Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Faouzia Farida Charfi

Physicienne et femme politique tunisienne.

1er mai 2006

La science face aux obscurantismes

Actuellement, en France ou en Belgique par exemple, certains élèves refusent d’assister à des cours de biologie sous prétexte qu’ils ne seraient pas en conformité avec leurs convictions religieuses. Début février dernier, des étudiants marocains de l’université d’Amsterdam ont refusé que le professeur de biologie donne un cours sur la théorie de l’évolution[1]. Ce type de comportement, refus de certaines théories scientifiques, peur de perdre ses certitudes, est apparu avec la montée des islamistes, au moment de la révolution iranienne.

Cette attitude des extrémistes religieux musulmans n’est ni un fait nouveau ni un fait spécifique à l’islam. Elle a été et est encore présente dans toutes les religions. Il suffit de rappeler les batailles contre l’enseignement de la théorie de l’évolution dans certains États des États-Unis. Cependant, on ne peut mettre au même niveau de conséquences le refus de la science dans les sociétés occidentales et dans les pays en développement.

Réfutation de certaines théories scientifiques

Vers la fin des années soixante dix, les extrémistes religieux musulmans commençaient à être très présents à l’université tunisienne, surtout dans les établissements scientifiques, et leurs réactions à certaines théories scientifiques montraient bien leur attachement à leurs certitudes. En particulier, certains de mes étudiants contestaient la vitesse finie de la lumière, prétendant qu’Einstein s’était trompé. Dans le même cours, je leur avais présenté l’électromagnétisme classique. Ils ne remettaient pas en cause cette théorie bien que les équations de Maxwell impliquent aussi la vitesse finie de la lumière. Car ils n’y voyaient que ses conséquences sur le plan technique. Ils n’en retenaient que l’aspect opératoire quitte à rendre la physique incohérente.

On relève la même incohérence dans leur réticence à admettre dans sa totalité la mécanique céleste qui permet de prévoir avec précision le début du mois lunaire, et par conséquent la détermination du premier jour du mois de ramadan. En Tunisie, sous la pression des islamistes, il a fallu abandonner les prévisions scientifiques pour revenir, comme on le faisait il y a quatorze siècles, à l’observation directe de l’apparition du croissant de lune. Mais, on accepte les calculs scientifiques pour les heures de prière.

Il est intéressant de voir comment la théorie de la relativité est perçue aujourd’hui sur certains sites web de fondamentalistes islamistes tels que le site www.harunyahya.com/fr, de Harun Yahya présenté comme un pseudonyme d’un académicien turc, Adnan Oktar. Dans une section intitulée ” La relativité du temps et la réalité du destin “, la relativité du temps de la théorie d’Einstein est présentée de la manière suivante : “… Puisque le temps est une perception, il dépend entièrement de celui qui le perçoit ; il est donc relatif “. Aucune mention de la valeur finie de la vitesse de la lumière n’est faite et les conséquences que l’on en tire ne sont a fortiori pas évoquées.

Dans ce site, la réfutation de la théorie de l’évolution est largement développée. Un grand espace y est consacré, en particulier dans un chapitre intitulé ” le mensonge de la théorie de l’évolution “, chapitre présenté comme une succession d'” arguments scientifiques ” montrant que la théorie de l’évolution est une ” grande imposture “. Un autre site www.mensongedelevolution, faisant référence au précédent, dénonce quant à lui, les conséquences néfastes de cette théorie sur la société et ” révèle les fraudes et les mensonges commis par les partisans de l’évolutionnisme en “prouvant” l’évolution “. Il ajoute que ” la seule raison pour laquelle le darwinisme est encore imposé aux gens par le moyen d’une campagne de propagande à l’échelle mondiale est due aux aspects idéologiques de la théorie de l’évolution “. Cet aspect idéologique est largement développé pour montrer le danger que représente cette théorie : ” des idéologies violentes telles que le racisme, le fascisme et le communisme, ainsi que d’autres conceptions barbares du monde, qui reposent sur le conflit, se sont toutes inspirées de cette duperie “.

