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Hélène Langevin-Joliot

Membre de l’UR

22/12/2007

Culture scientifique, culture et démocratie

           La science est malheureusement aujourd’hui, pour l’essentiel, un domaine extérieur à la culture y compris celle des « élites » intellectuelles et politiques. Cette situation, qui n’est certes pas entièrement nouvelle, interroge en ce début de xxie siècle. Elle a de quoi inquiéter alors que la science et la technologie jouent un rôle plus grand que jamais. Les sociétés modernes affichent des besoins croissants de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens. Or, de nombreux rapports pointent depuis quelques temps une désaffection des jeunes pour les métiers scientifiques, en France, mais aussi en Europe et aux États-Unis. Ces contradictions, la trop faible pénétration de la culture scientifique dans les différentes couches de la population ont de multiples causes, parmi lesquelles il faut mentionner des attitudes de méfiance envers la science, jugée « responsable » d’un mode de développement économique déstabilisateur.

           Les progrès scientifiques ont incontestablement contribué à rendre possible l’allongement considérable de l’espérance de vie et l’amélioration du niveau de vie moyen que nous connaissons dans les pays développés, et dans une moindre mesure dans le reste du monde.
Mais dans le même temps, le développement de l’économie que ces progrès ont permis s’est accompagné d’un gaspillage des ressources, d’atteintes graves à l’environnement qui concernent l’ensemble de la planète et mettent en cause son avenir, de tensions dans les sociétés sommées de se moderniser sans trop d’égards pour les individus. Le rôle de la science et la notion même de progrès s’en trouvent contestés.
           La nécessité de débats démocratiques sur les grands choix scientifiques et technologiques s’est à juste titre imposée dans la dernière partie du siècle dernier. La rapidité des évolutions fait que le sentiment que plus rien n’est maîtrisé, tend à prévaloir et il y a beaucoup à faire pour créer les conditions de débats constructifs. Une de ces conditions est d’inscrire ces débats dans une analyse réaliste des éléments qu’il faut impérativement modifier dans notre mode de développement, si nous voulons préserver l’avenir. Une autre est de tout faire pour combler le fossé d’incompréhension qui se creuse entre les « experts scientifiques » et les citoyens. Il en va de la démocratie. Développer la culture scientifique est alors sans nul doute un objectif aussi nécessaire en ce début du xxie siècle que le fut l’alphabétisation en d’autres temps.
A la question : quelle culture scientifique ? Pourquoi et pour qui ?
on voit bien déjà qu’on ne saurait répondre en s’en tenant aux seules considérations relatives aux métiers scientifiques.

           Une définition de la culture
           Les réflexions qui suivent s’inscrivent dans les préoccupations constantes de l’Union rationaliste depuis sa création en 1930. Des hommes comme le doyen de la faculté de médecine Henri Roger, le physicien Paul Langevin ou le grammairien Albert Bayet se proposent alors de « faire connaître dans le grand public l’esprit et les méthodes de la science ». Ils sont rejoints pour défendre la science et la culture par des femmes et des hommes de lettres fort connus, comme Anna de Noailles ou Philippe Soupault. La nouvelle association organise des conférences, certaines mémorables sur la relativité, les questions posées par la mécanique quantique, les percées récentes dans le monde de l’atome et du noyau. Ces conférences sur la science moderne sont l’occasion d’illustrer les méthodes de la science et l’évolution des concepts. Pour Paul Langevin, elles s’inscrivent dans les réflexions plus larges qu’il développe depuis longtemps sur l’enseignement scientifique, sur l’histoire des sciences et sur la culture.
           Le terme de « culture » est d’une grande ambition. La culture de notre temps peine à intégrer dans son ampleur l’héritage des civilisations qui se sont succédé au fil des siècles. Appréhender, ne serait-ce que superficiellement l’œuvre du passé pour mieux comprendre l’œuvre du présent, dépasse les capacités d’un individu. L’époque des philosophes-savants est révolue et même celle de « l’honnête homme » au fait des connaissances et des idées de son époque. On est donc tenté de s’intéresser seulement à certaines composantes de la culture, en excluant généralement la science. La culture générale, écrivait Langevin, « c’est ce qui permet à l’individu de sentir pleinement sa solidarité avec les autres hommes dans l’espace et dans le temps, avec ceux de sa génération comme avec les générations qui l’ont précédé et celles qui le suivront. Être cultivé, c’est donc avoir reçu et développer constamment une initiation aux différentes formes d’activité humaine…» [1]). La culture scientifique prend tout sa signification dans ce cadre, avec la culture littéraire ou artistique. Une telle définition de la culture générale peut paraître très ambitieuse, elle est plus réaliste qu’il n’y paraît. Il s’agit de la construction de repères et d’initiation, pas de l’accumulation de connaissances spécialisées, a fortiori de compétences, qui prend sens dans une conception « dynamique » de la culture. Cette construction implique très certainement que les connaissances de base, à commencer par le « lire, écrire compter » soient solidement acquises. Au-delà, « L’enseignement ne peut donner, en réalité, qu’un commencement de culture, qui met l’individu à même de désirer et de goûter celle-ci ».
           On peut douter que tous les élèves obtenant leur baccalauréat aujourd’hui, aient acquis ce goût et ce désir de culture, notamment de culture scientifique. Qu’en était-il pour les élèves de familles généralement aisées terminant leurs études dans les lycées des années 1930, alors que la majeure partie des jeunes passait directement de l’école primaire à l’usine ? La situation ne devait pas être excellente, si l’on en juge par les critiques et les propositions avancées par Langevin, alors président de la Société française de Pédagogie. Nombre d’entre elles restent aujourd’hui sources d’inspiration : rôle de l’apprentissage de l’observation et de l’expérimentation, lutte contre le dogmatisme, appel à l’histoire des sciences et des civilisations.

