
Claude Danan
Pédiatre
03/03/2024

En quatre minutes, des chercheuses et chercheurs nous font partager leur enthousiasme et leur détermination à s’aventurer dans l’inconnu, où la rigueur sert de lampe et la raison de boussole. Les Histoires courtes proposées ici sont autant de témoignages de la science en train de se faire et son consultables sur llx.fr . Les explorations les plus récentes dans les champs les plus variés sont ainsi contées. Quant aux photos qui accompagnent le texte, leur rôle est d’ouvrir la porte au rêve, indispensable ferment de l’intuition créatrice. L’Union rationaliste voit chaque jour confortée sa confiance dans les progrès sociétaux qu’apporte la recherche dans tous les domaines de la connaissance. Au fil des semaines, elle vous invite à découvrir ces contes…
ON NE VOUS ATTENDAIT PAS SI TÔT
Aux petits soins…
Pédiatre, le docteur Claude Danan a longtemps dirigé le service de néonatalogie du centre hospitalier intercommunal de Créteil. Il poursuit actuellement un programme de recherche sur la protection pulmonaire des extrêmes prématurés en ventilation artificielle en collaboration avec l’Unité INSERM U955.
Nous remercions pour leur accueil la direction du Centre hospitalier et tous les membres de l’équipe médicale. Merci également à Adrian Travis pour la traduction.
Tapuscrit
Claude Danan – La réanimation néonatale c’est une discipline qui est jeune mais qui a fait énormément de progrès parce qu’on s’est rendu compte que on était en train de singer les réanimations adultes qui étaient beaucoup plus anciennes et on a fini par penser que ces petits bébés étaient des hommes en miniature, ce qu’ils ne sont pas du tout. Et donc, la thérapeutique, eh ben ça été l’observation, notre vraie façon de soigner c’est d’apporter un tabouret à côté d’un bébé et de le regarder. L’organisation du service forcément a été impactée par cette nouvelle façon de regarder nos petits patients, et on s’est dit qu’il y avait un quelque chose qui nous gênait, c’était la hiérarchie. Il s’agit d’une histoire collective… Et il y a beaucoup de personnalités qui se sont déclarées, souvent des infirmières qui étaient au contact direct avec les enfants et qui ont transformé pas seulement les relations entre chacun de nous, mais aussi les relations avec les parents ; parce qu’il s’agit souvent de prématurés, parfois minuscules, qui pouvaient peser cinq cents grammes ou moins, et on s’est créé un environnement, une façon de vivre ensemble un peu à la manière d’une vie dans un village.
C’est compliqué de faire un service ouvert, beaucoup de gens, y compris les soignants, à une époque, parlaient des bébés en prenant comme exemple leur poids ! « Oh, ma p’tite crevette… » Donc on entendait des choses comme ça. Ces intrusions du langage dans notre façon de travailler étaient tout à fait néfastes. Et ça a été une vraie lutte d’obliger les gens à ne plus faire des abréviations. De parler de façon simple et compréhensible par tous, y compris par des gens extérieurs. De ne pas donner de nom à cet enfant autre que son prénom. Et de lui donner une individualité, une personnalité, même avant sa naissance. Après la naissance, on est tous dans l’interprétation de tous les signes qui vont pouvoir apparaître. Et quand un bébé est dans son incubateur, il va avoir des mouvements, il va avoir des façons de tendre la main, d’attraper un doigt d’une infirmière, de le porter à sa bouche, de le sucer, de le goûter, tous ces gestes-là, mais encore d’autres, qui font le langage des prématurés, il a fallu l’apprendre.
Un jour on a eu notre premier bébé tellement minuscule qu’on était tous effrayés. Et la maman est arrivée et a dit « Ah ! Bonjour tout le monde ! Comment ça va ? Je suis tellement contente ! » Enfant elle avait subi une radiothérapie et son utérus ne s’était pas développé. Elle avait eu déjà trois grossesses et à chaque fois avec des petits bébés de plus en plus gros, mais jamais suffisamment gros pour être capables de survivre. On s’excusait presque d’avoir ce bébé si petit, et elle disait : « Mais j’ai jamais fait aussi bien ! » C’était notre première piqûre, à nous les soignants, d’optimisme et de réalisme en même temps. Car cet enfant a poursuivi sa vie, avec toutes les difficultés d’un bébé si petit, mais il est devenu plus grand et un jour, à six, sept ans, le téléphone sonne dans le service et il nous appelle et nous dit : « Je suis un ancien petit bébé, est-ce que je peux venir jouer du violon ? » Alors on lui dit bien d’accord, qu’il vienne faire ses quelques notes, on sera très contents de le voir de toutes façons, et il est venu et il a joué merveilleusement !… Et avec une émotion qui a complètement envahi le service de réanimation et toutes ces alarmes, qu’on a l’habitude d’entendre, s’étaient tuent, les bébés étaient calmes, Depuis, il est devenu un grand violoniste.
Tous ces moments qui ont été partagés avec tous, où on a donné la place centrale au bébé, avec ses parents bien sûr, nous ont obligés à remettre en question le village en lui-même, l’architecture, et à faire place aux parents dans des endroits où ils se sentiraient chez eux, avec tout le confort. Donc ce lieu va exister, pour l’instant tout a été détruit et c’est un plateau sans murs… Mais quand même avec les histoires des enfants que je pourrais retrouver à chaque fois que je me déplace dans ce chantier, et qui vont être remplacés par d’autres histoires, pour lesquelles la présence des parents en continu risque de changer complètement notre façon de vivre avec.
Il y a une image qui me restera toujours dans ma vie, c’est de regarder une maman qui est en train de cocooner son bébé prématuré, c’est une maman africaine, et elle est en train de le masser. Et arrive derrière une psychomotricienne qui s’approche et trouve que la scène est jolie, et elle prend la maman par les épaules et elle commence à la masser. Donc cette idée de poupées russes, où on s’occupe de l’autre qui s’occupe de l’autre qui s’occupe de l’autre qui s’occupe de l’autre, c’est un petit peu l’emblème du service.
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