C’est le même type de discours que tiennent les créationnistes chrétiens. Il semble que les extrémistes musulmans se soient fortement inspirés de leurs attaques contre l’évolution, surtout avec le développement d’Internet. Dans des sites web créationnistes, par exemple, celui de l'” Association de science créationniste du Québec ” ou le site www.answersingenesis.org, la théorie de Darwin est accusée de mener à la pornographie, au racisme, au fascisme. On lui attribue le concept de race supérieure, c’est donc une philosophie ” culminant dans la “solution finale”, l’extermination d’environ six millions de juifs et quatre millions d’autres personnes qui appartiennent à ce que des scientifiques Allemands ont jugé être des “races inférieures” “[2].

Actuellement, le créationnisme le plus puissant est celui des fondamentalistes protestants attachés à une lecture littérale des textes bibliques. Aux États-Unis, ils ont des organismes dotés de budgets très importants tels que l'” Institute for Creation Research ” ou la ” Creation Research Society “. De plus, une nouvelle forme de mouvement anti-Darwin, l'” Intelligent design “, le ” dessein intelligent ” se développe. A la tête de ce mouvement disposant aussi d’une institution puissante, le ” Discovery Institute “, on trouve des scientifiques, biochimistes, mathématiciens, biologistes… Pour eux, le monde vivant témoigne d’une irréductible complexité qui ne peut procéder que d’une intelligence non naturelle. Ils évitent de nommer le créateur. Pour G. Lecointre[3] : il s’agit d’un ” créationnisme mou mais offensif “.

Ces mouvements font preuve de beaucoup d’énergie et de ténacité pour investir le champ de l’éducation, introduire leurs idées dans les programmes d’enseignement des écoles publiques et agir pour supprimer la théorie de l’évolution des programmes scolaires. Ils travaillent l’opinion publique, interviennent dans les média, organisent des conférences dans les universités, ont leurs propres musées…

Aux États-Unis, le système d’enseignement est décentralisé. Chaque État décide sa politique d’éducation ; le conseil de l’éducation définit le contenu du cursus scolaire des écoles publiques et intente des procès lorsque les programmes ne sont pas respectés en particulier pour les matières sensibles. Par exemple, le fameux procès du singe, en 1925, dans l’état du Tennessee : un jeune professeur Thomas Scopes fut inculpé pour avoir enseigné la théorie de l’évolution aux élèves de l’école publique de Dayton, bravant une loi de cet État qui l’interdisait. Il fut condamné à une amende de 100 dollars. Ce procès suscita beaucoup de réactions aux États-Unis.

En 1981, dans l’État de l’Arkansas, sous la pression des créationnistes, une décision législative eut pour effet d’introduire dans les programmes scolaires, d’autres hypothèses concurrentes des théories de l’évolution.

En 1999, dans l’État du Kansas, le conseil de l’éducation a mis en place pour les écoles publiques des programmes d’où la théorie de l’évolution est absente. Elle pouvait être enseignée mais n’était pas au programme des examens : les créationnistes avaient remporté une victoire qui fit parler d’elle. Au début de l’année 2001, suite au changement de majorité du conseil, la théorie de l’évolution fut remise au programme. Mais les créationnistes ne cèdent pas de terrain et, suite aux élections de novembre 2004, la majorité du conseil de l’éducation revint au clan anti-évolution. Le problème de l’enseignement de la théorie de l’évolution se pose donc à nouveau au Kansas. Il en est ainsi aussi dans 24 États des États-Unis[4]. Autre exemple, dans l’État d’Ohio, le conseil de l’éducation a fait passer une mesure exigeant que l’on enseigne des théories alternatives à celle de l’Évolution et encourageant l’enseignement du ” dessein intelligent “.

Dans certains États, tels ceux du Missouri et de la Caroline du Sud, il ne s’agit pas seulement de l’enseignement mais aussi des manuels scolaires vendus dans les écoles publiques, qui doivent comporter un ou plusieurs chapitres contenant une analyse critique sur les origines, certains demandant un traitement égal de l’enseignement de la théorie de l’évolution et celui du ” dessein intelligent “.

Ces mesures suscitent des protestations de scientifiques renommés et peuvent aussi être annulées par des décisions de justice suite à des procès. Par exemple, le procès intenté en décembre 2004, en Pennsylvanie, par l’American Civil Liberties Union (ACLU)[5], représentant 11 parents de Dover, contre le conseil d’éducation, pour empêcher que le ” dessein intelligent ” soit enseigné comme une science dans l’enseignement public, car ” le dessein intelligent est un cheval de Troie pour réinstaurer le créationnisme religieux dans les classes publiques scientifiques “[6].

