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Françoise Olivier-Utard

Les Cahiers Rationalistes
n°628

19 octobre 2014

Laïcité dans l’enseignement supérieur : des régressions travesties en avancées.

Dans les débats actuels sur les questions de laïcité dans l’enseignement en France, il est peu souvent question des universités. Le rapport d’étape sur les travaux de l’Observatoire de la laïcité1 (25 juin 2013) ne les évoque pas, les jugeant sans doute non prioritaires. Le projet de rapport du Haut commissariat à l’intégration2 (août 2013) traite quant à lui des problèmes posés par les tensions d’origine religieuse vécues dans un certain nombre d’universités et fait 12 propositions pour étendre à l’université les principes laïques de neutralité dans un service public, de monopole de l’État dans la collation des grades et de clarté dans l’attribution de locaux aux associations étudiantes. Mais le tableau n’est pas complet car il n’évoque pas la situation des deux universités publiques de Strasbourg et de Nancy au sein desquelles sont financées des facultés religieuses (catholiques et protestante) qui servent depuis des décennies de terrain d’expérience à une stratégie éducative antilaïque. Cette politique s’inspire de deux tendances contemporaines profondes, qui sont d’une part la volonté des autorités religieuses de reconquérir le terrain perdu et d’imposer la reconnaissance d’un système politico-religieux, et, d’autre part, le modèle libéral européen de privatisation des institutions d’enseignement supérieur. Les questions soulevées renvoient à la liberté de l’enseignement, à la liberté de la recherche ainsi qu’au statut des religions dans l’espace public. Elles touchent directement les missions de l’université.

L’actualité récente nous fournit plusieurs preuves de ces offensives que le présent article se propose d’analyser et de mettre en perspective. Ces régressions, que tous les laïques ne peuvent que dénoncer et qu’ils doivent contrecarrer, s’appuient sur modèle archaïque paré aujourd’hui de toutes les vertus de la modernité, celui de l’Université de Strasbourg qui annonce haut et fort qu’elle est « unique en France » dans son genre, parce qu’elle a en son sein deux facultés de théologie.

L’université de Strasbourg est en effet restée le coin enfoncé dans le socle de la laïcité depuis 1919. L’Alsace et la Moselle annexées par l’Allemagne entre 1870 et 1918, n’ont connu aucune introduction des lois importantes laïques françaises de cette époque : ni celle de 1875 recréant les universités françaises, ni celles de Jules Ferry concernant l’école, ni celles de 1905 concernant le statut des cultes. Elles sont restées, sous la pression des notables alsaciens et des cléricaux français dépêchés à Strasbourg, en dehors de la loi commune, dans un système hétéroclite, confus et dépassé de vieilles lois françaises auxquelles se sont ajoutées des lois allemandes cléricales. L’université de Strasbourg est devenue en 1919 un des éléments du dispositif clérical destiné à servir de point d’appui pour une éventuelle reconquête. Elle entretient en effet des rapports organiques avec les cultes catholique et protestants en formant, grâce à des maîtres salariés de l’État, les ministres des cultes, les enseignants de religion (matière obligatoire de l’enseignement primaire) et en finançant des recherches à base dogmatique. Le provisoire (car en 1919 on envisageait de mettre un terme à l’exception), s’est installé. Il a même essaimé, puisqu’une antenne de théologie catholique a été formée à l’université de Metz en 1965, avant le rattachement du département de la Moselle à l’Académie de Nancy (1970) et qu’aujourd’hui la nouvelle Université de Lorraine, après la fusion de l’Université de Nancy avec celle de Metz, se trouve obligée de gérer un département de théologie catholique. La question de fond renvoie à la place des religions dans la sphère politique, autrement dit à leur reconnaissance par l’État. Cette question, jusqu’à présent cantonnée discrètement à l’Alsace-Moselle, resurgit aujourd’hui à propos de l’islam à l’échelle nationale. L’angle sous lequel elle est abordée et les solutions avancées méritent qu’on en décrypte les enjeux et les mécanismes.

Cet article entend éclairer le public sur la situation qui résulté de cette politique d’exception et l’avertir des menaces qui pèsent sur les universités françaises. Il n’entend pas attaquer des personnes mais une institution. Seuls seront désignés par leurs noms les auteurs d’articles référencés. Les autres personnes seront désignées par leur fonction.

Les sources sont fournies par les chiffres officiels et les sites de l’université. elles ne sont pas toujours facile d’accès car la fusion des trois universités a complexifié l’administration. Les données mises en ligne relèvent assez souvent de la communication plutôt que de l’information. Elles ne sont ni homogènes ni actualisées régulièrement. Les omissions, les non-dits et les propos sibyllins sont nombreux.

1La création des facultés de théologie à Strasbourg de 1872 à 1918 : des initiatives politiques allemandes

La structuration de l’université de Strasbourg relève de la politique allemande menée en Alsace de 1870 à 1918. Cette politique s’est établie en deux temps. Dans une première étape, les Allemands ont admis, en créant la Kaiser Wilhelms Universität de Strasbourg en 1872, l’existence d’une faculté de théologie protestante. Ils l’ont fait compte tenu des origines de l’université de Strasbourg et surtout conformément à leur système universitaire, dans lequel les universités étaient catholiques ou protestantes, selon les régions de l’empire. Cette faculté de théologie protestante tenait lieu de Séminaire. Y étaient formés les ministres des cultes des deux principales branches du protestantisme, calviniste et luthérienne. Chaque consistoire veillait à la nomination des pasteurs, comme cela était le cas dans les autres facultés de théologie protestante allemandes.

La deuxième étape fut celle de la création de la faculté de théologie catholique, en 1903. Ce fut une manœuvre politique destinée à satisfaire le parti catholique allemand Zentrum, bien implanté en Alsace, afin de ramener les Alsaciens à des sentiments moins hostiles à l’égard de l’Empire. L’assentiment au sujet de la création de cette faculté n’était pas gagné d’avance car ni les autorités religieuses, romaines et locales, ni l’université n’en voulaient, chacune restant attachée à son indépendance et voyant d’un mauvais œil les tentatives d’ingérence de l’autre partie. La faculté catholique fut imposée à la Kaiser Wilhelms Universität de Strasbourg. L’affaire provoqua d’ailleurs de grands remous dans toute la société allemande et engendra même une pétition, lancée par l’historien Theodor Mommsen, dénonçant les procédés utilisés contre les libertés universitaires allemandes.

Les négociations avec le Saint-Siège avaient abouti le 5 décembre 1902 à une convention3 comportant plusieurs textes. Le premier est la reconnaissance par le Vatican de la création d’une faculté de théologie catholique à Strasbourg ; vient ensuite l’acceptation allemande, puis la Professio fidei ou rappel des conventions signées précédemment par les universités allemandes de Bonn et de Breslau, dans lesquelles sont énoncées les prérogatives que s’attribue le Vatican (droit de veto de l’évêque sur les nominations des professeurs, contrôle par l’évêque des lectures, des enseignements et des comportements des professeurs), et enfin, signé en septembre 1903 seulement, le bref papal en latin « Cum venerabilis », qui reconnaît la valeur canonique des diplômes délivrés à la faculté de théologie catholique de Strasbourg. Par ailleurs, le nombre de postes créés à la nouvelle faculté étant insuffisant, une clause secrète prévoyait que deux postes, de philosophie et d’histoire, seraient attribués à des professeurs catholiques de la faculté des lettres, afin de garantir une formation des futurs ministres du culte catholique conforme aux canons ecclésiastiques. La surveillance des contenus de l’enseignement était donc très étroite et s’imposait même aux non théologiens, à leur insu. D’où le scandale quand l’affaire s’ébruita.

