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Hélène Langevin-Joliot 

Union rationaliste

01/10/2008

La science, garante de la démocratie ?

Si la compétence donne des droits, elle ne peut s’imposer sans débats démocratiques ni concertation à tous les niveaux. D’où la nécessité de former des citoyens éclairés.[1]

La science est d’abord recherche de connaissances nouvelles, travail d’approfondissement et de transformation des concepts qui les coordonnent. Le terme de science renvoie aussi à des recherches appliquées, au développement technologique. Parallèlement, la démocratie ne répond qu’imparfaitement à la définition d’Abraham Lincoln : « le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple. » Elle conjugue plus modestement les idées de souveraineté du peuple et d’élection de ses représentants, de débats entre citoyens égaux, de liberté indispensable aux débats, d’espaces d’initiatives pour les individus et les groupes. Au-delà des apparences, les rapports de la science et de la démocratie sont au cœur de questions essentielles à notre époque.

 Du questionnement à la concertation. La démocratie n’est pas pertinente pour trancher un débat scientifique. Elle l’est, en revanche, pour garantir la liberté du questionnement. Elle l’est aussi en réponse aux pratiques scientifiques de plus en plus collectives à notre époque. Les scientifiques ont besoin de coordonner leurs initiatives, de dégager les directions les plus prometteuses d’avancées possibles et d’apprécier les capacités de chacun. Ces questions sont débattues au CNRS, jusqu’à présent, par les sections du Comité national de la recherche scientifique, composées de membres élus et de membres nommés. Quelles que soient les limites du système, la comparaison avec des modes de fonctionnement plus « mandarinaux » ou reposant sur des directives institutionnelles reste très largement à son avantage. Les modèles étrangers que l’on donne en référence pour justifier le bouleversement des structures de l’université et du CNRS rencontrent aussi les critiques de ceux qui les vivent. Ils peinent notamment à augmenter la place des femmes scientifiques, beaucoup plus réduite qu’en France, et notamment au CNRS.

 Encourager la culture scientifique. La science est aujourd’hui, pour l’essentiel, un domaine extérieur à la culture, y compris celle des « élites » intellectuelles et politiques. L’impression d’être submergé par l’accumulation extrêmement rapide de nouvelles connaissances domine. Le fossé d’incompréhension entre les « experts » scientifiques et les citoyens ne cesse de se creuser, alors même que notre vie est imprégnée de science à travers les objets du quotidien. Dans de telles conditions, la frontière entre science et pseudo-science est aisément franchie. Plus grave, le citoyen est mal armé pour aborder de manière rationnelle les débats démocratiques sur les grands choix technologiques, dont la nécessité est cependant reconnue par tous.

 Une conception de la culture scientifique trop exclusivement limitée à la transmission de savoirs ne répondra pas aux attentes. Il faut faire connaître aussi les méthodes de la science, à partir d’exemples de découvertes récentes, comme de découvertes plus anciennes. Notre société, au-delà de la formation des scientifiques nécessaire au développement de la recherche et à l’économie, a impérativement besoin de citoyens formés dans cet esprit, comprenant ces méthodes, pour sauvegarder la démocratie elle-même. Développer la culture scientifique est aujourd’hui un objectif aussi important que le fut l’alphabétisation en d’autres temps.

 La culture générale, écrivait Paul Langevin, « c’est ce qui permet à l’individu de sentir pleinement sa solidarité avec les autres hommes dans l’espace et dans le temps, avec ceux de sa génération comme avec ceux des générations qui l’ont précédé et celles qui le suivront. Être cultivé, c’est donc avoir reçu et développé constamment une initiation aux différentes formes d’activité humaine » (conférence du 11 juin 1931 au Musée pédagogique, sous les auspices de la Société française de pédagogie). La culture à transmettre, en particulier par l’enseignement, privilégie alors l’approche de la science, dans cet esprit, comme un ensemble coordonné de connaissances, comme une activité humaine, pas comme un catalogue de connaissances « utiles », a fortiori de compétences. Elle prend sens dans une conception dynamique de la culture, qui pousse l’individu à continuer à enrichir la culture acquise initialement et à y prendre plaisir. 

 Du rôle des scientifiques dans les débats démocratiques. La rapidité des évolutions de la science et des technologies, ajoutée à l’opacité des modes de décision, à l’impact de catastrophes de différentes ampleurs et origines, a favorisé dans l’opinion publique le sentiment que plus rien n’était maîtrisé. L’aspiration au progrès, espéré autrefois de l’avancée des sciences, s’est estompée d’autant plus facilement devant la crainte du risque que les processus de mondialisation et de compétition généralisée en cours sont profondément déstabilisateurs.

 La nécessité de débats démocratiques sur les grands choix technologiques s’est imposée, à juste titre, en référence aux exigences de santé publique, de protection de l’environnement et de la biodiversité, de lutte contre le réchauffement climatique. Les nombreux débats qui se sont déroulés sont critiqués. Pour les uns, il n’y a pas eu de débats véritables, pour d’autres, les débats tournent en rond. On trouvera dans les actes du colloque « Débats scientifiques et choix de la société », organisé au Collège de France par l’Union rationaliste, des éléments de réflexion permettant de mieux cerner les difficultés rencontrées et les voies susceptibles de surmonter les blocages actuels.

 Les attentes des citoyens vont de demandes d’explications jusqu’à la prise en compte de propositions formulées par les associations intervenantes, éventuellement la prise de décision par les participants au débat. Le rôle de ce dernier est il d’analyser ou de conclure ? C’est poser ici tout le problème de la place et des conditions d’exercice de la « démocratie participative », par rapport à la démocratie politique.

 Quelles conditions pour des débats constructifs ? Il n’est pas de meilleur outil que la raison pour analyser les questions difficiles relevant à la fois de la science, de l’économie et des besoins sociaux. La transparence des informations est indispensable, de même que l’utilisation d’un langage intelligible par tous, où le sens de mots courants, à multiples significations, est précisé. Il n’est pas acceptable de céder sur les conditions qui permettent de considérer un fait comme scientifiquement établi, pour s’en tenir à la confiance accordée ou non à celui qui l’énonce, ou à des apparences non suivies d’analyse. Les « expertises » ne remplacent pas un travail collectif de fond.

 Le Grenelle Environnement a pris la forme d’un processus de négociation avec des organisations sélectionnées, sans que les scientifiques concernés aient été appelés à établir collectivement un bilan critique des connaissances. Seul le changement climatique a été discuté à partir d’un tel bilan, celui établi indépendamment par le GIEC (Groupement international d’étude sur le climat). La méthode utilisée et la mise à l’écart des communautés scientifiques contredisent les exigences de débats démocratiques et rationnels pour préparer des décisions politiques concernant l’environnement et le développement durable. L’efficacité, comme la démocratie, nécessite d’articuler sans les confondre débats scientifiques et débats démocratiques.

Savoir +

  • « Débats scientifiques et choix de la société », in Raison présente, no 161, 2007 (actes du colloque de l’Union rationaliste).
  1. Article publié dans le dossier de TEXTES ET DOCUMENTS POUR LA CLASSE N°961, 1er octobre 2008, dans la rubrique ÉPISTÉMOLOGIE [P. 18-19] [↑]

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