Une association nationale très active pour la promotion et la défense de l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles publiques, le ” National Center for Science Education ” (NCSE), donne régulièrement l’état des lieux en ce qui concerne cet enseignement aux États-Unis. Le NCSE rapporte les résultats de récents sondages sur ce que pensent les Américains de la théorie de l’Évolution. Le sondage Gallup de novembre 2004[7] donne les résultats suivants :
A la question, ” pensez vous que la théorie de Darwin soit une théorie scientifique qui peut être prouvée ou juste une des nombreuses théories qui ne peut pas être prouvée par l’expérience ou est-ce que vous n’en connaissez pas assez pour en parler ? ” :

  • 35 % disent que l’évolution est prouvée par l’expérience
  • 35 % disent que non
  • 29 % disent qu’ils n’en savent pas assez pour répondre
  • 1 % sont sans opinion

Ces résultats sont similaires à ceux de 2001, la première année où Gallup a posé la question.

 En Australie, les créationnistes sont aussi très actifs et disposent d’une organisation puissante, la ” Creation Science Foundation ” devenue ” Answers in Genesis “. Dans l’État du Queensland, au début des années 1980, l’enseignement du créationnisme fut autorisé en tant que science dans les écoles. Pour démontrer que ces créationnistes ont commis des fraudes scientifiques et financières, Ian Plimer, professeur de géologie à l’université de Melbourne, a dû intenter une action en justice contre eux. Mais compte tenu de la force financière de ses adversaires et des particularités du système judiciaire australien, Ian Plimer n’a pu mener le procès à son terme (au bout de six ans) qu’en vendant sa maison[8].

En Europe, le créationnisme est aussi présent. En Angleterre, une des plus grandes organisations est ” Creation Science Movement “. En Allemagne il existe une revue créationniste qui s’appelle ” Wort und Wissen “, un musée ” Lebendige Vorwelt ” contenant une des plus grandes collections de fossiles dont il existe des descendants dans le monde actuel, pour tenter de démontrer la très grande stabilité des organismes dans le temps. En Italie, le 19 février 2004, la ministre de l’Enseignement et de la Recherche a déposé une proposition pour supprimer la théorie de l’évolution des programmes des écoles secondaires[9]. Sous la pression d’une pétition ayant recueilli plus de 50 000 signatures en quelques jours, la ministre a fait marche arrière[10].

Certes les organisations anti-évolution sont très actives aux États-Unis et dans d’autres pays majoritairement protestants, mais face à elles, il y a des structures, des associations qui se battent pour les contrer, qui gagnent des procès. En ce qui concerne les pays arabes, on a peu d’informations sur l’enseignement de la théorie de l’évolution et les problèmes qu’il peut poser.

La réappropriation de la science

Nous avons vu un des aspects de l’attitude des extrémistes religieux, le refus de la science, le deuxième aspect est une certaine réappropriation de la science. Car la science est trop présente dans le monde actuel pour être ignorée ou totalement rejetée. Vers la fin des années 1970 est apparue une littérature de scientifiques islamistes, enseignant à l’université tunisienne, dont l’objectif était de montrer la conformité de la science avec les textes religieux.

Par exemple, Béchir Torki, docteur d’état en physique nucléaire, a publié en 1979 un ouvrage intitulé ” La science appartient à Dieu ” où il essaye de montrer que le Coran avait anticipé des découvertes scientifiques. Par exemple, il donnait la justification de l’expression : les sept cieux[11] :

« Le premier : le ciel terrien, atmosphère entourant la terre : 40 km de hauteur,
Le deuxième : à 40 km x 10 000, la Lune,
Le troisième : cette dernière distance x 10 000, soit 4 milliards de km, la distance Terre-Soleil,
Le quatrième : cette distance x 10 000, soit 5 années lumière, distance correspondant aux étoiles les plus proches,
Le cinquième : en multipliant à nouveau par 10 000, soit 50 000 années lumière, notre galaxie,
Le sixième : à nouveau multipliant par 10 000, un demi milliard d’années lumière, les galaxies les plus proches,
Le septième : 10 000 fois encore, soit 5 000 milliards d’années lumière, supérieur à l’age de l’univers, le septième ciel dépasse le ciel de l’univers ».