Les discussions avec les papes Pie X puis Benoît XV avaient duré longtemps : le pape ne voulait pas d’ingérence universitaire dans les affaires de formation des prêtres et avait refusé d’abandonner le principe du Séminaire. L’université ne dispensait donc que les cours théoriques. Les cours pratiques étaient donnés au Grand Séminaire de Strasbourg.

Par rapport au concordat napoléonien4, qui encadrait étroitement la nomination des évêques, réglementait la formation des prêtres dans les Séminaires, le Saint-Siège venait de renverser la situation et de reprendre la main. La convention papale était l’opposé du concordat gallican.

La création de la faculté catholique se fit à la rentrée 1903. En 1918, la faculté de théologie catholique avait tout au plus 15 ans. Il n’est donc pas juste de parler aujourd’hui, comme le fait le doyen de théologie catholique Jean-Pierre Wagner5, de la longue tradition de « la » théologie à l’université de Strasbourg, sinon pour désigner la théologie protestante.

2Le coup de force du parti catholique en 1919

Rien ne change en Alsace en 1918 : le parti du Zentrum devient celui de l’Union populaire républicaine (UPR). Il impose le statu quo. L’harmonisation des lois allemandes et françaises est entreprise dans tous les domaines sauf les questions laïques, qui restent ainsi taboues. On comprend mieux comment les choses se sont passées quand on sait que le chef de l’ancien Zentrum est le chanoine Eugène Muller, professeur de théologie catholique, député au Landtag allemand et bientôt député français du Bloc national (novembre 1919). C’est lui qui se charge d’accueillir les membres de la mission universitaire venue sur place de Paris en novembre 1918 pour faire l’état des lieux et prendre possession de l’université. En France, les adversaires des lois laïques de 1905 n’ont pas désarmé et voient dans la situation alsacienne une position de repli pleine de promesses. Ils ont des alliés puissants dans la personne d’Alexandre Millerand, qui est Commissaire général d’Alsace et de Lorraine avant de devenir président de la République et qui charge Louis Canet, catholique fervent, de négocier avec le Vatican. En octobre 1919, le Conseil d’université décide que les deux facultés de théologie font partie de l’université, pour ne pas faire surgir en public la question laïque. C’est un véritable coup de force : la Conférence d’Alsace-Lorraine qui avait travaillé régulièrement depuis 1915 sur les conditions de la réouverture de l’université de Strasbourg, s’était prononcée unanimement, dans un rapport publié en 1917 (Rapport Pfister 6), pour la suppression de la faculté de théologie catholique, vu que ni l’évêché ni l’université n’en voulaient, et pour la création d’un Séminaire libre protestant en dehors de l’université lui aussi. Le Saint-Siège, quant à lui, avait dénoncé l’accord signé avec l’Allemagne. Les négociations avec le Saint-Siège aboutissent en 1924 à une reprise de la convention allemande, hormis les clauses secrètes, devenues inutiles puisque la faculté catholique obtient des postes supplémentaires et n’oblige plus les théologiens à suivre des cours à la faculté des lettres.

La présence, à la faculté de droit, de juristes spécialistes de droit canon permet même de créer dès 1920 un Institut de droit canonique, dont les diplôme seront reconnus par le Saint-Siège en 1924.

L’année 1924 est une année charnière. Le 30 mai, la convention avec le Saint-Siège est mise en place par le président de la République, Alexandre Millerand. En juin, dès la victoire du Cartel des gauches, Édouard Herriot annonce la fin prochaine de la situation provisoire dans les trois départements non encore laïques mais doit reculer devant la menace autonomiste de l’Alsace. L’Université de Strasbourg reste en dehors de la bataille politique et religieuse. Rien ne bouge.

3 – Les facultés de théologie aujourd’hui

En septembre 1939, l’Université de Strasbourg est repliée, hommes et biens, à Clermont-Ferrand. Durant l’occupation, les nazis tentent de la décapiter en organisant des rafles et des déportations de professeurs et d’étudiants. A la rentrée de novembre 1945, elle est réinstallée à Strasbourg, à l’image de ce qu’elle était avant la guerre. On ne touche à rien. En 1965, une antenne de la faculté de théologie catholique de Strasbourg ouvre à l’Université de Metz. En 1969, l’université de Strasbourg éclate en trois entités distinctes (lettres, sciences et droit). Les deux facultés de théologie appartiennent à l’Université des lettres et sciences humaines. Elles y ont un poids très important. A deux reprises des théologiens protestants sont élus présidents. En 2009, l’université de Strasbourg se réunifie. Un peu plus tard, c’est le tour des universités de Metz et de Nancy. Rien n’a changé. Le texte de 1923 est toujours en vigueur, quoique jamais évoqué dans ses fondements que sont le contrôle exigeant et la pression de l’évêché.

a) La faculté de théologie catholique de Strasbourg

Les deux facultés de théologie fonctionnent sur un modèle particulier. Les sections du Conseil national des universités pour la théologie catholique et la théologie protestante sont réglementées par le décret 85-1200 du 13 novembre 1985. Elles se réunissent au rectorat de Strasbourg, sous la présidence du recteur représentant le ministre. Les théologiens catholiques relèvent de la section 76, les théologiens protestants de la section 77. Les textes sont muets sur les instances religieuses qui président aussi aux choix, selon la convention de 1923 et les articles organiques. La nouveauté par rapport au passé est la féminisation des recrutements, qui permet la parité au sein des commissions et une minimisation des cumuls de fonctions ecclésiastique et universitaire, les femmes ne pouvant être prêtre diocésain par exemple.

La section 76 du Conseil national des universités

La section 76 du Conseil national des universités gère la faculté de théologie catholique de Strasbourg et le centre de pédagogie religieuse de Metz. Elle comprend aujourd’hui 11 professeurs, dont 7 appartiennent à la faculté de théologie catholique de Strasbourg, 2 au Centre de pédagogie religieuse de Metz et 2 extérieurs à ces composantes (1 directeur de recherches du CNRS d’un laboratoire strasbourgeois et 1 professeur de la faculté des lettres de l’Université de Strasbourg), et 8 maîtres de conférences, dont 4 de la faculté de théologie catholique de Strasbourg et 1 du Centre de Metz et 3 de composantes de l’Université de Strasbourg (1 maître de conférences de lettres, 1 maître de conférences de philosophie et 1 maître de conférences de langues). La composition de cette section est, par la force des choses, éminemment strasbourgeoise et messine. La section se prononce sur les qualifications et l’avancement, comme dans les autres sections CNU. Elle se prononce aussi sur la création de postes, ce qui est inhabituel au Conseil national des universités.

Les propositions de recrutement se font au sein de comités composés ad hoc pour chaque poste à pourvoir. Le Conseil d’administration A l’université avalise la composition de chaque comité. Les comités catholiques ont gardé un statut dérogatoire très particulier. Leurs propositions doivent être avalisées d’une part par le CA restreint de l’université et par les autorités ecclésiastiques. Le droit de veto appartient donc à l’Église, qui est extérieure à l’université, alors que dans les composantes à statut dérogatoire, il appartient au directeur de la composante, comme par exemple un directeur d’Institut universitaire de technologie (IUT) ou un directeur d’Institut d’études politiques (IEP). Les nouvelles procédures n’ont pas restreint le droit de regard de l’évêché. En définitive, ce n’est donc pas l’université qui décide des recrutements.

Les postes

Les postes d’enseignants de la faculté de théologie catholique de Strasbourg se répartissent ainsi : 14 postes de professeurs, 11 postes de maîtres de conférences). Pour le droit canonique : 2 postes de professeurs, 2 postes de maîtres de conférences), sciences bibliques (2 postes de professeurs, 4 postes de maîtres de conférences, pour la philosophie : 2 postes de professeurs, pour la théologie systématique : 2 postes de professeurs, 1 poste de maître de conférences, pour l’histoire : 3 postes de professeurs, 2 postes de maîtres de conférences, pour la théologie morale : 2 postes de professeurs. La faculté fait en outre appel à 9 vacataires.

