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Marcel Kuntz

Biotechnologiste directeur de recherche au Laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale du CNRS

21 janvier 2008

Grenelle de l’environnement et plantes génétiquement modifiées

Introduction : les espoirs

A tort ou à raison, l’opinion publique européenne s’inquiète de l’utilisation de la transgénèse végétale, notamment comme outil d’amélioration variétale des plantes destinées à l’alimentation (plantes génétiquement modifiées ou PGM, organismes génétiquement modifiées ou OGM). Cette inquiétude se traduit par des demandes d’informations dignes de confiance (quelles sont nos connaissances scientifiques, leurs limites ?) et une exigence de liberté de choix (étiquetage des produits contenant des PGM ou des produits dérivés). Certains groupes de la société civile organisée souhaitent être associés aux décisions réglementaires, voire, pour certains, obtenir une interdiction durable de la culture et de l’utilisation des PGM.

Le contexte mondial est en revanche caractérisé par une progression, année après année, des superficies emblavées en PGM et par la nécessité économique pour l’Europe d’importer des produits agricoles contenant des PGM. De plus, une interdiction durable de l’importation des PGM serait contraire aux engagements internationaux des pays européens en matière de commerce. En France, les destructions d’expérimentations, de champ de production ou des récoltes de PGM contrastent avec une progression récente des superficies de culture du seul type de PGM autorisé à la culture (depuis 1998), un maïs résistant aux insectes ravageurs pyrale et sésamie.

La logique de confrontation domine donc, sans progrès notable du débat depuis plus de 10 ans, et cette constatation justifie à elle seule d’ouvrir un dialogue nouveau, décloisonné et dépassionné, même s’il faut noter que tous les éléments du débat ont déjà été abordés, lors d’initiatives parlementaires notamment. On peut considérer qu’il est nécessaire :

  • d’établir un bilan des travaux scientifiques d’évaluation des risques, des bénéfices et potentialités des PGM,
  • de trouver des bases pour des échanges fructueux entre scientifiques (incluant ceux des agences publiques d’évaluation des risques) et la société en général,
  • d’ouvrir un dialogue entre les points de vue fortement opposés des semenciers et agriculteurs souhaitant cultiver des PGM d’un côté et organisations de l’écologisme et agriculteurs ne souhaitant pas les utiliser d’un autre côté.

L’ouverture d’un « Grenelle de l’environnement », justifiée par la nécessité de mieux maîtriser les impacts environnementaux des activités humaines, fournit l’opportunité de débattre des questions agricoles, et d’y inclure la question des PGM. Dans une interview au Nouvel Observateur (10 octobre 07), celui qui est considéré comme l’inspirateur de cet « évènement démocratique », Nicolas Hulot, se félicite que « pour la première fois sont réunis à la même table, des gens qui n’ont pas l’habitude de se parler. »

Lecture rationaliste du processus du Grenelle

L’analyse des documents du Grenelle [1] ( voir annexe ), eu égard aux espoirs évoqués ci-dessus et en lien avec les objectifs de l’Union Rationaliste, conduit aux constatations suivantes.

Le Grenelle n’a pas eu pour but de promouvoir la méthode scientifique afin appréhender la réalité des OGM. Les groupes de « réflexion », eux-mêmes formés de « collèges », reflétaient les rapports de force de la société civile organisée. Les scientifiques n’étaient pas représentés en tant que communauté.

Les termes du débat sur les OGM au Grenelle étaient imposés par ces rapports de force, médiatiquement favorable aux opposants et contrebalancés par la volonté plus ou moins forte du syndicat agricole majoritaire d’exercer des pressions en faveur de la culture des OGM. Promouvoir l’usage de la raison, pour remplacer la logique de confrontation, n’a pas fait partie des objectifs affichés du Grenelle.

La liste des participants au Grenelle a été orientée vers une surreprésentation des tenants d’une idéologie, celle de l’écologisme. Celle-ci a eu le mérite de lancer des alertes sur l’impact des activités humaines sur l’environnement, mais qu’il n’est pas illégitime de l’assimiler à une croyance (en l’occurrence aux vertus intrinsèques du naturel et aux méfaits inexorables de l’artificiel et des activités humaines). L’Etat, et en particulier le Secrétariat d’Etat à l’Ecologie, a ici manqué à ses devoirs de laïcité institutionnelle en privilégiant ce courant de pensée au détriment d’autres.