L’explication des sept cieux a aussi inspiré Harun Yahya dans sa présentation des “Miracles scientifiques du Coran “[12]. On y trouve une autre justification des sept cieux en termes de couches atmosphériques allant de la troposphère jusqu’à l’exosphère. Mais, pour arriver à sept couches, sont prises en compte la classification des météorologistes basée sur la variation de la température en fonction de l’altitude et celle des radiophysiciens pour qui le critère est la concentration en électrons libres, quitte à ce que la même tranche atmosphérique soit comptée deux fois. L’essentiel, encore une fois, n’est pas la cohérence de ce qui est exposé, mais le résultat – sept couches – que l’on veut retrouver.

En 1990, un professeur de mathématiques à l’université de Tunis, islamiste connu, a déclaré dans un périodique tunisien que le big bang a été prévu dans le Coran. A preuve la sourate XIII, verset 13, intitulée ” erraad ” (le tonnerre) : ” Le tonnerre grondant célèbre ses louanges. Les anges saisis de sa crainte le glorifient. Il lance la foudre et en atteint qui il veut. Et l’on ose encore disputer de la puissance de Dieu dont les ripostes sont terrifiantes “[13].

Le site Harun Yahya affirme aussi dans ” les miracles du Coran “, de manière ” moderne “, que la création de l’Univers est présentée dans le Coran : la première figure est l’image du fond cosmologique donnée par le satellite Cobe (lancé en 1990), avec le commentaire : ” les senseurs du satellite… ont détecté les restes de la grande explosion “.

Cette réappropriation de la science par les extrémistes religieux n’est pas une exclusivité des islamistes. Les fondamentalistes hindous considèrent aussi que la science moderne est contenue dans les Vedas, les textes sacrés fondateurs de l’hindouisme. M. Nanda [14] cite des exemples concernant aussi bien la mécanique de Newton que la physique moderne. Les Vedas feraient référence aux lois de l’action et de la réaction de Newton à travers les lois du ” karma ” et de la réincarnation. Ils feraient référence à la physique moderne à travers la théorie des gunas : la matière et l’esprit n’étant pas des entités séparées et distinctes, trois qualités ou gunas sont partagées par toute la matière, vivante ou non. Il s’agit de la pureté, l’impureté et l’activité. La physique moderne a confirmé la présence de ces trois qualités puisqu’il y a trois types de particules, portant des charges positives, négatives et neutres.

Quand Averroès redeviendra-t-il Ibn Rochd ?

Ces comportements des islamistes face à la science signifient la négation de la pensée libre, libre de toute contrainte, ce qui devrait impliquer que l’on s’affranchisse de tous les dogmes. Ils ne peuvent être compatibles avec l’essence même de la science qui est un continuel questionnement, car ils aboutissent à considérer la science comme une vérité définitive puisque issue de la révélation.

Il est intéressant de constater que l’expérience que j’ai vécue avec des étudiants en physique de l’université de Tunis est tout à fait comparable à celle décrite par Abdelhafidh Hamdi-Cherif, lorsqu’il était enseignant en sociologie à l’université de Constantine. Il avait demandé à un groupe d’étudiantes de deuxième année, de préparer un exposé sur la notion de vérité. Elles avaient dressé, écrit Hamdi-Cherif dans la revue Naqd[15] : ” un tableau des plus importantes conceptions de la vérité, allant des présocratiques à Bachelard en passant par la controverse Al Ghazali-Ibn Rochd, l’empirisme anglo-saxon ou le spiritualisme français. Mais ce travail de grande érudition s’acheva, en conclusion, par une sentence : ce ne sont là qu’avis de philosophes. Nous, en tant que musulmans, nous avons Notre vérité dans le Coran et la Sunna “. La science leur reste extérieure.

