
Chargée de recherches CNRS à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP)
02/01/2025

En quatre minutes, des chercheuses et chercheurs nous font partager leur enthousiasme et leur détermination à s’aventurer dans l’inconnu, où la rigueur sert de lampe et la raison de boussole. Les Histoires courtes proposées ici sont autant de témoignages de la science en train de se faire et son consultables sur llx.fr . Les explorations les plus récentes dans les champs les plus variés sont ainsi contées. Quant aux photos qui accompagnent le texte, leur rôle est d’ouvrir la porte au rêve, indispensable ferment de l’intuition créatrice. L’Union rationaliste voit chaque jour confortée sa confiance dans les progrès sociétaux qu’apporte la recherche dans tous les domaines de la connaissance. Au fil des semaines, elle vous invite à découvrir ces contes…
DES PARTICULES QUI NOUS PLEUVENT DESSUS
Certains rayons cosmiques ne nous atteignent qu’après avoir pris la clef des champs (magnétiques), brouillant les pistes quant à leur lieu d’origine.
Kumiko Kotera – J’ai commencé à travailler sur les rayons cosmiques complètement par hasard, en fait… J’étais intéressée par les galaxies, par les grandes échelles, puis je suis allée dans le bureau de mon directeur, qui proposait une thèse et qui me dit, « Ben les rayons cosmiques c’est super, tu as à résoudre des énigmes fondamentales comme qu’est-ce que l’origine des rayons cosmiques. » J’ai dit bon, pourquoi pas, c’est des grandes échelles quand même, c’est des petites particules, ça a l’air rigolo, et puis voilà…
Tapuscrit
Y a cent ans, donc, un grand physicien, Victor Hess, est monté sur un ballon, avec un électroscope, et il a effectué la première expérience physique spatiale, il a vu que plus on montait dans les airs, plus on était bombardé d’étranges particules. Et il a fini par conclure que ces particules venaient du cosmos, et il découvrait en fait les rayons cosmiques, de cette façon. Alors un rayon cosmique, c’est une particule chargée, comme un proton, ou un noyau, plus lourd, comme du fer, ça nous pleut dessus de façon constante et y en a certaines qui nous arrivent dessus avec une vitesse, mais vraiment incroyable, de plusieurs centaines de joules, c’est-à-dire c’est l’énergie d’une balle de fusil, mais confinée dans une particule subatomique… C’est assez colossal, et vraiment donc le problème, c’est qu’on sait pas d’où ça vient. C’est pas comme des photons qui nous arrivent en ligne droite, c’est quelque chose qui va être dévié par tous les champs magnétiques de l’Univers, et dans l’Univers y a plein de champs magnétiques, y a plein d’aimants ! D’habitude lorsqu’on regarde dans la direction d’une source, on voit une ampoule, le Soleil, la Lune, des étoiles. Lorsqu’on regarde dans la direction d’un rayon cosmique, eh bien on voit rien du tout ! Parce que c’est pas du tout de là d’où ça vient ! Puisqu’il a été dévié, complètement, par tous ces champs magnétiques. Du coup, ben, y faut, pour trouver les sources des rayons cosmiques, va falloir ruser et par exemple, essayer de trouver des modèles de champs magnétiques dans lesquels on va essayer de voir comment les rayons cosmiques peuvent se propager, c’est ce que font les théoriciens, comme moi. Donc on a des pistes, on pense que les explosions d’étoiles anormalement violentes, qu’on appelle les sursauts gamma, ou des galaxies superpuissantes, dotées de grands jets, qu’on appelle des noyaux actifs de galaxies, sont peut-être des sources possibles. Alors mon modèle préféré, c’est un modèle de pulsar ! Les pulsars, qui sont les plus petites étoiles, qui tournent très rapidement sur elles-mêmes, sont de très bons candidats, en fait, parce que comme y tournent très rapidement, et qu’y sont très magnétisés, y vont faire un phénomène d’induction, elles vont donc générer des champs électriques très forts dans lesquels on peut accélérer des particules chargées.
La difficulté de tester des modèles dans le domaine des rayons cosmiques, c’est justement parce que, aux plus hautes énergies, le nombre de rayons cosmiques qu’on reçoit est très faible, c’est de l’ordre d’une particule par km2 par siècle, et du coup on est obligé de construire des observatoires gigantesques, comme l’observatoire Pierre Auger, qui couvre donc 3000 km2 dans la pampa, en Argentine, on a des cuves d’eau, qui font un mètre cinquante, deux mètres de diamètre, et qui sont espacées de un kilomètre cinq… Avec des vaches qui paissent au milieu, les Andes au loin, et, quand un rayon cosmique rentre dans l’atmosphère, y va produire ce qu’on appelle une gerbe de particules, y va interagir avec les molécules de l’atmosphère, et créer une espèce de douche de particules qu’on peut récupérer au sol, avec ces tanks d’eau… Et donc avec ces observatoires, tout ce qu’on peut faire, c’est attendre, c’est-à-dire attendre que les rayons cosmiques nous tombent dessus. Et on en reçoit deux, à l’énergie qui nous intéresse, seulement deux par mois…
Si on trouve l’origine des rayons cosmiques de ultra-haute énergie, ça va être une fenêtre phénoménale sur l’astrophysique, parce que 99,999 % de l’information qu’on a de l’Univers vient de la lumière. Et les rayons cosmiques, c’est de la matière ! C’est des protons, c’est des noyaux, donc c’est une autre forme d’information, qui nous provient de l’Univers, mais de pouvoir faire de l’astronomie avec des rayons cosmiques, de pointer des objets avec des particules, ce serait… quelque chose d’assez fantastique…
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