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Pierre Dazord

Professeur honoraire des Universités

11/03/2005

Les origines historiques de la loi de 1905

Depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et les débats qui ont entouré sa discussion.

Il y a près de 100 ans, la loi de séparation des Eglises et de  l’Etat était  adoptée le 9 décembre 1905 par 341 voix contre 233. L’étude en commission avait duré près de deux ans,  du 11/03/1903 au  4/03/1905, intégrant de nombreux projets déjà déposés dont celui du député socialiste du Rhône Francis de Pressensé. Le rapporteur Aristide Briand se félicita de ce que « le projet finalement adopté [fût] l’œuvre de la commission toute entière [composée de 17 députés de Gauche et de 16 députés de Droite]… les membres de  la minorité collaborant loyalement, avec un zèle persistant et une entière sincérité, avec leurs collègues de la majorité,  à la recherche des solutions proposées ». Le débat à la Chambre et au Sénat dura près de 9 mois du 21/03/1905 au 9/12/2005  « au long de discussions parmi les plus riches qu’ ait connues le régime parlementaire ».

  1/ 1905 , L’achèvement de la construction républicaine.

Avec 366 députés élus contre 230 à la Droite, le Bloc de Défense Républicaine avait obtenu la majorité absolue aux élections de 1902 ce qui avait confirmé avec éclat le soutien populaire aux grandes réformes républicaines déjà entreprises au premier rang desquelles la loi de 1901 sur les associations, et aux hommes qui avaient pris la défense du Capitaine Dreyfus. L’œuvre de construction républicaine pouvait se poursuivre avec ce que Jean Jaurès appelait « la grande réforme de la séparation, la plus grande qui ait été tentée depuis la Révolution Française ». Des socialistes comme Jean Jaurès, aux membres de la gauche démocratique comme Aristide Briand ou aux républicains modérés comme Louis Barthou,  tous avaient le sentiment qu’ ils achevaient la construction de la République laïque,libérant ainsi l’énergie de la Nation pour les grandes réformes sociales qu’elle attendait. 

2/ Les enseignements de la Révolution.