Le Grenelle a d’emblée placé les OGM en position d’accusé. Ils n’étaient pas un outil de sélection variétale des végétaux, parmi d’autres, à l’impact positif ou négatif, à évaluer cas par cas, mais explicitement une menace a priori pour l’environnement. Le Grenelle a ainsi épousé le parti pris suivant : la simple présence d’un gène dans l’environnement, parce qu’il a été, à un stade antérieur du processus de sélection variétale, transféré par l’homme d’un organisme à un autre, est une atteinte environnementale. Le Grenelle a ainsi « acté », pour reprendre la phraséologie à la mode, la théorie selon laquelle il existerait des gènes propres et des gènes sales ; ces derniers devenant de fait des « pollutions génétiques », même lorsque aucun dommage réel à l’environnement n’a pu être établi.

Les travaux originaux d’évaluation des risques sont publiés, généralement en anglais, dans des journaux scientifiques spécialisés. Le Grenelle n’a pas fait de propositions précises afin de porter à la connaissance de tous ces travaux scientifiques, de manière accessible (en utilisant par exemple les ressources d’internet).

Le Grenelle n’a pas réussi, car tel n’était pas le but de ses organisateurs, de recadrer le débat des OGM sur les vraies données scientifiques et leurs limites. Que l’une des conclusions retenues par les médias ait été qu’il n’y aurait pas eu d’« évaluation sérieuse » des OGM illustre le fait que le point de vue qui s’emploie à endoctriner, en dénigrant le nombre et la qualité de l’évaluation des risques sur les OGM, a pu imposer son magistère intellectuel lors du Grenelle. Ce débat n’a pas permis de faire le tri entre les études sérieuses (pas toujours bien interprétées, notamment au niveau de risques extrêmement faibles, voire essentiellement hypothétiques) et des impostures [2] qui, en flux continu, confisque le légitime débat sur les orientations futures de l’agriculture.

Conclusions

Les espoirs déçus

a querelle des OGM résulte de l’exacerbation d’un conflit politique. La colère emmagasinée par les opposants au capitalisme et à la mondialisation s’est transformée en haine canalisée vers les OGM. D’une fixation conceptuelle initiale, une véritable idéologie anti-OGM s’est constituée. Celle-ci a produit un puissant mouvement de déformation des faits qui entretient la confrontation.

Ce Grenelle, décidé dans la précipitation, mené par des personnalités certes respectables et sincères dans leur volonté d’œuvrer pour le respect de l’environnement, mais qui n’ont pas su se débarrasser d’a priori idéologiques, n’a pas contribué à diminuer les antagonismes, bien au contraire. En témoignent les évènements du début de l’année 2008, qui aboutissent à une interdiction de la culture du seul type de plante génétiquement modifiée autorisé [3]. Sans surprise, le contexte politique a pesé sur les travaux du Comité de préfiguration de la nouvelle Haute Autorité.

Cette décision politique était devenue la seule option pour le gouvernement à l’issue du Grenelle. En effet, ce dernier n’a pas su (voulu), dès la phase préliminaire de la manifestation, comme condition sine qua non à y participer, encourager des démarches positives et réformistes chez les opposants aux PGM, en marginalisant les tentations jusqu’au-boutistes (voire préinsurrectionnelles).

Les options pour l’avenir

Le gouvernement s’est engagé à poursuivre le processus du Grenelle. En ce qui concerne les PGM, il pourra ignorer l’avis de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA). Rappelons que cette agence scientifique a déjà infirmé les « faits nouveaux » allégués par d’autres pays européens afin d’interdire les PGM [4], sans que cela ne se traduise par la levée de ces interdictions. Le gouvernement pourrait également créer par la loi des contraintes discriminatoires telles, pour la culture des PGM, que celle-ci deviendrait quasi impossible.