Cette attitude de distanciation ou de refus de la science n’est pas propre à l’islam. Elle a existé en Occident. On ne peut oublier les souffrances infligées à Giordano Bruno pour avoir osé parler de l’infini des mondes. On ne peut oublier le procès de Galilée. Ce n’est qu’en 1822 que le Vatican leva les interdits sur les œuvres de Galilée ; la question sera revue par la Congrégation du Saint-Office en 1982 puis en 1984, sans qu’il soit réhabilité. C’est avec Galilée que la science moderne est née et, depuis, elle continue à se développer dans le monde occidental. Même s’il ne faut pas négliger la puissance des mouvements créationnistes protestants ou du mouvement ” intelligent design ” qui se présente comme ” scientifique “, l’Occident a une longue tradition de modernité et on ne peut comparer l’incidence des courants fondamentalistes dans les pays occidentaux et dans les pays musulmans. Aujourd’hui, les moyens de communication que la science a permis de développer de manière vertigineuse ces dernières années, sont un outil que les islamistes ont su exploiter au mieux : entre les cassettes audio, les télévisions et les sites web, ils offrent aux musulmans crédules un discours qu’ils habillent ” d’arguments scientifiques “. En cela, ils ont parfaitement imité les fondamentalistes chrétiens qui tiennent à une lecture littérale de la création et s’opposent fermement à la théorie de l’évolution. Il est frappant de constater à quel point le discours qui assimile la théorie de l’évolution à une idéologie matérialiste, donc immorale et responsable de tous les maux de la société, est le même chez les fondamentalistes chrétiens et musulmans.

Se voulant ” modernes “, mais rejetant l’Occident et ses valeurs, les islamistes développent par ailleurs un discours qui veut montrer, citations du Coran à l’appui, que la science moderne était déjà présente dans le Coran. C’est une façon de s’approprier cette science née en Occident. Ils veulent montrer qu’elle est déjà dans la Révélation. Ils refusent d’admettre que l’homme ait élaboré une représentation de l’univers qui nous entoure en termes de lois fondamentales : c’est inacceptable, car d’une part, tous les mystères de la nature sont expliqués dans le Coran, d’autre part, Dieu gouverne la nature ; elle ne peut donc lui échapper par des lois. Cette attitude a des racines profondes liées à une conception de la foi qui exclut le pouvoir de la raison qui pourrait l’éloigner de Dieu, créateur du monde.

Les islamistes adoptent la pensée anti-rationaliste de Ghazali, théologien philosophe du xie siècle. Auteur de plusieurs ouvrages dont Autodestruction des philosophes et Erreur et délivrance, Ghazali écrit : ” Tous les processus naturels représentent un ordre fixé par la volonté divine, que celle-ci peut rompre à tout moment “[16] …

” C’est ainsi que le soleil, la lune, les astres, les éléments sont soumis aux ordres divins : rien en eux ne saurait agir spontanément… Quoique sans rapport avec la religion, les mathématiques sont à la base des autres sciences. Celui qui les étudie risque donc la contagion de leurs vices ” [17]. Ghazali rejette toute soumission de la nature à des lois qui limiteraient la volonté de Dieu : ” Le cosmos est volontaire. Il est création permanente de Dieu et n’obéit à aucune norme… Le premier maître est Dieu et la connaissance se transmet par la révélation (…) et (…) par l’intermédiaire des prophètes… “[18].

La démarche antirationaliste des islamistes aujourd’hui constitue un frein majeur au développement culturel et scientifique des pays musulmans, pays consommateurs et non créateurs de science. Dans ces pays, la pensée scientifique est d’une certaine manière moins libre qu’à certaines époques de l’histoire musulmane qui a connu de grands philosophes tels qu’Ibn Rochd (xiie siècle) (Averroès pour les latins). Connu pour ses commentaires des écrits d’Aristote et pour son œuvre philosophique, Ibn Rochd a contribué à la séparation entre foi et connaissance, religion et philosophie. Pour lui la loi divine appelle à étudier rationnellement les choses et ne se trouve pas en contradiction avec la philosophie. Dans son fameux ouvrage Autodestruction de l’autodestruction où il répond à Ghazali, il écrit : ” Rien ne prouve mieux la sagesse divine que l’ordre du cosmos. L’ordre du cosmos peut être prouvé par la raison. Nier la causalité, c’est nier la sagesse divine, car la causalité est une relation nécessaire. La seule fonction de la raison est de découvrir la causalité, et celui qui nie la causalité, nie la raison et méconnaît la science et la connaissance “.