Les enseignements que les Républicains tiraient de la Révolution et qui avaient commencé à lever les préventions des  catholiques et entraîné leur ralliement à la République  sont au nombre de trois, inscrits dans le marbre de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée le 26/08/1789.
Le premier est que l’Etat n’a aucun fondement transcendantal. Libéré de toute main mise des religions et des idéologies, il est fondé sur l’assemblée des hommes-citoyens : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » proclame l’article 1. L’Etat n’intervient que pour régler les relations sociales des citoyens, ce qu’on nomme la sphère publique, et garantit, y compris dans la sphère privée,  à tous, la liberté et l’égalité en droits. En 1791,dans le premier des cinq mémoires sur l’Instruction Publique, Condorcet écrit que l’exigence que les hommes demeurent  libres et égaux en droits,   fait de « l’Instruction publique un devoir de la société à l’égard des citoyens…comme moyen de rendre réelle l’égalité en droits »   et il précise, ce qui coupe court à toute interprétation erronée, que « les femmes ont les mêmes droits que les hommes ; elles ont donc celui d’obtenir les mêmes facilités pour acquérir les lumières qui seules peuvent leur donner les moyens d’exercer réellement ces droits avec une même indépendance et dans une égale étendue ». Il prévoyait en conséquence la mixité des écoles et du corps enseignant. L’article 1 se termine par l’affirmation que « les distinctions sociales sont fondées sur l’utilité commune ». Ce qui ne relève pas des rapports sociaux, origine, croyance, etc…ne peut introduire de différence entre les hommes, ne peut justifier de traitement particulier. Tous doivent se soumettre à la loi,
C’est cela la laïcité de l’Etat, « fondement du pacte républicain » selon les termes de Bernard Stasi. « Cette laïcité, comme l’écrit le Pasteur de Clermont, n’a besoin d’aucun adjectif (apaisée, ouverte) pour la qualifier » avis partagé par les  évêques de France pour qui  il faut en finir avec ces querelles héritées du passé que traduisent les formules de laïcité ouverte ou nouvelle et accepter franchement la laïcité, fille des lumières comme la liberté et les droits de l’homme , ce que Jean-Michel Gaillard résume ainsi « une laïcité ouverte, ce terme ne veut rien dire ».. 
L’article 4 « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de l’homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». énonce le deuxième enseignement, que la liberté de l’homme, qualité essentielle au sens étymologique, est un absolu qui n’a de borne qu’elle même . Dans la société civile, la liberté se décline en libertés concrètes que la loi protège et règle.
Au premier rang de ces libertés, et c’est le troisième enseignement, celle sans laquelle rien ne serait, est la liberté d’opinion, objet de l’article 10, et son corollaire la liberté d’expression, objet de l’article 11. Le débat en 1789 a porté sur la question de savoir si l’on inscrivait dans la déclaration la tolérance, autrement dit si l’on en restait à l’édit de tolérance de 1787, qui abolissait pour les protestants les plus inhumaines dispositions de la révocation de l’Edit de Nantes, ou si l’on inscrivait, pour tous et partout, la liberté d’opinion, bref, si l’on faisait la Révolution. Les débats, dominés par les interventions de Mirabeau  et de Rabaut Saint Etienne conduisirent au rejet de l’idée injuste de tolérance, qui met celui qui est toléré au pouvoir de celui qui tolère, au profit de   la liberté de penser. L’article 10 fut adopté dans ces termes : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».Dans le débat, ce point est capital pour comprendre ce qui va se passer en 1905, il fut clair que « l’on ne faisait pas une loi sur la religion  puisque l’on faisait une déclaration des droits » et que  l’on énonçait les droits les plus sacrés, liberté d’opinion et donc liberté de croire ou ne pas croire. Toutes les opinions sont libres et, en particulier, les opinions religieuses autres que la dominante ne sont ni un crime ni une tare;  les opinions religieuses n’ont aucun statut particulier qui leur serait conféré par leurs références transcendantales, ce qu’exprime l’adverbe même et leur manifestation,comme celle de toute opinion, doit rentrer dans le droit commun.    Enfin aucune opinion ne peut se prévaloir de l’appui de l’Etat.
 L’Assemblée, en refusant de se préoccuper de la définition et de  l’organisation des cultes, donnait la priorité absolue aux opinions religieuses et à leur liberté : aucun contrôle, aucun agrément n’est nécessaire. Les fidèles sont libres et responsables de leur  culte, de  son organisation et de son expression, sauf à troubler l’ordre public. Si la déclaration fut inspirée par les Lumières et se heurta aux tenants, minoritaires, de l’ordre ancien, jamais elle ne vit se constituer contre elle un rassemblement des catholiques. Elle est vraiment le bien de tous.
Le 26 août 1789, la construction de ce qui deviendra la République laïque est lancée. Mais après un si formidable ébranlement, il aurait été naïf de croire que tout allait se dérouler linéairement. L’essentiel est que la solution concrète des problèmes pratiques d’organisation de la société sera, en dernière analyse, toujours trouvé en référence à ce point de départ.