A l’inverse, le gouvernement pourra choisir de s’appuyer sur l’avis de l’EFSA, si celui-ci est effectivement positif pour le type de PGM considéré, et sur ses gages de précautions extrêmes qu’il vient de donner à l’opinion publique, afin de décrédibiliser les jusqu’au-boutismes. Il pourrait aussi conditionner la poursuite du Grenelle à l’acceptation par certains courants de l’écologisme de la liberté de cultiver des PGM.

Les options des scientifiques sont limitées face à ces affrontements politiques. N’étant pas constitués en lobby organisé, seules les initiatives individuelles ou de petits groupes pourront occasionnellement se faire entendre dans le brouhaha médiatique ou dans les coulisses des pouvoirs politiques. Cela ne signifie pas que les scientifiques laïcs et républicains ne puissent pas continuer à servir la démocratie, en poursuivant leurs travaux de recherche et en œuvrant pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Ce dernier point nécessitera de vraies innovations en termes de médiation scientifique [5], qui impliqueront un partage et non pas une « éducation » du public par des scientifiques détenant le « savoir ».

 ANNEXE.

Analyse des documents du Grenelle

1.        Documents de la première phase du Grenelle, « élaborations des propositions d’action ».

Les membres de l’intergroupe de travail sur les OGM , comme dans les autres groupes, sont répartis en « collèges ». Aucun collège représentant les scientifiques en tant que communauté n’a été prévu. Sont présents des scientifiques exerçant une responsabilité donnée, par exemple dans un organisme de recherche (collège « Etat ») ou dans un syndicat (collège « Salariés »). Le collège ONG est composé exclusivement de représentant d’associations notoirement anti-OGM. Le semencier Monsanto, leader sur le marché des semences de PGM, n’est pas représenté.

Dans la rubrique RESSOURCES DOCUMENTAIRES, le site du Grenelle contient un fichier téléchargeable intitulé « Grenelle Environnement / Recherche bibliographique » qui présente une intéressante liste des réglementations, rapports et ouvrages consacrés aux PGM. Malheureusement, en l’état, ce fichier ne génère pas une connaissance immédiatement disponible.

Dans la même rubrique, les autres fichiers n’ont que peu de rapport avec les PGM, sauf 2 rapports du consultant privé Charles M. Benbrook sur la situation des PGM aux Etats-Unis. Benbrook travaille pour des organisations représentant l’agriculture biologique ou des associations anti-OGM et ses rapports sont controversés. Aucun des autres rapports, aux conclusions différentes, n’est ici offert à lecture.

Le RAPPORT DES TRAVAUX de « l’intergroupe OGM » demande dans sa synthèse (partie A):

-le renforcement des connaissances sur les « incidences des manipulations génétiques »,

-la mise en place d’une Haute Autorité donnant des avis au gouvernement,

-l’adoption d’une loi avant la fin du printemps 2008, déclinant les principes du libre choix de produire et consommer avec ou sans OGM, de non brevetabilité du vivant, etc.

  1. La législation française et européenne n’autorise pas le brevetage du « vivant », mais uniquement des « inventions biotechnologiques ».

Ce document examine aussi, dans sa partie C, les propositions formulées et notamment :

– la connaissance partagée sur les OGM. Il y est mentionné le « besoin d’une science qui doit répondre aux questions que se pose la société » (NB. Il n’est pas fait mention des questions que se posent les scientifiques, ni qui est réellement la « société ») et le « sous-équipement flagrant en matière de recherche » (NB. Cette affirmation est curieusement liée dans la même phrase aux « manques de transparence des plantations d’OGM »). Cette partie met explicitement en cause la légitimité de l’Académie des Sciences accusée d’avoir une « mauvaise considération » des certaines disciplines.

– une haute autorité déclinant le principe de précaution, dont « les critères d’évaluation sont ceux du développement durable ». Il est précisé qu’elle « utilisera une démarche scientifique pluridisciplinaire et impliquant les acteurs socio-économiques et la société civile ». NB. Ces derniers sont ici précisés un peu plus explicitement : « associations, consommateurs ».

les principes incontournables pour une future loi.