Mais Ibn Rochd fut persécuté à la fin de sa vie et ses livres ont été brûlés. Des exemplaires furent retrouvés en Occident, traduits en hébreu et en latin, contribuant à l’émergence d’une pensée moderne en Occident. Dans le monde arabe, pendant des siècles, c’est la pensée de Ghazali qui a régné sur les esprits et Inb Rochd est passé presque inaperçu. On regrette qu’il n’ait été qu’Averroès, car c’est en Europe chrétienne qu’à partir du xiiie siècle, s’est développée cette pensée moderne qui a permis de passer du texte sacré que l’on prend à la lettre, au texte que l’on interprète, ce qui laisse une place à la raison. Henri Corbin [19] cite ce mot d’Averroès : “ O hommes ! Je ne dis pas que cette science que vous nommez science divine soit fausse, mais je dis que, moi, je suis sachant de science humaine ” et ajoute, ” on a pu dire que c’était là tout Averroès ” ; ” L’humanité nouvelle qui s’est épanouie à la Renaissance est sortie de là ” [20].

Aujourd’hui, face aux intégristes, des intellectuels du monde arabe font entendre leurs voix pour proposer une autre vision de l’islam, reprenant à leur compte certaines avancées exprimées à l’aube de l’islam et qui n’ont pas pu fructifier en leur temps. Ils proposent de rompre avec la lecture littérale de certains versets et d’entreprendre une démarche herméneutique.

Combattre les extrémistes, c’est aussi faire en sorte que nos jeunes soient armés pour ne pas se laisser embrigader. C’est par la culture, l’enseignement des humanités, l’enseignement de l’histoire des sciences, que nos jeunes peuvent échapper à cette fermeture, mais cela suppose une véritable prise de conscience de la nécessité de réinvestir le secteur de l’éducation que les intégristes avait occupé pour façonner l’esprit des jeunes.

  1. F. Laroui, ” Ne nous parlez pas de Darwin “, Jeune Afrique l’Intelligent, N° 2301, 13-19 février 2005.[↑]
  2. J. Bergman, ” Darwinism and the Nazi Race Holocaust “, Creation Ex Nihilo Technical Journal, 13, (2), 101-111, 1999 ou www.answersingenesis.org. [↑]
  3. G. Lecointre, ” Evolution et créationnismes “, Sagasciences@cnrs-dir.fr[↑]
  4. L.Parker, ” School science debate has evolved “, USA TODAY, 28-11-2004.[↑]
  5. L’ACLU représentait Scopes au procès du singe de 1925.[↑]
  6. Voir : ” ACLU/AU Press Release : “Pennsylvania Parents File First-Ever Challenge to ‘Intelligent Design’Instruction in Public Schools.” December 16, 2004, http://www.aclu.org/ReligiousLiberty “.[↑]
  7. The Gallup Organization, 19 novembre 2004.[↑]
  8. Guillaume Lecointre, op.cit.[↑]
  9. C. Susanne, L’enseignement de la biologie et l’évolution (humaine) en péril ?, Antropo, 8, 1-31, (2004).[↑]
  10. Journal la Republica, 28 avril 2004.[↑]
  11. Bechir Torki, La science appartient à Dieu, p. 112, Tunis, 1979 (en langue arabe).[↑]
  12. Les miracles du Coran, www.harunyahya.com/fr[↑]
  13. Le Coran, traduction de S. Mazigh, Editions du Jaguar, Paris.[↑]
  14. M.Nanda, ” Postmodernism, Hindu nationalism and “Vedic science” “, Frontline (India’s National Magazine), Volume 20, January 2, p.78-91, 2004.[↑]
  15. A. Hamdi-Cherif, ” De quelques blocages dans l’accès au savoir : l’identité comme obstacle épistémologique “, Naqd, Revue d’Etudes et de critique sociale, n° 13 (Science, savoir et société), p.101.[↑]
  16. Voir H. Corbin, Histoire de la philosophie islamique, p. 258, NRF, idées, 1964.[↑]
  17. Al-Ghazali, Al-munqid min adalal : erreur et délivrance, p. 75, traduction française par F. Jabre, Commission libanaise pour la traduction des chefs d’œuvre, Beyrouth, 1969.[↑]
  18. Voir M. Charfi et A. Mezghani, Introduction à l’étude du droit, § 386 et 397, CNP, Tunis, 1993 (en arabe).[↑]
  19. H. Corbin, op.cit. p.345.[↑]
  20. G. Quadri, La Philosophie arabe dans l’Europe médiévale, trad.[↑]

Venez découvrir

Les Cahiers Rationalistes

Venez découvrir

Raison Présente

Podcast

RECHERCHE PAR THÈME