L’offre de formation

A l’origine, les cursus proposés par les deux facultés de théologie correspondaient aux dénominations ecclésiastiques : le baccalauréat de théologie correspondait à quatre ans d’études universitaires, la licence à six ans. Au fil des réformes appliquées aux universités françaises, les choses ont évolué. Lorsque le système LMD (Licence en 3 ans, master en 2 ans, doctorat en 3 ans) issu de l’accord intitulé « processus de Bologne » s’est mis en place en Europe, la faculté de théologie catholique s’y est adaptée. Les étudiants peuvent s’inscrire en licence de théologie (trois années), en master (master de Théologie catholique, master de Droit canonique, ou master Sciences et droit des religions). Lorsqu’ils s’inscrivent en doctorat, ils relèvent de l’école doctorale de théologie et sciences religieuses (ED 270), commune aux deux facultés de théologie de Strasbourg.

Les étudiants intéressés par le droit canonique s’inscrivent directement en 3ème année de licence de droit canonique, à condition d’avoir déjà des diplômes de théologie. Ils suivent 2 semestres de cours spécifiques. Ils peuvent poursuivre par un master de droit canonique, puis un doctorat.

D’autres diplômes d’université sont proposés : le diplôme supérieur de théologie catholique, qui se prépare en 2 ans (DSTC), le certificat d’aptitude à l’enseignement religieux (CAPER), le certificat supérieur de pédagogie religieuse (CSPR), le diplôme supérieur d’études universitaires (DESU), le diplôme supérieur de théologie catholique (DSTC), le diplôme universitaire « découverte du christianisme » (DUDC), le diplôme universitaire de formation en action pastorale (DUFAP).

Les théologiens catholiques se sont emparés très tôt, dès 1977, des ressources offertes par la l’enseignement à distance. Elles permettent d’inscrire un grand nombre d’étudiants résidant hors d’Alsace et même hors de France. Les inscrits par correspondance représentent 90% des effectifs de la faculté. C’est à ce niveau que joue efficacement le caractère national des diplômes délivrés par les facultés de théologie de Strasbourg. Les effectifs étudiants sont les suivants pour l’année 2012/2013.

Capacité-DAEU (diplôme d’accès à l’enseignement universitaire) : 5
Licence : 261
Master : 88
Diplôme d’université : 62
Échanges internationaux : 2
Doctorat : 80
Total : 498

On note la part très importante des inscrits à distance par rapport à ceux qui sont « en présentiel » dans les statistiques : près de 200 étudiants sur un total de 261 inscrits en licence. D’après le doyen, le public de la faculté est surtout composé d’étudiants étrangers et d’étudiants formés à d’autres disciplines. Ces derniers sont souvent déjà engagés dans la vie professionnelle et forment la cohorte des inscrits dans les filières non diplômantes.

Le taux d’encadrement des étudiants serait donc de 25 enseignants pour 500 étudiants.

La recherche

Chaque faculté a constitué des structures de recherche en son sein. Ce sont en général des équipes d’accueil. Il y a aussi des groupes de recherche qui réunissent des théologiens et des « profanes ».

A la théologie catholique correspond l’équipe d’accueil EA 4377. Elle regroupe 30 enseignants chercheurs et une soixantaine de doctorants. Elle travaille sur 4 axes : Équipe de Recherche en Exégèse biblique, Équipe de recherche sur l’Antiquité chrétienne, Équipe de recherche sur le catholicisme en Alsace-Lorraine, Centre d’études et de recherches interdisciplinaires en Théologie. La faculté s’inscrit dans un réseau international d’institutions universitaires catholiques.

b) Le Centre autonome d’enseignement et de pédagogie religieuse de Metz (CAEPER)

Une antenne de la faculté de théologie catholique de Strasbourg avait été ouverte à Metz en 1965 pour préparer les candidats aux fonctions d’enseignants de religion. Au moment du rattachement du département de la Moselle à l’académie de Nancy, en 1970, le département est devenu Centre autonome d’enseignement et de pédagogie religieuse de l’Université Paul Verlaine de Metz. Une convention avec le Saint-Siège a été signée, sur le modèle de celle de Strasbourg, le 25 mai 1974. Le Centre est aujourd’hui un département intégré à l’Unité de formation et de recherche (UFR) des sciences humaines et arts de l’Université de Lorraine. Il est uniquement catholique, bien que son nom ne l’indique pas. Il « relève à la fois du diocèse et de l’Université de Metz ». Il affiche sa fonction sur le site de l’université, mais ne donne aucune information concrète sur ces liens avec l’évêché. Notons cependant que depuis la création du Centre les cours sont dispensés dans les locaux du Grand Séminaire, que l’évêque de Metz met à la disposition de l’université.

Les postes

Il y a 3 professeurs et 4 maîtres de conférences, 2 attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) et 23 intervenants chargés de cours.

L’offre de formation

Dans le cadre Licence-Master-Doctorat (LMD), les étudiants de première année du master Théologie et anthropologie philosophique suivent des cours mutualisés avec le master de philosophie. En deuxième année ils choisissent entre deux mentions : « Théologie et philosophie » et « Théologie et spiritualité ». Le pôle TELL (Temps, espace, lettres, langues) est un des dix axes de recherche de l’Université de Lorraine. L’école doctorale Fernand Braudel accueille les doctorants de théologie de Metz au sein du centre de recherche interdisciplinaire Écritures (équipe d’accueil EA 3943).

Comme à Strasbourg, le certificat d’aptitude à l’enseignement religieux (CAPER) peut être préparé à Metz par ceux qui veulent devenir intervenants en enseignement religieux dans l’enseignement primaire et secondaire.

Les effectifs étudiants ne sont pas communiqués sur le site de Metz. Il y a 9 inscriptions en thèse, selon les chiffres de l’EA 3943. Le site web indique 4 diplômés en 2006 et 10 en 2009. Les autres informations fournies sur le site ne sont pas interprétables (par exemple le tableau sur la situation des étudiants l’année suivant leur diplôme : quelle année, quel diplôme ?).

La recherche

Pour ce qui concerne la recherche, l’équipe d’accueil Écritures héberge les théologiens dans 5 groupes de travail, justifiés par le recentrage du laboratoire sur les relations entre la littérature et le phénomène religieux : antiquité tardive et théologie patristique, mystiques rhénans, le christianisme et ses héritages, littérature et bible, littérature et sacralisation mémorielle.

Notons que la fusion avec l’Université de Nancy a entraîné des tensions au moment de la création des « collegiums », du fait du caractère confessionnel prosélyte des enseignants du Centre. Finalement, le maintien de la théologie catholique au sein de l’université publique de Lorraine a été acquis, mais cantonné à Metz.

c) La faculté de théologie protestante

La section 77 du Conseil des universités (CNU)

Les théologiens protestants relèvent de la section CNU 77. Elle comprend aujourd’hui 7 professeurs, dont 6 théologiens de la faculté de théologie protestante de Strasbourg et un professeur extérieur de Paris IV, et 8 maîtres de conférences, dont 5 théologiens de la faculté, 2 d’autres composantes de l’Université de Strasbourg (philosophie et langues) et 1 maître de conférences d’anglais de l’IUT de Colmar.

Les protestants ont décidé de se passer de l’avis des consistoires ou des nouvelles instances unifiées des Églises calviniste et luthérienne. Cela relève de leur règlement intérieur, non des articles organiques qui sont le socle officiel de leur existence et qui n’ont pas été modifiés7. L’autonomie revendiquée doit d’ailleurs être nuancée par le fait que les doubles carrières existent chez les protestants comme chez les catholiques. L’actuel président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace est l’ancien doyen de la faculté de théologie.