           Culture scientifique et enseignement
           La prise de conscience de la trop faible pénétration de la culture scientifique dans les différentes couches de notre société moderne auxquelles elle est pourtant si nécessaire, a suscité de très nombreuses initiatives au cours des dernières années. Les organismes de recherches et les Universités en sont des partenaires essentiels, mais aussi des collectivités locales, des sociétés savantes et des associations qui apportent leur concours enthousiaste. Les bars des sciences se sont multipliés, ainsi que les expositions et l’offre de conférences. Le succès des Fêtes de la science qui se tiennent chaque automne, principalement en direction des jeunes, ne se dément pas.
Toutes ces initiatives contribuent sans nul doute à rendre la science plus proche et plus vivante pour les jeunes et aussi les moins jeunes, et à l’inclure dans une culture partagée.
           Il reste que l’enseignement, depuis le primaire jusqu’à l’université, joue un rôle majeur dans la manière de concevoir la science dans la culture ou à côté d’elle. Or, tout se passe comme si le rôle « utilitaire » de la science tendait à masquer sa valeur culturelle. La conception de l’enseignement s’en ressent. L’enseignement scientifique est souvent décrit de l’intérieur comme trop difficile, pas assez stimulant pour les élèves auxquels les mathématiques font peur, trop touffu et/ou trop dogmatique en ce qui concerne les sciences expérimentales, tout particulièrement la physique, trop coupé des autres enseignements. Son rôle déterminant dans la « sélection des élites » qui s’opère dans les classes de première et terminale scientifiques contribue à décourager des élèves peut être moins classiquement brillants, mais aptes à enrichir ensuite le « commencement de culture » reçu au collège et au lycée.
           L’initiation à la science est en cours de rénovation dans le primaire avec le programme « La Main à la Pâte ». Cette aventure passionnante repose sur le questionnement, la sollicitation de l’imagination, de la curiosité et de l’intelligence des enfants, sur la combinaison de la pratique de l’expérimentation et de la réflexion. Sa réussite se mesure à l’implication généralement forte des enfants, les progrès s’étendant aussi à leur expression orale et écrite. L’extension de ce type d’approche à l’enseignement au collège commence à être expérimenté. Il doit prendre en compte les contraintes de l’organisation de l’enseignement, délivré par des professeurs de disciplines différentes.
Il ne s’agit pas de gommer leurs spécificités. La maîtrise par chaque professeur du domaine couvert par sa discipline, est certainement un avantage croissant au fur et à mesure que les programmes des classes successives deviennent plus ambitieux. Le cloisonnement excessif entre disciplines et la lourdeur des contraintes font obstacle cependant au développement d’un enseignement préparant tous les jeunes à un monde où la science et la technologie sont omniprésentes. Alléger les programmes est probablement le prix à payer pour développer les contacts entre les enseignants des différentes disciplines scientifiques, littéraires, artistiques, pour établir sur certains thèmes d’intérêt commun un enseignement croisant les approches.
           Chacun reconnaît que l’enseignement scientifique doit avoir une ambition plus large que l’énoncé des faits d’observation ou d’expérimentations, les explications relatives aux lois qui permettent de décrire le réel, l’introduction des concepts. Un peu d’histoire des sciences devrait y trouver place. Les élèves, certes, ne pourront jamais redécouvrir par eux-mêmes ce que des générations de chercheurs ont découvert. Mais il doit être possible de leur faire approcher sur des exemples le processus de la découverte scientifique, fut-elle de faible importance : un processus de remise en question des idées établies, que des intuitions issues de faits nouveaux, de rapprochements inattendus ou simplement des mesures plus précises, bousculent… Un nouveau domaine qui s’ouvre à la curiosité du chercheur.
Ce processus ne remplace pas une « vérité » par une autre, comme cela est souvent affirmé. Il s’agît d’une adaptation au réel, ce qui est fort différent. Le chercheur, qui est curieux, travaille à acquérir des connaissances nouvelles, en imaginant des expériences, en croisant des observations entre elles, en remplaçant des explications anciennes par des explications plus puissantes, éventuellement totalement surprenantes.
           Les livres d’enseignement sont certes parsemés ici où là d’indications sur les dates de découvertes et les noms des découvreurs : ces indications sont trop sèches pour susciter l’enthousiasme des élèves et éventuellement des vocations. Une collaboration autour de tels sujets, entre professeurs de sciences et d’histoire serait de nature à motiver les élèves et… les professeurs. Un thème tel que « La science et l’évolution de la société » avancé dans un appel à propositions relève aussi bien des disciplines scientifiques que d’autres disciplines, notamment l’histoire, les sciences économiques et sociales et la philosophie. On peut imaginer, pour susciter l’intérêt des élèves (et des professeurs), utiliser tel ou tel exemple sur le rôle de la science à l’époque considérée, sur la façon dont l’organisation de la société interagit avec le développement des sciences et des techniques. Une approche de ce type peut apporter aux élèves un début de culture fort utile pour appréhender les nouveaux rapports entre la science et la société aujourd’hui.
           Il est possible et nécessaire de « désenclaver la science », en la montrant sans l’idéaliser, en relation avec la société, dans l’histoire et dans l’actualité. Privilégier la compréhension de l’esprit et les méthodes de la science, plus que la somme des connaissances scientifiques en progression rapide, est une voie d’accès à la culture scientifique de nature à faciliter son intégration dans la culture générale. L’histoire des hommes et aussi des femmes qui ont contribué à faire avancer la science fait apparaître des rapports multiples et souvent inattendus avec les activités de leurs contemporains.
           Les frontières entre la science et les métiers, mais aussi l’histoire, l’art, la philosophie ou la littérature, ne sont pas infranchissables.
Il ne manque pas, en particulier de grands textes, de récits ou même de poèmes évoquant la science. Le texte de Victor Hugo sur l’art et la science en est un exemple, plus significatif sur le fond qu’il n’y paraît : « La science va sans cesse se raturant elle-même. Ratures fécondes. La science est une échelle… La poésie est un coup d’aile… Un chef-d’œuvre artistique est une fois pour toutes. Dante n’efface pas Homère » [2]). Victor Hugo, évoquant la science progressant par ratures fécondes, la qualifiant d’échelle, est plus près de la vérité que ceux qui développent aujourd’hui l’idée que la science « efface » ses acquis précédents, que la science est relative dans l’espace et dans le temps.
Non, Einstein n’efface pas Newton. Du haut d’un barreau plus élevé de l’échelle, il ne le contredit pas s’il se limite au même champ d’observation que lui. Mais il voit plus loin et plus profond et la théorie qu’il élabore permet de comprendre un monde nouveau.

