la santé C’est un mythe inventé par les journalistes que de prétendre que l’on avait caché la vérité. La formule «le nuage s’est arrêté aux frontières » est devenue pour les Français l’évidence d’un mensonge de nos autorités. C’est inexact. On peut sur ce sujet conseiller la lecture de l’excellent livre de Bernard Lerouge publié aux éditions l’HARMATTAN sous le titre Tchernobyl un nuage passe et qui met les choses au point.
Si cette nouvelle catastrophe devait conduire à une sortie du nucléaire. Il faut bien en mesurer les conséquences.
Quoi qu’on en dise, le choix actuellement serait alors de recourir de façon plus importante aux énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz. Ce sont d’ailleurs les solutions adoptées par les pays qui refusent le développement du nucléaire : Italie, Allemagne, Danemark, contribuant de façon importante à la pollution atmosphérique et à l’émission de gaz à effet de serre. Eventuellement, elles importent en même temps de l’électricité de nos centres de production nucléaire. Le problème du climat qui concerne la planète entière est bien plus grave qu’une contamination radioactive locale et plus limitée dans le temps.
Comme il n’y a pas d’activités sans risques. Alors que les morts dus à des accidents nucléaires même différés sont limités (y compris après Tchernobyl), c’est par milliers chaque année que l’on compte les morts dans les mines de charbon. L’explosion dans une mine au Pakistan, la même semaine que l’accident de Fukushima, et qui a fait 73 morts, est passée inaperçue car considérée comme un événement tout fait normal. Les explosions de plates formes pétrolières et la pollution s’en suivant semble oubliée. On diabolise le nucléaire en oubliant que la catastrophe naturelle survenue au Japon a emporté des dizaines de milliers de vies.
Les pays qui veulent éviter d’utiliser l’énergie nucléaire essaient de développer les énergies renouvelables mais celles-ci sont incapables à elles seules de subvenir aux besoins en énergie d’un pays développé Faire accroire qu’il suffirait d’injecter des sommes considérables dans la recherche pour obtenir une production autosuffisante est une illusion, sans parler de délai de disponibilité. Quand il n’y a pas de vent, les éoliennes ne tournent pas, alors que ce sont les moments où on en aurait le plus besoin car ce sont les jours où il fait très froid ou bien très chaud en raison de la présence d’un anticyclone. Quant à l’énergie solaire, la production sera toujours limitée car la nuit restera la nuit et le stockage de l’électricité est impossible avec un bon rendement. Ceci n’empêche qu’il faut faire des recherches dans ces domaines car des progrès sont possibles en particulier pour l’énergie solaire. Les détecteurs multicouches actuellement développés ont des rendements bien supérieurs aux détecteurs actuels au silicium et devraient être moins voraces en énergie pour leur fabrication. Ils ont des rendements de l’ordre de 40% et pourraient encore s’améliorer, à comparer aux rendements de l’ordre de 15% pour les cellules photovoltaïques actuelles. D’autres voies, comme par exemple les hydroliennes, le solaire thermique, les pompes à chaleur, la géothermie là où elle est aisément exploitable, doivent être aussi développées. Mais il sera difficile de satisfaire tous les besoins grâce à ces technologies uniquement alors qu’on envisage de développer les transports par train, de fabriquer des voitures électriques, signifiant toujours plus de production d’électricité. Il va falloir satisfaire aussi à la demande des pays émergents. Une multiplication par un facteur deux de la demande mondiale est à prévoir dans les années qui viennent malgré les économies d’énergie que nous allons devoir réaliser dans nos pays développés. Le développement de pratiques de comportement, de procédés techniques et d’équipements économes en énergie reste souvent à l’état de vœux.
L’énergie nucléaire civile doit donc continuer à être utilisée comme une énergie très concentrée et décarbonée. Mais elle doit aussi faire l’objet de toujours plus de sûreté. En particulier, suite à cet accident au Japon, on voit qu’il faut mieux mesurer les risques que pourraient provoquer d’éventuelles inondations. Il faut aussi rendre le confinement suffisant pour qu’une évacuation des populations ne soit pas nécessaire pour limiter leur exposition aux radiations. Comme pour les énergies renouvelables, il devient indispensable d’accélérer les recherches sur les réacteurs dits de quatrième génération pour que les combustibles que sont l’uranium et le thorium soient consommés avec plus d’efficacité, avec comme corollaire une meilleure gestion des déchets. D’autre part, concernant les sites existants, un contrôle est effectué actuellement par l’IAEA (International Atomic Energy Agency) un organisme international basé à Vienne, en Autriche. Il a un rôle contraignant en ce qui concerne la prolifération des armes nucléaires. Par contre, sa mission se limite à faire des recommandations concernant la sûreté des centrales pour la production d’électricité. Dans le cas du site et de l’installation de Fukushima, les recommandations suite à l’accident de Three Mile Island ne semblent pas avoir été suivies d’effets. Assigner un rôle d’autorisation et de contrainte à cet organisme international est hautement souhaitable. Le problème se pose aussi de savoir s’il est judicieux de faire exploiter de telles installations par un opérateur privé dont le but premier est de réaliser des profits, et qui pourrait peut-être avoir tendance à faire passer au second plan les questions de sûreté. L’expérience de TEPCO et d’autres entreprises montre que la production d’énergie n’est pas une activité marchande comme une autre ; elle est à considérer comme un bien commun à confier à un service public qui ne devrait pas être soumis aux lois du marché.
L’humanité (primitive) est passée d’une ère de recours à l’énergie constituée par la biomasse à une époque contemporaine de dépendance à des énergies essentiellement fossiles. La sécurité des approvisionnements, le risque climatique, les accidents de production, l’inégalité d’accès à la consommation d’énergie appellent à terme un bouquet énergétique plus diversifié : plus renouvelable, plus durable, plus économe.