Les postes

La faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg compte 22 enseignants, dont 16 professeurs et 6 maîtres de conférences. Les postes sont répartis en disciplines bibliques (4 professeurs, 2 maîtres de conférences), disciplines historiques (4 postes de professeurs, 2 postes de maîtres de conférences), disciplines systématiques (3 postes de professeurs, 3 postes de maîtres de conférences) et disciplines pratiques (5 postes de professeurs).

 L’offre de formation

La faculté s’est constituée elle aussi sur la base LMD (licence en 3 ans, master en 2 ans et doctorat).

Les étudiants de licence ont le choix entre la mention « Licence fondamentale » et la mention « Licence appliquée de théologie protestante ».

Dans le master de Théologie protestante, les étudiants doivent choisir entre deux parcours, celui de « Sciences religieuses » et celui de « Théologie fondamentale ».

Le doctorat se prépare au sein de l’École doctorale commune avec la théologie catholique, l’École doctorale de théologie et sciences religieuse (ED 270).

La faculté offre des unité d’enseignement libres et des cours communs avec les facultés de philosophie, théologie catholique et histoire. Deux DU (diplômes d’université) de « Culture religieuse » et de « Langues bibliques » sont proposés. Il existe aussi un Centre de formation théorique et pratique.

Les effectifs des étudiants de la faculté de théologie protestante sont les suivants, selon le site actuel :

Licence : 117
Master I et 2 : 39
Diplôme d’université : 61
Échanges internationaux : 3
Doctorat : 48
Total : 268

Le ratio d’encadrement des étudiants (22 enseignants dont 16 PR pour 236 étudiants), est d’un professeur pour 10 étudiants. Il y a aussi un attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER)

La recherche

A la théologie protestante correspond l’équipe d’accueil EA 4378. Elle est composée d’une trentaine de chercheurs qui se répartissent en 4 axes : 1) Les textes de référence, 2) Histoire du christianisme, 3) Dogmatique, œcuménisme et théologie pratique, 4) Sociologie des religions et éthique sociale. La faculté entretient elle aussi des relations avec des facultés de théologie étrangères. Une quarantaine de conventions ont été signées. Les résultats des travaux sont publiés dans des revues religieuses mais pas seulement. La notoriété des travaux sur les textes bibliques menés par les théologiens protestants s’étend au-delà des cercles religieux. La collaboration avec les institutions de recherche nationales est fréquente.

La recherche interdisciplinaire

Un certain nombre de théologiens, catholiques et protestants, sont aussi insérés dans des équipes de recherche extérieures à leur faculté. Le groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Scirthes » (Sciences des religions et théologies à Strasbourg) regroupe des chercheurs de deux établissements, le CNRS et l’Université de Strasbourg. Il a été créé en 2010. Il est centré sur le « fait religieux » et annonce couvrir l’ensemble des disciplines concernées par ce programme, y compris les sciences expérimentales, technologiques et de santé. Il est dirigé par un juriste et un théologien catholique. Il est hébergé à la Maison des sciences de l’homme d’Alsace (MISHA).

L’Unité mixte de recherche UMR 7354, créée en janvier 2013, elle aussi hébergée à la Maison des sciences de l’homme d’Alsace s’intitule « Droit, religions, entreprise et société » (DRES). Dirigée par un théologien catholique, elle associe des chercheurs de diverses disciplines (droit, sociologie, philosophie, théologie) et comprend 4 axes : 1) « La laïcité et le droit en Europe », qui annonce clairement travailler sur « le droit conventionnel comme outil des droits des relations Religions/État », 2) « Les relations religions/Etats sous l’influence du droit européen », 3) « Droit canonique, dimensions historiques et problèmes actuels » et 4) « Droit interne des religions ». A cette UMR sont adossés les masters « Islamologie, droit et gestion » et le master de « Droit canonique ». Le DRES a obtenu un financement européen dans le cadre de l’appel d’offre du 7ème Programme pour un projet intitulé « Pluralisme religieux et sécularisation en Europe (RELIGARE) ». La commission de Bruxelles a en effet décidé qu’en ce qui concerne les sciences humaines et sociales, les études religieuses seraient un objectif à financer prioritairement, pour favoriser l’intégration européenne.

Le Centre européen d’étude et de recherche sur l’éthique (CEERE) est une plate-forme interdisciplinaire en liaison avec l’université. Il est dirigé par un professeur de théologie catholique. C’est à ce centre qu’est adossé le master « Ethique », qui ne dépend d’aucune faculté.

La tendance est donc d’intégrer la « recherche » théologique dans les structures de l’université publique. Vers quel compromis veut-on aller sinon la reconnaissance permanente des institutions religieuses dans les affaires universitaires ?

d) La formation des maîtres à l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE)

Dans les années 20, les candidat(e)s aux Écoles normales d’instituteurs qui n’avaient pas de note en religion ne pouvaient être admis car toutes les Écoles normales étaient confessionnelles, de même que les postes. Les choses ont changé lentement. Le Syndicat national des instituteurs (SNI) a mené un grand combat et a gagné en 1974 le droit pour les maîtres d’être dispensés de l’obligation d’enseigner la religion. Depuis 1980, les postes ne sont plus confessionnels. Durant la période de fonctionnement des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), les cours de religion étaient toujours offerts aux étudiants et enseignants en formation. Des cours sur la « laïcité » aussi, portant sur les religions, l’interculturalité, le concordat etc. Depuis la rentrée de 2013, la nouvelle structure, l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) est rattachée à l’université.

Offre de formation religieuse pour les étudiants de toutes les licences

L’ESPE propose à tous les étudiants de licence inscrits à l’Université de Strasbourg, dans le cadre de l’Unité d’enseignement obligatoire « Projet professionnel personnel », des Unités d’enseignement « optionnelles à choix larges », dont l’une s’intitule « Questions morales et religieuses – 1er et 2nd degrés ». Les cours sont organisés chaque semestre et les étudiants peuvent les suivre dès leur deuxième semestre de licence. Les enseignants chargés de cette UE sont un enseignant de religion catholique et un enseignant de religion protestante. Pour faciliter l’accès à cette formation, les cours sont dispensés sur le campus central de l’université et non dans les locaux de l’ESPE, situés à quelques stations de tram.

Le livret de l’étudiant8 annonce : 24 heures de cours magistraux, dispensés par deux enseignants de religion, l’un catholique, l’autre protestant.

Le contenu de l’UE annonce 3 axes :

1) Des clés pour décoder les phénomènes religieux actuels et leurs univers symboliques.
2) A la rencontre des grandes religions : dans le monde, en France et en Alsace.
3) Le quotidien religieux des enfants : dans la famille, à l’école et dans la société. »

Les modalités de contrôle des connaissances se font sur un dossier thématique et deux évaluations orales de 20 minutes au cours des séances.

On constate que le mot même de laïcité n’apparaît pas dans le descriptif des cours, ni celui d’athéisme, d’agnosticisme, ni même de philosophie. C’est après tout normal, puisqu’il s’agit d’un enseignement religieux. On constate aussi le caractère régional de ces cours de religion : du monde à l’Alsace, les communautés se rétrécissent.

La formation des maîtres de l’école primaire l’Unité d’Enseignement 32

Au niveau de la deuxième année du Master professionnel d’enseignement polyvalent du 1er degré, il y a une Unité d’enseignement obligatoire (UE 32) intitulée « Comprendre et prendre en compte la diversité des élèves ». Cette UE comporte trois modules, les deux premiers concernent les handicaps et les difficultés comportementales, le troisième est religieux : « Prendre en compte la diversité culturelle et religieuse à l’École ». L’enseignement est assuré par un professeur de religion catholique.

