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Jean-Pierre Digard

Ethnologue et anthropologue

1 avril 2007

Droits de l’animal ou protection des animaux ?
Réponse à Georges Chapouthier

Mis en cause par Georges Chapouthier dans son article « Les droits de l’animal, un concept dur à avaler ? », je souhaite apporter, ici même, quelques éclaircissements sur ma position.

Premier point : mon censeur n’a « pas le monopole du cœur », pour reprendre une célèbre réplique. Je suis, au moins autant que lui, capable de pitié et de sympathie ; mais, à sa différence, je connais les animaux — j’ai notamment élevé et travaillé avec des chevaux — et ma compassion va davantage à ceux élevés en batterie pour être abattus et dépecés à la chaîne (et aux humains contraints par la nécessité économique d’exercer les métiers correspondants) qu’aux taureaux de corrida qui, pour vingt minutes dans l’arène, passent les cinq années de leur vie en quasi-liberté dans d’immenses pâturages. En tout cas, cette compassion, je ne l’éprouve pas « au nom d’un humanisme » que Chapouthier dit partager avec moi ; ou, s’il tient absolument à ce mot, il est clair que nos humanismes respectifs n’ont pas le même contenu.

À l’inverse, je n’ai pas le monopole des « affirmations suspectes ou erronées » dont Chapouthier m’accuse. Lui aussi en a son lot, à commencer par celle qui consiste à croire ou faire croire que, dans celui de mes écrits qu’il critique, je chargerais de tous les maux la seule « Déclaration universelle des droits de l’animal ». Au contraire, je vise dans cet article un échantillon bien plus large de mouvements animalitaires radicaux. Je n’approuve pas pour autant la dite « Déclaration universelle ». Pour l’essentiel, je lui reproche de traiter abusivement de « l’animal » au singulier (alors qu’il existe plusieurs dizaines de millions d’espèces animales) et de suggérer ainsi que l’on pourrait et devrait accorder les mêmes « droits » à toutes, des Primates aux Protozoaires — d’où le caractère totalement irréaliste de la « Déclaration » en question.

Pour justifier l’attribution de droits à des êtres dont on ne saurait attendre des devoirs, Chapouthier cite le cas, classique, d’humains, « comateux, handicapés profonds, enfants en bas âge, embryons… », qui se trouvent dans une situation qu’il croit analogue à celle des animaux — à ceci près qu’il s’agit, précisément, d’humains, auxquels les autres humains, valides et/ou adultes, sont liés par un élémentaire devoir de solidarité.

Chapouthier n’hésite pas à brandir l’injonction morale : « tout refus de cette égalité [de droits entre les animaux, et entre les animaux et l’homme] serait une faute morale appelée “spécisme” et comparable au racisme à l’intérieur de l’espèce humaine ». Par une étrange cécité, notre auteur ne voit pas que les notions qu’il invoque n’ont rien de comparable : alors que le racisme tient son caractère monstrueux de la non-existence des races humaines, le spécisme est absurde, de manière symétrique et inverse, parce que les espèces existent, qu’elles ont un contenu biologique qui dresse entre elles des barrières généralement infranchissables.

Sauf à devoir cesser d’appeler un chat un chat, la solidarité entre humains ne saurait donc être de la même nature que celle que des humains pourraient ou devraient s’imposer envers des animaux, bien entendu sans espoir de réciprocité.

La protection que nous devons aux animaux (ou du moins à ceux qui ne représentent pas une menace) découle du devoir de solidarité entre les humains actuels et futurs. Nous ne devons aucun droit aux animaux en tant qu’individus, sensibles ou non. En revanche, nous leur devons, en tant qu’espèces (dans la limite déjà évoquée), et nous devons aux générations humaines à venir, une protection énergique de la biodiversité dont notre avenir commun dépend en grande partie (biodiversité dont la sauvegarde passe du reste par l’éradication de certains animaux). Tout le reste n’est que littérature à l’eau de rose.

Chapouthier ne fait pas partie de ces intégristes qui, sous prétexte de défense des animaux, n’ont de cesse de disqualifier et de diaboliser l’homme, et sa sincérité ne saurait être mise en doute. Mais je pense, tout aussi sincèrement et avec non moins d’arguments que lui, qu’en mêlant sa voix aux leurs, il se fourvoie sur des chemins qui éloignent de l’humanisme et du rationalisme. Il ressent d’ailleurs ce danger puisqu’il prend la peine, par quelques formules lénifiantes, à la fin de son article, d’essayer de masquer les contradictions et de minimiser la portée pratique de la « Déclaration » dont il s’est fait l’avocat.

Non, décidément, s’il est le même que celui du « rapport Antoine » (dont j’ai fait ailleurs la critique), l’« humanisme » de Chapouthier n’est pas le mien. Oui, assurément, l’idée même de « droits de l’animal », pire qu’« un concept dur à avaler », représente une absurdité intellectuelle et un danger potentiel pour l’homme, que les rationalistes et les humanistes dignes de ces noms ne peuvent que repousser.

Jean-Pierre Digard

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