La proposition « les OGM ne sont pas une panacée ni forcément mauvais » n’a pas fait l’objet d’un consensus. La recherche en milieu confiné ne doit pas être bloquée « à condition que ses objectifs soient acceptés d’un point du vue sociétal » (NB.pas de définition de l’acceptation « sociétale »). La nécessité de la recherche en champ n’a pas obtenu de consensus. La valorisation doit être systématiquement accompagnée d’une recherche sur les risques (NB. il n’est pas précisé à quel stade).

Sont ensuite déclinés les 7 principes suivants : non-brevetabilité du vivant, libre choix de produire, libre choix de consommation, principe du pollueur-payeur, principe de précaution, transparence, subsidiarité régionale (interdiction locale des PGM en contradiction avec les lois nationales ou européennes ; pas de consensus sur ce principe).

A noter que la transcription complète des travaux de l’intergroupe OGM (142 pages) contient en annexe 4 (page 129), un « point d’étape de la recherche publique à l’intergroupe OGM » rédigé par Marion Guillou, Bernard Chevassus-au-Louis et Michel Griffon. Il rappelle que les essais en milieu ouvert sont indispensables et que l’exigence d’absence totale d’OGM dans un produit… revient à l’interdiction de toute culture ou importation d’OGM. Il se déclare favorable à l’implication de la société civile dans le processus d’expertise (en citant l’exemple d’essai sur la vigne de l’INRA) et ouvert à l’examen des bénéfices des PGM, mais de manière séparée de l’examen des risques. Sur la brevetabilité, il rappelle la nécessité d’une propriété intellectuelle.

2.        Documents de la deuxième phase du Grenelle, « consultation des publics ».

Dans la rubrique SAISINE D’ORGANISMES CONSULTATIFS , il est question d’OGM dans l’annexe 1 de l’Avis de l’Académie Nationale de Médecine au sujet des propositions des groupes de travail.

Cet avis, qui s’oppose aux allégations sur la dangerosité des PGM, n’a pas eu d’impact dans les débats du Grenelle.

Le document de SYNTHESE DES DEBATS en REGION mentionne :

« S’agissant des OGM, il semble impossible de parvenir à un accord, les diverses positions étant trop éloignées les unes des autres »

3.        Documents de la troisième phase du Grenelle, « plans d’action et programmes».

Dans la rubrique TABLE RONDE FINALE 3 (Préserver la biodiversité et les ressources naturelles, pratiques agricoles, OGM) 3 mesures sont affichées :

La France doit poursuivre la recherche sur les OGM

  1. Il n’est pas question de développement de nouveaux OGM, par exemple par la recherche publique.

Mise en place d’une Haute Autorité sur les Biotechnologies, qui devra être diversifiée.

NB . Ce point figure déjà dans la loi adoptée au printemps 2007 par le Sénat.

Adoption avant le printemps 2008 (c’est-à-dire avant les semis de maïs de 2008) d’une loi sur les biotechnologies.

Les principes en sont :

-responsabilité

-principe de précaution

-transparence, participation et information

-liberté de produire et consommer sans OGM

  1. La liberté de produire et consommer des OGM n’est pas affichée.

La décision affichée est l’activation de la clause de sauvegarde sur les maïs MON810 jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi.

  1. Cette disposition de la législation européenne est subordonnée à des données scientifiques nouvelles justifiant la décision, données qui n’ont pas été présentées lors du Grenelle. Cela explique la volonté des autorités françaises de créer rapidement un Comité de préfiguration de la Haute Autorité sur les biotechnologies, afin de pouvoir alléguer de justifications scientifiques auprès de l’Union européenne.
  2. Le site officiel du Grenelle de l’environnement[↑]
  3. Documents sur les OGM de l’Association Française pour l’Information Scientifique[↑]
  4. Communiqué ministériel sur la Clause de sauvegarde sur la culture du maïs OGM MON 810[↑]
  5. L’EFSA répond aux questions de la Commission européenne relatives à des clauses de sauvegarde portant sur des OGM[↑]
  6. Recherche publique et OGM (CAES magazine du CNRS, automne 2007)[↑]

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