Le descriptif des cours est le suivant (y compris les points de suspension) :

3.1 Études des conditions historiques qui ont conduit à la diversité culturelle et religieuse à l’école, à travers l’histoire de l’immigration depuis le XIXème siècle.
3.2 L’enfant à la lumière des religions monothéistes : identité, calendrier, fêtes, rites, règles… Interférences avec la vie de la classe…
3.3 L’heure de religion à l’école : la 24ème heure en Alsace et Lorraine, ses objectifs, les compétences à atteindre, son articulation avec les 23 autres heures…
3.4 L’éducation au vivre ensemble et à la solidarité : un contexte, des choix, des valeurs, des pratiques, des outils… »

C’est une façon de réduire les choix philosophiques aux religions officielles, de stigmatiser l’islam renvoyant à la main d’œuvre coloniale (3.1), de lier la religion aux matières scientifiques (3.3), de confondre la Moselle avec la Lorraine (3.3). Dans cette UE qui est censée aborder les différences culturelles, où est la place des penseurs des Lumières, de l’apport des libres-penseurs, des francs-maçons, des athées etc. ?

Par ce biais de la formation des maîtres, en licence générale aussi bien qu’en master professionnel, la question du statut scolaire local est désormais intégrée étroitement au système universitaire. C’est nouveau. La laïcité est abandonnée au profit d’une conception de la société fondamentalement religieuse et régionaliste-ethnique.

Les organisations laïques peuvent toutefois espérer que la Charte laïque qui doit être affichée dans les établissements scolaires publics, deviendra l’occasion d’y révéler les contradictions de l’enseignement public actuel. Les autorités religieuses, que Mme le recteur a cru bon de consulter, et elles seules, avant d’annoncer l’affichage de la charte avant la Toussaint, ont fait savoir, dans la presse9, que la charte ne changerait rien, surtout pas l’article 11 sur la neutralité des enseignants, car le statut des enseignants de religion, « est autre » que celui des autres maîtres, selon M. Christian Kratz, évêque auxiliaire de Strasbourg. C’est exact, ce sont des agents de l’État nommés par les Églises et l’explication de la Charte ne leur sera pas confiée, du moins faut-il l’espérer. Mais c’est quand même spécieux. Quant à M. Jean-François Collange, président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), il est satisfait : « on tient beaucoup au droit local et à la laïcité à condition qu’elle ne soit pas antireligieuse. Notre droit local ne contrevient pas à la laïcité. C’est une forme d’expression de la laïcité ». On reste sans voix devant cette logique : la non-laïcité est une forme de laïcité. Et à nouveau le vieil argument : tout ce qui vise à modifier la place des Églises dans la société alsacienne est antireligieux. La laïcité de 1905 est « antireligieuse ». Le message transmis est que la séparation de l’Église et de l’État est une mauvaise chose.

Que va-t-il se passer ensuite, en 2015, avec l’enseignement laïque de la morale ? Les élèves des départements 67, 68 et 57 auront deux cours, l’un de religion, l’autre de morale. Ceux qui auront demandé une dispense de religion devront suivre deux cours de morale, avec, peut-être, deux maîtres différents.

4 – La stratégie de l’entrisme

Dans le passé, les facultés de théologie formaient les ministres des cultes et les enseignants de religion. Aujourd’hui, la théologie s’exporte partout. Or l’enseignement de théologie reste, par définition, « confessant », c’est-à-dire prosélyte. Il est forcément en lien avec le dogme. Tous les doyens de théologie l’ont toujours revendiqué.

Certes le poids des facultés de théologie est beaucoup moins important qu’autrefois depuis la fusion des trois universités, du fait du très grand nombre de composantes. Mais la tendance qui se dessine ne laisse d’être inquiétante. L’interdisciplinarité, les passerelles rendues possibles par le cumul de crédits et la mutualisation des cours ont rendu perméables les frontières entre l’enseignement dogmatique et l’enseignement profane. L’affichage religieux s’efface, se fait discret. Le glissement s’opère du cours dogmatique et prosélyte à un cours de prime abord acceptable sans réticence par n’importe quel étudiant dans un diplôme qui a un titre tout à fait général. C’est le cas par exemple du master « Éthique », piloté par le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique, dont la directrice est professeur d’éthique religieuse à la Faculté de théologie catholique. Il comprend une première année de tronc commun, puis une année spécialisée à l’issue d’un choix entre 5 parcours (bioéthique, éthique et droits de l’homme, éthique et religion, éthique et société, éthique et entreprise). C’est une manière d’installer la théologie en dehors de ses frontières, en sciences sociales, en médecine etc.

Cette stratégie d’extension de la théologie à l’ensemble des disciplines n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été proposée au moment de la fusion des trois universités en une seule par le doyen de théologie catholique de l’époque, Michel Deneken pour justifier la présence de la théologie à l’université : « La situation de la théologie dans un espace universitaire qui représente la plupart des disciplines, de l’offre de formation à la recherche, apparaît d’autant plus stimulante que le dialogue qu’entretient la théologie avec les sciences humaines et sociales est appelé à s’étendre à toutes les sciences présentes sur le campus strasbourgeois. Pour cette raison, la théologie se doit d’être hospitalière, sans se renier toutefois.[10] » La théologie doit « dialoguer », ce qui n’est pas l’équivalent de « chercher pour produire du nouveau ».

Et le même d’expliquer un peu plus loin : « Les relations avec le chancelier ecclésiastique et le rapport au Magistère constituent sans doute l’aspect le plus particulier de la théologie dans une université d’État française, qui garantissent la canonicité des diplômes et la qualité académique de leur contenu. L’intégrité de la foi concerne le Magistère autant que le théologien. L’Église se donne par là le moyen de s’assurer que l’enseignement correspond aux exigences de forme et de contenu qu’elle est en droit de poser[11]. ». Il ne saurait donc être question de mettre en cause les droits de l’Église dans le travail intellectuel des théologiens. L’autonomie de jugement n’est pas le but des théologiens. C’est par contre celui de l’université publique.

La stratégie de diffusion prend une forme nouvelle aujourd’hui. Le doyen de théologie catholique, interviewé dans le journal en ligne de l’université12, propose que les unités d’enseignement de théologie puissent être choisies comme unités optionnelles13 par des étudiants d’autres composantes. C’est à la fois une manière d’imposer discrètement les droits et exigences de l’Église à l’université, et une forme de survie pour les enseignements de théologie dans la mesure où il faut pouvoir assurer des débouchés pour les étudiants. Si la théologie s’infiltre partout, elle garantit son avenir, en rassurant élèves et parents : « nous offrons un panel très large de débouchés allant des métiers de l’Église au journalisme en passant par les métiers de l’enseignement, du livre, du tourisme, des bibliothèques, des musées, ou encore les concours demandant une licence. »

Les théologiens protestants se disent moins soumis à une hiérarchie religieuse qui a cherché à atténuer les conflits entre sectes protestantes. Ils se sont donné plus d’autonomie. Ils revendiquent cependant eux aussi d’être « confessants ».

Dans les deux cas, le caractère dogmatique de l’enseignement est clairement revendiqué. C’est bien une restriction de la liberté d’enseignement. Où se placent alors la formation à l’autonomie du jugement et l’objectivité du savoir ?

Le département d’études hébraïques et juives

On peut opposer l’attitude prosélyte et dogmatique des facultés catholique et protestante à celle du département d’études hébraïques et juives, créé en 1955, actuellement installé à la faculté des langues et cultures étrangères. Ce n’est pas une faculté de théologie. On n’y forme pas les ministres du culte juif, même si l’on peut constater qu’un certain nombre de professeurs sont aussi rabbins.