           Culture scientifique et culture humaniste
           L’acquisition de connaissances nouvelles qui balisent l’histoire de l’humanité, a contribué au développement technique et à l’évolution des conditions de vie. Plus important peut-être encore, elle a joué un rôle majeur dans l’évolution des modes de pensée et le développement des exigences morales. Mettre en valeur les rapports entre l’histoire des idées et les progrès de la science, c’est prémunir la société contre les tentations obscurantistes qui fleurissent sur le terreau des frustrations et des impatiences. Notre potentiel biologique n’a guère eu le temps d’évoluer beaucoup depuis la fin de la préhistoire, mais chacun de nous apprend à développer ce potentiel dans le contexte d’un réel autrement plus vaste. Les conditions culturelles permettent un enrichissement des relations des hommes entre eux qui se traduit par de nouvelles règles qui acquièrent au fil des siècles la force de l’évidence.
           Le socle commun de connaissances et de compétences récemment adopté fixe les objectifs de la scolarité obligatoire en visant à dépasser les clivages disciplinaires. Il est positif qu’il accorde une large place à la culture scientifique et recommande de faire appel à l’histoire des sciences. La conception qui sous-tend le catalogue des exigences avancées et la hiérarchie entre celles-ci restent cependant très réductrices. Comment peut on écrire que « les compétences acquises en mathématiques conditionnent l’acquisition d’une culture scientifique » sans voir qu’une telle formule renforce l’idée trop répandue qu’il n’y a qu’une voie d’accès vers la science ? On sait bien pourtant que de nombreux enfants, curieux et observateurs, peuvent s’enthousiasmer pour les sciences expérimentales plus concrètes, et comprendre ensuite l’intérêt des mathématiques.
           Force est de constater que le dépassement des clivages disciplinaires, objectif louable, s’opère au prix de déséquilibres et d’omissions qui font perdre de vue l’unité de la culture qu’il s’agit de faire acquérir aux élèves. Le socle commun se contente de juxtaposer, quand il ne les oppose pas, une culture scientifique et une culture humaniste. La première apparaît quelque peu hégémonique à en juger par la faible place accordée par exemple à la littérature française au-delà de l’apprentissage strict de la langue. Le contenu donné à la seconde est, par ailleurs, surprenant. On y trouve l’enseignement du fait religieux, et même celui d’extraits de textes de la Bible ou du Coran, mais pas celui des mouvements de critique des religions. Les lois de la production et des échanges, mais rien sur l’apport des Lumières ni sur le caractère émancipateur du développement des connaissances, pour s’en tenir aux omissions les plus choquantes. Évoquer la culture humaniste, en ce début de xxie siècle, sans y intégrer la science est au moins inconséquent, au pire dangereux. C’est préparer les esprits à opposer la science et l’homme.
           La culture scientifique sera d’autant mieux reçue par les jeunes et la société qu’elle s’inscrira dans un effort ambitieux de développement de l’ensemble de la culture. Les vocations scientifiques naîtront d’autant mieux que la science prendra toute sa place dans les aspirations profondes de la société.

