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Nicolas Chevalier

Physicien et physiologiste, chargé de recherche au CNRS.

02/04/2016

En quatre minutes, des chercheuses et chercheurs nous font partager leur enthousiasme et leur détermination à s’aventurer dans l’inconnu, où la rigueur sert de
lampe et la raison de boussole. Les Histoires courtes proposées ici sont autant de témoignages de la science en train de se faire et son consultables sur llx.fr . Les explorations les plus récentes dans les champs les plus variés sont ainsi contées. Quant aux photos qui accompagnent le texte, leur rôle est d’ouvrir la porte au rêve, indispensable ferment de l’intuition créatrice. L’Union rationaliste voit chaque jour confortée sa confiance dans les progrès sociétaux qu’apporte la recherche dans tous les domaines de la connaissance. Au fil des semaines, elle vous invite à découvrir ces contes…

L’INTESTIN SOUS TOUTES SES COUTURES

Au commencement était l’intestin.

Physicien et physiologiste, chargé de recherche au CNRS (Laboratoire Matières et Systèmes Complexes, Université de Paris), Nicolas Chevalier triture, étire, contraint, agace et stimule dans tous les sens des intestins ou autres organes embryonnaires, principalement de poulets et de souris. Son but est de cerner les mécanismes qui leur donnent forme (c’est la morphogenèse) et d’identifier les facteurs qui leur confèrent leur fonction (c’est l’ergogenèse).

Tapuscrit

Nicolas Chevalier – Je me souviens de la première fois où j’ai disséqué un embryon, ça paraissait compliqué, tout était blanc laiteux, le liquide dans lequel nous faisions la dissection était trouble à cause des restes de jaune, puis des membranes enveloppaient les organes à n’en plus finir. Et c’est ainsi qu’après avoir sorti un premier intestin embryonnaire dans un état de délabrement avancé, j’étais allé voir mon chef de l’époque, Vincent Fleury, et lui avais fait une proposition un peu vague « peut-être on pourrait travailler sur un simulacre d’intestin, un morceau de caoutchouc ou quelque chose comme ça » – il a levé les yeux au ciel et là j’ai saisi que je n’étais pas sur la bonne piste. J’avais justement rejoint ce groupe de recherche au Laboratoire Matière Systèmes Complexes pour me confronter à un vrai « système biologique », c’est-à-dire à la nature, rien de moins, avec toute la complexité que cela comporte. Pour une fois on ne me proposait pas de travailler ni sur un modèle d’embryon, ni sur sa simulation, mais bien sur l’embryon même, dont le mystère peut se résumer en une question « comment la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde peut-elle donner naissance à un être avec des pieds, des bras, une bouche etc.

Le sujet promettait d’être sanguinolent : adieu les cristaux, les surfaces aux propriétés chimiques bien contrôlées, là il faudrait extirper et étriper le bestiau pour l’étudier. Et c’est un monde qui s’ouvre, la tuyauterie molle des organes, leur surface râpeuse quand on grossit jusqu’à voir le champ de bosses des cellules, les unes visqueuses et adhésives, les autres glissantes comme du Téflon, et le mouvement ! Tout est en mouvement dans un embryon, le sang, les globules aussi gros que les canaux qui les déversent, le cœur qui palpite et qu’on peut garder en culture plusieurs semaines – fait éblouissant, et l’on peut garder tous les organes en culture, rein, poumon, œil et intestin compris ! Et en moins de temps qu’il n’y paraît, la nature repoussante, intimidante de l’organe, disparaît pour être remplacée dans l’œil du scientifique par une petite machine biologique remarquablement bien faite, hydraulique, chimique, isolable donc étudiable, et dont on pourrait bien vouloir, après tout, percer les mystères.

L’intestin est un organe fascinant à plusieurs égards, il est ancien, et son plan d’organisation est quasiment le même dans des espèces extrêmement distantes. Un collègue est passé récemment, il étudie un ver marin en forme de tube qui s’assimile à une méduse, eh bien ce tube a une couche de muscle dans le sens de la longueur, une couche de nerf, une couche de muscle circulaire, puis les papilles internes pour digérer, bref, tout se passe comme si c’était un intestin qui nageait dans l’océan, ou alors comme si notre corps abritait un organisme marin, indépendant, symbiotique. Qu’on puisse retirer l’intestin de l’organisme et le développer en culture est un atout immense pour l’expérimentateur, car on peut observer, intervenir.

Le but de mes recherches est de comprendre comment se mettent en place la forme et les tissus de l’intestin – la morphogenèse. La physique joue un rôle central dans l’enchainement d’évènements qui mènent de l’embryon précoce aux organes du fœtus, par le truchement des forces cellulaires, musculaires, qui étirent, déforment, alignent : on ne change pas la forme d’une matière – fut-elle embryonnaire et miraculeuse – sans à un moment appliquer des forces dessus ! En parallèle de cette morphogenèse lente, on s‘intéresse à comment la fonction de l’organe apparaît – c’est ce que j’appelle « l’ergogenèse », et qui pour l’intestin est celle d’une pompe péristaltique intelligente, qui va propulser le bol alimentaire en fonction de la consistance et de la composition chimique de celui-ci. L’intestin possède pour cela un réseau de neurones unique, intrinsèque à cet organe, le système nerveux entérique, qui va actionner des cellules « horloges » ou « pacemakers » qui vont à leur tour actionner des muscles qui tapissent l’intestin tout du long – et tout ceci dans à peine 0.2 mm d’épaisseur de tissu, c’est de la micro-fabrication !e

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