Il y a 4 postes d’enseignants-chercheurs (1 poste de professeur, 1 poste de maître de conférences, 1 poste d’attaché temporaire d’enseignement et 1 poste de lecteur) et 1 administratif pour 37 étudiants en formation spécialisée, 116 inscrits non spécialistes et 3 étudiants en doctorat. On peut y suivre un cursus classique Licence-master-doctorat. On y étudie la littérature ancienne et moderne en hébreu, la pensée juive, l’histoire juive. L’étudiant qui veut faire un master s’inscrit dans le master d’Études méditerranéennes, orientales et slaves, spécialité Monde moyen et proche-oriental, parcours Études hébraïques et juives. Il y a un parcours identique pour les langues arabe, persane ou japonaise.

5 – La liberté de recherche en question

Ce qui est vrai du caractère bridé de l’enseignement en théologie l’est aussi de la recherche.

La première question à trancher est de savoir si la théologie est une science. Aucun scientifique ne peut l’admettre car aucune science ne peut reposer sur un dogme ni une vérité révélée. D’ailleurs les théologiens eux-mêmes le reconnaissent dans la mesure où par exemple ils ont intitulé leur école doctorale « Théologie et sciences religieuses ».

Il y a entre les scientifiques et les théologiens des oppositions fondamentales sur le but de la recherche, sur la méthode et sur la validation des résultats. Le matérialisme méthodologique est la base de la recherche scientifique. Tout chercheur, quelles que soient ses opinions personnelles, part de la matérialité des faits et construit des hypothèses, qu’il teste, qu’il modifie, voire abandonne. La théologie quant à elle est une spéculation qui impose des présupposés. Appliquer la méthode de rationalité logique sur le socle dogmatique ne suffit pas à constituer une science.

L’histoire des sciences de la nature a été celle de la longue quête de l’autonomie dans la définition de l’objet scientifique. Les sciences sociales se construisent aujourd’hui sur ce modèle, en élaborant des critères de scientificité. La métaphysique doit rester hors champ. La théologie vise autre chose que l’explication du phénomène : « Pour les autres disciplines, la théologie peut se charger d’un service intellectuel, au sein de la communauté universitaire, en apportant sa contribution comme discipline mais aussi comme Weltanschauung. Réciproquement, au sein de la communauté ecclésiale, elle plaide pour le bien-fondé de la réflexion intellectuelle et de la recherche scientifique14. » La théologie apporte une vision du monde, une idéologie, elle cherche à donner un sens aux phénomènes.

La méthodes de recherche proposées en théologie doivent elles aussi être interrogées : «  Le théologien doit donc faire montre de qualités d’ouverture et de dialogue, de collaboration et d’inventivité. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ait à renoncer à ce qu’il doit être selon les critères ecclésiaux, notamment s’agissant de « la fidélité à la Tradition.15 » Or, le dialogue n’est pas un débat scientifique, surtout s’il dépend d’une fidélité à une idéologie.

Comme dans l’enseignement, la théologie catholique cherche à intervenir partout dans la recherche. « Rien de ce qui se cherche, se pense ou s’enseigne sur ce campus ne doit demeurer étranger à la théologie16 ». C’est là un discours hégémonique, qui n’a finalement guère changé depuis Galilée.

6Les effets de la gouvernance universitaire à Strasbourg

Il est encore un point qu’il convient d’aborder, celui de la gouvernance de l’Université de Strasbourg aujourd’hui réunifiée. Les composantes des trois anciennes universités forment la nouvelle entité. Les modalités de fonctionnement des universités depuis le vote de la loi LRU ont considérablement réduit la représentation des enseignants-chercheurs et considérablement accru les pouvoirs du président et de son équipe. Les facultés ne sont pas représentées en tant que telles. Les conseils sont composés d’élus de listes. Les membres des facultés de théologie ont le droit de briguer n’importe quel mandat, comme n’importe quel autre de leurs collègues. La composition de l’équipe présidentielle relève du président et est mise aux voies du CA. De 2008 à 2012, le premier vice président, en charge des affaires financières a été un professeur de théologie, doyen de la faculté de théologie catholique et prêtre diocésain. Dans la deuxième mandature, le même théologien catholique a été élu premier vice-président, chargé des questions de la formation initiale et de la formation continue. Est-ce faire un procès d’intention que de souligner le poids proprement extraordinaire qu’on a ainsi accordé à l’Église catholique ? A un moment où le ministère demande de revoir à la baisse le nombre des cursus, des mentions de masters, on peut s’interroger sur les critères qui seront retenus.

7 – Le coût pour les citoyens français

Un récent article du Monde (« Dans le maquis des associations d’État17 », 3 juillet 2013) soulignait, dans la répartition des crédits accordés par l’État (1,2 milliard d’euros), la place significative de structures de financement d’écoles de commerce ou d’ingénieurs en principe privées, et ajoutait même : « peut-être plus étonnant encore, la France finance par ce biais bon nombre d’institutions d’enseignement religieux. Les Instituts catholiques de Lille ou de Paris recevaient ainsi respectivement 980 000 et 830 000 euros en 2011. D’autres associations, comme celle des évêques fondateurs de l’Institut catholique, sont également fortement subventionnées (8,2 millions d’euros en 2011).

Au total, les subventions versées à ces établissements privés, catholiques ou écoles de commerce, via les associations, atteint un montant très important : 58,6 millions d’euros, soit plus que l’intégralité des subventions versées aux associations par le ministère de l’économie et des finances. La raison de cette dotation généreuse remonte à l’exercice de la ministre Valérie Pécresse. En 2010, alors ministre de l’enseignement supérieur, elle avait signé un protocole où ces établissements promettaient de s’engager dans de nouvelles missions (mixité sociale, recherche), en échange de fonds plus importants. »

Le financement des facultés de théologie de Strasbourg (nous n’avons pu obtenir celui du Centre de Metz) est à ajouter à ce bilan. Il est toutefois difficile à établir et l’Université de Strasbourg reste très discrète sur toutes les répartitions.

Si l’on se réfère au budget des facultés tel qu’il a été présenté aux élus du Conseil d’administration de l’Université de Strasbourg en 2013, on note :

– pour la théologie protestante : 96 008 euros (dont 51 698 euros de déficit compensé par la contribution de l’établissement)

– pour la théologie catholique : 140 700 euros (dont 58 497 euros de déficit compensé par la contribution de l’établissement).

Les budgets additionnés, pour Strasbourg seulement, représenteraient ainsi 236 708 euros, dont 110 195 de déficit compensé par l’université. Ce chiffre cependant ne rend pas compte du coût réel global de ces facultés. Il faut en effet y ajouter le coût des salaires pour l’employeur (33 professeurs, 24 maîtres de conférences, 12 personnels BIATOS : 6 342 000 euros selon une estimation moyenne), les retraites, le financement de l’école doctorale commune aux deux facultés, l’usage des locaux et les subventions de recherche, qui se répartissent dans de nombreux et divers programmes financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR), les instances européennes (PCRD) ou encore le conseil scientifique de l’Université. L’addition reste à faire.

8 – Une stratégie autojustificatrice : étendre les privilèges chrétiens à l’islam

L’université devra-t-elle banaliser la diffusion des théories dogmatiques et se faire le porte-parole des religions ? Si rien ne s’y oppose, car l’idéologie libérale européenne pousse dans ce sens, par l’annonce médiatique permanente du « retour du religieux ». Le « fait religieux », « l’utilité sociale des religions » sont des thèmes avancés pour remettre les autorités religieuses en selle dans la sphère politique. Pour justifier cet objectif et maintenir leurs privilèges, les religions reconnues sont prêtes, à Strasbourg, à élargir leur cercle et laisser entrer l’islam dans leur système.

Pour l’instant, on note qu’à la demande du ministère de l’Intérieur, un diplôme de niveau master 2 a été ouvert à la Faculté de droit de l’Université de Strasbourg depuis quelques années. Il a pour intitulé « Islam et droit ». Il offre deux spécialités : « Islamologie » et « Finance islamique (théologie, économie et droit) ». En 2011/2012 il a accueilli environ 20 étudiants. L’agence d’évaluation AERES lui a attribué la note C, lui reprochant un manque de convergence et l’absence de master 1 correspondant. Est-ce une tête de pont vers une reconnaissance de l’islam théologique ?