           Les interrogations sur la science
           On a reproché à des scientifiques de la fin du xixe siècle ou des premières années du xxe, des scientifiques rationalistes, d’avoir rêvé que le progrès de la science apporterait le bonheur aux hommes, ou tout au moins que l’abondance des biens matériels attendue de ce progrès, réglerait « la question sociale ». Ces mêmes scientifiques associaient le progrès de la science et celui de la paix. On sait ce qu’il en a été de ces espoirs au cours du dernier siècle. Il ne s’ensuit pas pourtant que l’aspiration à ce que la science serve les besoins de la société et la paix soit devenue caduque pour autant. On a le droit de rêver cela et même le devoir, particulièrement lorsque l’on est scientifique, de tout faire pour avancer dans cette direction. La culture scientifique enrichira la culture de chacun en intégrant ces objectifs.
           Le terme de science peut renvoyer à des activités dont les objectifs et/ou les pratiques sont fort différents. La terminologie utilisée pendant une large partie du xxe siècle distinguait, l’une découlant de l’autre, la recherche fondamentale, la recherche appliquée et la recherche de développement, la première constituant le principal moteur du progrès de la science dans une vision à long terme, mais le plus imprévisible. La découverte ne se programme pas. Dans son principe, la recherche fondamentale est recherche délibérée de connaissances nouvelles, selon une logique interne au processus de recherche lui-même. « La sainte curiosité » nécessaire au chercheur va de pair avec sa liberté. Les connaissances nouvelles se sont échangées et diffusées par delà les frontières depuis des siècles, contribuant à un patrimoine commun de l’humanité. A l’autre bout de la chaîne, la recherche de développement vise à l’introduction concrète dans la production de techniques nouvelles.
           On parle plutôt aujourd’hui, alors que la science a connu un développement considérable, de recherche (fondamentale), d’innovation et de technologie. L’Europe souhaite construire une société de la connaissance et de l’innovation. Certains pensent que nous avons atteint un stade où les différents modes de recherche se sont fondus entre eux et avec l’économie, au point qu’il n’existerait plus qu’une technoscience (qu’il faudrait combattre ou au moins tenir en lisière).
Cette vision ne correspond heureusement pas à la réalité de la recherche. Mais il est vrai que les limites entre connaissances et innovations deviennent plus floues. Les risques d’appropriation de connaissances fondamentales au prétexte de leur utilité pour des innovations monnayables sont réels. On peut s’inquiéter des choix effectués dans la récente loi de programmation de la recherche, qui privilégie des objectifs à court terme plutôt que la recherche fondamentale. L’histoire montre que c’est de celle-ci que surgissent les avancées les plus novatrices. On peut s’inquiéter aussi des entraves à la recherche suscitées par une crainte obscurantiste de l’inconnu et/ou le poids de tabous religieux.
           La science est aujourd’hui largement utilisée dans le cadre d’un mode de développement qui privilégie le service d’intérêts particuliers à court terme et qui laisse trop d’hommes et de femmes sur le bord du chemin : on ne saurait s’étonner, dans ces conditions, du pessimisme sur l’avenir qui marque les interrogations de la société sur les conséquences des avancées rapides de la science et de la technologie.
Entre espoirs et craintes, les secondes ont tendance à l’emporter, comme c’est aussi le cas sur d’autres sujets. Des affirmations, contradictoires et faussement évidentes, freinent la prise de conscience par tous de la nécessité de débats démocratiques. La première consiste à se résigner à l’attentisme, au motif que « tout ce qui est possible sera fait », et donc que les citoyens n’ont pas de choix possible entre les technologies à développer. L’autre proclame qu’il est urgent d’arrêter la recherche, au motif que ses résultats induiraient des risques inacceptables pour la société. Il est vrai que les mêmes connaissances peuvent être utilisées à des fins très différentes, les unes utiles, les autres subtilement ou directement destructrices. La tentation « d’enchaîner le Prométhée de la science » n’est pas nouvelle.