La montée médiatique de l’islam politique dans ses formes les plus radicales fait en effet (ré)apparaître la question des relations entre religion et vie publique. C’est une question politique, qui demande une solution politique, mais certains veulent la réduire à une affaire religieuse qui pourrait être traitée à l’université. Le projet de création d’une faculté de théologie musulmane à Strasbourg a été avancé plusieurs fois. Dans les années 80, le président Etienne Trocmé (président de l’Université des lettres et sciences humaines et professeur de théologie protestante) avait demandé dans quelles conditions elle pourrait être envisagée. Il s’était avéré que la nature même des cours susceptibles de figurer dans une telle faculté se rapprochait plus du droit (études de la charia) que des études coraniques comparables à l’exégèse des textes chrétiens. Le projet n’eut pas de suites. Des hommes politiques s’y sont essayés ensuite. François Grosdidier18 (UMP) a déposé en juin 2006 une proposition de loi visant à intégrer le culte musulman dans le droit concordataire d’Alsace et de Moselle. L’exposé des motifs faisait valoir l’égalité de tous les citoyens devant la loi et réclamait l’actualisation du droit local. Il rappelait que le décret 2001-31 a simplifié le régime juridique des cultes reconnus et déconcentré la plupart des décisions aux préfets, voire aux autorités cultuelles elles-mêmes. Aucune suite n’a été donnée.

Une autre intervention d’homme politique UMP, celle de l’ancien adjoint au maire Robert Grossmann19, allait dans le même sens en 2011 : il était urgent de créer une faculté islamique à Strasbourg pour former des imams pour la France et ne pas subir la menace que représente le prêche d’imams étrangers fanatiques.

Des initiatives sont venues aussi de l’intérieur de l’université. Un théologien protestant a présenté en 2002 un projet complet de cursus pour une licence de théologie musulmane à l’Université Marc Bloch de Strasbourg. Le CA de l’Université Marc Bloch n’a pas donné suite.

En 2012, dans le cadre de l’examen et du classement des projets d’excellence, le CA de l’Université (réunifiée) de Strasbourg a proposé de repêcher un projet Religions et Société (RESO) mal noté et non retenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ce projet envisageait la création s’un institut de l’islam et proposait des recherches en vue « d’intégrer la formation des cadres de l’islam » dans une structure universitaire. Il était porté par Francis Messner, aujourd’hui chargé du rapport sur la formation des imams à l’université publique20. Le Conseil scientifique l’a rejeté, après la protestation véhémente de la liste intersyndicale21 qui a fait remarquer aussi que la proposition de repêchage s’accompagnait d’une aide financière qui s’élevait à plus d’un quart de million d’euros, c’est-à-dire supérieure à celle qui avait été initialement demandée. Il y a fort à parier que n’ayant pu franchir la porte académique, le projet essaye d’entrer par la porte politique. S’agira-t-il de justifier l’ingérence de l’État dans le fonctionnement de l’islam contre l’allégeance d’imams fonctionnaires de la République ? Parce qu’il n’y aura aucune raison de refuser aux imams ainsi formés le statut de fonctionnaires qu’on accorde aux ministres des autres cultes. Or un imam n’est pas un curé : tout musulman peut conduire la prière. Que veut dire former des imams ? La création d’une faculté islamique dans une université publique posera le problème du choix des sectes reconnues. L’islam n’est pas un. Comment sera fait le choix ? Quelle sera la position de cette faculté face aux centres qui existent déjà ?

Il existe en effet une structure musulmane à Strasbourg. Il s’agit de la création récente, en 2012, de la Faculté libre turque de théologie musulmane. Cette faculté privée doit ouvrir ses portes à une trentaine de jeunes gens à la rentrée 2013. Elle a son siège dans d’anciens locaux libérés par la Poste, dans le quartier de Hautepierre. Elle est financée par le ministère de l’Intérieur turc. Elle se donne pour mission la formation des imams turcs en France, en langue turque. Elle n’a recherché aucune relation avec l’université.

9 – Le grand marché du diplôme européen

L’ouverture du grand marché européen du diplôme a été amorcée par la mise en place du « processus de Bologne », accord qui vise à la reconnaissance des diplômes en Europe. Les contenus des diplômes n’ont pas servi de base à l’établissement des équivalences. On a reconnu des niveaux, non des savoirs. Le texte s’embarrasse peu de savoir si les instances qui délivrent les diplômes sont publiques ou privées. Il en résulte que la tendance de fond qui balaie le paysage de l’enseignement supérieur en Europe est celle de l’effacement entre public et privé et de la concurrence à partir de critères assez peu scientifiques.

L’initiative du ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner, se situe dans cette perspective. En signant en 2008 avec le Saint-Siège une convention de reconnaissance mutuelle des diplômes, il est allé servilement faire allégeance au Vatican. Cette convention va bien au-delà de celle que le gouvernement français avait signée avec le Saint-Siège en 1924 pour la reconnaissance des diplômes canoniques de la faculté de théologie catholique de Strasbourg. Le ministre a travaillé au seul bénéfice des facultés privées catholiques françaises. Les universités publiques non seulement ne gagnent rien mais même perdent beaucoup puisque les facultés privées obtiennent le droit exorbitant de la collation de grades nationaux. L’État abandonne le monopole de la collation des grades, sans aucune contrepartie. Jean Riedinger, secrétaire de l’Observatoire chrétien de la laïcité, dans son blog « Nous sommes aussi l’Église », du 9 mai 200922, met le doigt sur la bonne question : ce ne sont pas seulement les diplômes canoniques qui sont visés mais tous les diplômes des établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège (article 2 du protocole additionnel). C’est aller plus loin que l’accord de type concordataire alsacien, qui ne visait que les diplômes de théologie. De plus, le Saint-Siège habilite seul ses instituts et facultés installés sur le territoire français. L’État français n’a pas son mot à dire. La référence faite au processus de Bologne, qui, lui, maintient la souveraineté de chaque État, est donc très discutable. « L’État soumet son appréciation à une religion », écrit J. Riedinger. L’accord est, de fait, un pas en avant dans la privatisation des savoirs, conforme à l’idéologie libérale.

L’émotion soulevée a été importante mais peu d’informations ont filtré depuis la publication du décret d’application, en 2009, sur les conditions effectives de cette reconnaissance forcée des diplômes privés par les universités publiques. Sollicité par un grand nombre d’associations laïques, le Conseil d’État a déclaré que la collation des grades restait un monopole des universités publiques et a argué que les universités, dans le cadre de leur autonomie, pouvaient trancher et reconnaître ou non les diplômes des facultés catholiques privées. L’argument ne tient guère : ne sont supprimées ni la recevabilité des demandes d’équivalence auprès des universités françaises ni la possibilité d’obtenir des en équivalences en crédits européens (ECTS).

C’est donc un retour en force à la fois du cléricalisme catholique et du libéralisme au plus haut sommet de la pyramide éducative française. Le rapport du Haut Conseil à l’intégration a relevé cette question et propose de dénoncer cet accord. Ce serait effectivement une bonne nouvelle pour la laïcité.

10 – La laïcité demain dans les universités

L’université devrait avoir un rôle important à jouer dans le développement de l’esprit laïque parce qu’elle doit former à l’esprit critique et assurer la liberté de penser, conditions d’avancement de la science. C’est une mission ambitieuse. Face à cela, l’Université de Strasbourg vante fièrement une conception de sa mission qui n’est en fait qu’une version étriquée des droits de l’homme, soumise au contrôle des Églises. A Strasbourg, les religions ont un statut de droit public et l’humanisme agnostique ou athée un statut de droit privé. C’est une atteinte à l’égalité des droits des citoyens. Laisser s’accréditer dans la société que ce modèle pourrait s’imposer comme solution parce qu’il reconnaîtrait la diversité religieuse est très dangereux parce qu’il part de la reconnaissance publique des religions dans la sphère publique. Il faut sortir de ce modèle et, pour l’enseignement supérieur, accorder leur complète autonomie aux facultés de théologie. Il existe plusieurs structures de recherche en sciences religieuses en France, qui, à la différence des facultés de théologie, abordent leurs disciplines avec une vision laïque de leurs objets de recherches. Le recrutement ne s’y fait pas par Églises interposées. Elles offrent la garantie de la liberté de penser et de travailler. Les facultés de théologie de Strasbourg ne doivent plus être de statut différent des autres facultés privées religieuses.

La reconnaissance des religions n’est pas la garantie du vivre ensemble. A cet égard, on ne peut que s’inquiéter des propos de Nicolas Cadène23 lorsqu’il reprend les arguments du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État sur différentes décisions intervenues depuis 2000 et fait sienne l’idée de « laïcité de cohabitation » pour justifier la non introduction des lois laïques sur certaines parties des territoires de la République. Cohabitation/séparation : ce devrait être l’un ou l’autre ou alors les mots n’ont plus de sens.

En Alsace, la droite et une partie de la gauche agitent le spectre de la révolte sociale si les lois laïques étaient introduites. Mais qui aujourd’hui peut lire sans rire les articles du concordat et des articles organiques, et même les avatars de leurs reformulations ? On joue sur l’ignorance des citoyens pour faire croire que c’est une base juridique incontestable alors qu’on n’applique pratiquement plus aucun de tous ces articles ! Les enjeux sont visiblement ailleurs. On veut en fait maintenir les privilèges religieux financés par l’impôt de tous les Français, dans la plus grande discrétion.

On veut aussi promouvoir sans le dire une autre conception de la République, celle de la décentralisation et de l’Europe des régions. Éric Sander, secrétaire de l’Institut du droit local24, écrivait déjà en 204 que « l’idée d’unification législative est reléguée au musée Grévin du droit depuis une dizaine d’années25 » parce que « embryon du droit régional, le droit local est du droit national d’application territoriale qui ne heurte nullement le principe d’indivisibilité de la République26 ». Il concluait son article par cet espoir : « Peut-être aboutira-t-on à terme à l’institution d’une gestion totalement régionale des cultes s’étendant, par exemple, aux personnels ou encore aux aspects financiers27 ». Or, depuis le 7 avril dernier, la question a été tranchée par les électeurs. Au referendum organisé dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin en avril dernier pour faire accepter la suppression des départements et leur remplacement par une assemblée unique aux pouvoirs élargis en matière d’éducation, de droit du travail et d’environnement, les citoyens ont répondu non. Le projet régional à base ethnique et anti-républicaine n’a pas passé. C’est un fait nouveau et positif que ce vote puisse s’analyser comme la volonté des citoyens vivant en Alsace d’être traités comme des citoyens tout court et non comme une communauté identitaire. C’est un signe fort d’adhésion à la loi commune de la République qui contredit tous les discours sur l’attachement indéfectible des Alsaciens à leur particularisme.

Invoquer le droit local comme un bloc qu’il serait dangereux de toucher parce que la moindre modification mettrait en péril les avantages que certains textes comportent est une imposture. Quel est le rapport entre la loi sur la chasse et l’enseignement religieux ? Quel est le rapport entre la façon de gérer les cotisations de la Sécurité sociale et le blasphème ? Affirmer que la convention de 1902 est le « joyau du droit local28 », c’est vraiment faire peu de cas de la liberté de l’université et de la liberté de conscience des citoyens résidant en Alsace-Moselle.

L’expérience de l’Université de Strasbourg n’est donc pas une avancée en matière de liberté d’enseignement et de liberté de pensée. Elle ne saurait servir de modèle à d’autres universités françaises. Il faut réaffirmer la laïcité des universités en France veiller à ce que l’autonomie en marche et les pressions de l’Europe ne poussent pas dans un sens liberticide et communautariste.

Françoise Olivier-Utard

Annexes

Annexe 1 : Le concordat du 15 juillet 1801
Annexe 2 : Les articles organiques
Annexe 3 : Convention du 5 décembre 1902
Annexe 4 : Convention entre le gouvernement français et le Saint-Siège, 1923
Annexe 5 : Accord entre la République française et le Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur, 2008

1 Document disponible sur le site :www.hci.gouv.fr
2 Document disponible sur le site du Figaro : http://www.lefigaro.fr/assets/pdf/Avis.pdf
3 Voir le texte complet en Annexe3.
4 Voir en Annexe1, et 2 les textes du concordat et des articles organiques des cultes catholique, protestant et juif.
5 Jean-Pierre Wagner : « Théologie catholique : une faculté uniqueenFrance », l’Actu, Journal électronique de l’Université de Strasbourg, n° 75, édition du 24 mai 2013.
6 Christian Pfister : Rapport sur l’université de Strasbourg, Paris, 1917.
7 Voir en Annexe2  le texte des articles organiques concernant les cultes protestants.
8 Le livre test téléchargeable sur le site de l’ESPE, Université de Strasbourg.
9 Dernières Nouvelles d’Alsace, 25 septembre2013.
10 Michel Deneken, « La théologie dans la nouvelle Université de Strasbourg », Recherches de sciences religieuses, 2004/4 tome 96, p. 529. Article en ligne.
11 Michel Deneken, « La théologie dans la nouvelle Université de Strasbourg », Recherches de sciences religieuses, 2004/4 tome 96, p. 543.
12 Jean-Pierre Wagner : « Théologie catholique : une faculté unique en France », L’Actu, Journal électronique de l’Université de Strasbourg, n° 75, édition du 24 mai 2013.
13 Jean-Pierre Wagner : « Théologie catholique : une faculté unique en France », l’Actu, Journal électronique de l’Université de Strasbourg, n° 75, édition du 24 mai 2013.
14 Michel Deneken, « La théologie dans la nouvelle Université de Strasbourg », Recherches de sciences religieuses, 2004/4 tome 96, p. 539.
15 Michel Deneken, « La théologie dans la nouvelle Université de Strasbourg », Recherches de sciences religieuses, 2004/4 tome 96, p. 543.
16 Ibid. p. 545.
17 Samuel Laurent, Jonathan Parienté et Jules Bonnard : Dans le maquis des associations d’État », Le Monde,3 juillet 2013, p. 20-21
18 Texte disponible en ligne : proposition de loin° 3216 du 6 juin 2006, François Grosdidier, http:/www.assemblee-nationale.fr/12propositions/pions3216.asp.
19 Robert Grossmann, blognote, 13 mars 2011, Un islam de France, débat sur Facebook.
20 Ce rapport a été commandité par le ministre de l’Intérieur E. Valls et la ministre de l’enseignement supérieur G. Fioraso. Il devait être rendu public dans les prochains mois.
21 Cette liste est celle des élus Snesup-FSU, SNCS-FSU, Snasub-FSU, SNTRS-CGT, SNPREES-FO et Sud-Education-Uds.
22 Jean Riedinger, « Les diplômes du Saint-Siège reconnus en France », publié le 9 mai 2009 par NSAE dans l’Observatoire chrétien de la laïcité (OCI), disponible en ligne.
23 Rapport d’étape de l’Observatoire de la laïcité, p. 50 à56.
24 Institut privé qui s’autoproclame « scientifique » et défend farouchement l’idée que le droit local forme un tout à préserver.
25 Éric Sander : : « De1 902 à 2002 : la pérennité du statut de la faculté de théologie catholique », Revue des sciences religieuses, janvier 2004, p. 24.
26 Ibid. p. 22.
27 Ibid. p. 25.
28 Ibid, p. 21.

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