           Culture scientifique et développement durable
           Un effort de clarification, et même de refondation des rapports de la science et de la société est nécessaire. Cet effort est d’autant plus indispensable que des questions d’ampleur planétaire ne peuvent déjà plus être esquivées. Nous savons que le mode de développement qui sert actuellement de référence, n’est pas extrapolable à une population de six et bientôt neuf milliards d’hommes sans mettre en danger l’équilibre de la planète. L’absolue nécessité de limiter l’émission des gaz à effet de serre pour freiner le réchauffement climatique impose d’engager sans attendre les changements à apporter à ce mode de développement. Il faut réduire des déséquilibres inacceptables et dangereux. Les problèmes à affronter sont d’abord économiques et politiques, mais les solutions à rechercher mettent aussi en jeu des choix scientifiques et technologiques. Les débats engagés au fil des années sur des technologies particulières considérées séparément, devront nécessairement être reconsidérés dans une perspective plus globale. Les politiques de chacun pour soi, sur fond de concurrence sans limite, seront remises en cause par des besoins vitaux de coopération internationale. On sait bien aussi que les comportements individuels devront être modifiés. Pour que pareille révolution n’entraîne pas des conséquences désastreuses sur le niveau de vie d’une très grande partie de la population, l’humanité doit mobiliser tous ses atouts, et en particulier les possibilités de solutions qu’offre une recherche basée sur les connaissances accumulées par la science, l’imagination et le travail de la raison de millions et de millions d’hommes et de femmes de par le monde, conscients des enjeux.
L’intégration de la culture scientifique dans la culture de tous devient essentielle dans ce contexte.
           Il faudra développer très fortement la recherche. Il faudra débattre, de manière rationnelle, des meilleurs moyens d’utiliser la science pour un développement durable. Les débats d’aujourd’hui, pour limités et peu constructifs qu’ils soient souvent, permettent déjà de définir quelques-unes des conditions à respecter pour atteindre ce but. Il est certainement nécessaire de garantir la transparence des informations et d’utiliser un langage compréhensible par tous. Il est sûrement nécessaire de sortir de la seule évaluation de risques particuliers, pour comparer des risques entre eux, d’évaluer le rapport entre risques et bénéfices attendus, ce qui signifie abandonner les a priori pour la confrontation fondée sur l’analyse de l’expérience. La première condition d’une approche rationnelle est en effet de dire la vérité, qui se résume rarement à un oui ou un non. Il faut délimiter dans les questions posées, la part qui relève d’appréciations que les scientifiques devraient pouvoir donner collectivement (sans omettre les marges d’incertitude) et celle tout aussi importante, qui relève d’autres rationalités économiques ou sociales notamment. Les débats actuels ont déjà montré qu’il n’y a pas seulement dans la société une attente d’explications scientifiques ou techniques compréhensibles. Il y a le souhait de contribuer aux débats engagés par des propositions.
Pour ceux qui s’y investissent sans a priori, c’est l’occasion d’une approche concrète de la culture scientifique. Mieux vaut cependant ne pas attendre et mieux et plus intégrer « l’esprit et les méthodes de la science » dans la culture générale.

  1. Conférence faite le 11 juin 1931 au Musée pédagogique, sous les auspices de la Société française de Pédagogie.La Pensée et l’action, EFR 1950, p. 212.
  2. Victor Hugo : William Shakespeare, III, 4, Tome Critique, p. 297.

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