3/ Reculs et avancées

Très vite de premiers accrocs apparurent : la constitution civile du clergé le 21/08/1790, la distinction entre égalité civile et égalité civique qui, entre autre, privaient les femmes du droit de vote malgré l’opposition de Condorcet et Sieyès, l’instauration du culte de l’Etre suprême par Robespierre et le décret de la Convention montagnarde  du 7/05/1794 ─« Le peuple français reconnaît l’existence de Dieu, les sanctions de la vie future et l’immortalité de l’âme »─et, enfin, le Concordat    promulgué par la loi du 18 germinal an X (8/04/1802), par lequel, en échange de l’abandon définitif par l’Eglise du monopole du culte et de toute revendication sur les biens nationalisés, était substituée, à la libre organisation du culte par les fidèles, l’organisation contrôlée et financée par  l’Etat. Des articles organiques traitaient des cultes reconnus, catholiques luthérien, calviniste  puis juif en 1808. Après la conquête de l’Algérie, le décret des 26 août-6 septembre 1881 y prévoyait le financement d’Etat de l’Islam, « religion la plus répandue sous le drapeau français ».
Mais parallèlement les idées de la Déclaration progressaient et aboutissaient à la première séparation des Eglises et de l’Etat de l’An III :    « La République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte et garantit le libre exercice de tous » (décret du 3 Ventôse an III (21/02/1795))  et «Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte.  La République n’en salarie aucun» (Constitution de l’an III  (22/08/1795) ( Article 344) et loi du 7 vendémiaire An IV).La publication du code civil le 21/03/1804 mettait un terme définitif aux divers codes religieux ou particularistes mais maintenait sur de nombreux points la femme en situation de mineure légale.
Des avancées précédant la loi de 1905, il faut citer l’éphémère expérience du gouvernement provisoire de la IIème   République  et  l’adoption de la loi sur les associations (1/07/1901) qui, conséquence heureuse de la théorie de l’égalité civile, ne faisant aucune différence entre hommes et femmes en définissant une association comme une convention entre personnes (Art.1) est une étape décisive de la reconnaissance de l’égalité civique homme/femme. 
En 1905, les républicains auront conscience de reprendre l’œuvre de la Première République, comme, quelques années plus tôt  avec les lois Ferry  de  réaliser l’œuvre de Condorcet.

4/ La rupture des relations avec le Saint Siège

Après la victoire de 1902, le débat n’était plus de savoir s’il fallait aller à la séparation mais quand.  Emile Combes voulait préserver l’Etat des intrusions de l’Eglise mais conserver encore le Concordat et le pouvoir de contrôle qu’il donnait à l’Etat sur l’Eglise.  Jean Jaurès lui apporta son soutien  pour le vote de la loi interdisant d’enseignement les congrégations(Mars 1904), car  affirmer la liberté de croire et de propager sa foi, et en même temps,  arracher l’enseignement aux congrégations c’était faire, selon lui, « une loi de libération ».   Pie X lui donna d’ailleurs raison. Ignorant les acquis de 1789, il condamnait la loi parce qu’elle « détruit l’enseignement chrétien fondement principal de toute société civile ».
        La séparation s’imposa à la suite de la visite du Président Loubet, du 23 au 29 avril 1904, au roi d’Italie à Rome, à laquelle le Pape réagit avec une rare violence de chef d’Etat dépossédé de ses états en 1870. L’émotion fut considérable. La Chambre vota le rappel de l’ambassadeur auprès du le Saint Siège le 27/05/1904, à l’écrasante majorité de 427 voix contre 96.  La rupture fut définitive le 30/07/1904 après que  Pie X ait jeté le concordat aux orties en intervenant directement contre les évêques républicains de Dijon et Laval. L’extrême gauche s’empara de ces évènements pour réclamer la séparation immédiate des Eglises et de l’Etat, ce à quoi Aristide Briand répondit qu’il se refusait à agir en représailles,  sous le coup de l’émotion et de la colère, pour une question aussi complexe, qui demandait raison et sang froid. 

5/ Les débats et l’adoption de la loi

En déposant son rapport le 4 mars 1905, Aristide Briand avait déclaré qu’il fallait une séparation loyale et complète, garantissant la liberté de conscience et de culte, rendant l’Etat à son rôle, qui n’est pas de décider du dogme, et accordant à l’Eglise ce à quoi elle avait droit comme toute association. La discussion débuta par le rejet de motions préjudicielles et d’un contre-projet de l’extrême gauche blanquiste, qu’Aristide Briand, pour qui il ne s’agissait nullement de faire un symétrique du concordat dans une visée antireligieuse, qualifia « de projet de suppression des Eglises par l’Etat »puis les articles 1 et 2 du projet qui reprenaient l’article 344 de la constitution de l’An III  furent adoptés  entraînant la suppression de tous les budgets des cultes :
Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
  Depuis le Concordat les édifices religieux étaient propriété de l’Etat,   et mis à la disposition des établissements publics du culte. L’article 3 qui prévoyait  l’inventaire des biens propres desdits établissements d’une part et des biens de l’Etat d’autre part,  fut adopté  sans problème.
La jouissance des édifices appartenant à l’Etat et les biens, mobiliers ou immobiliers, appartenant aux fidèles étaient attribuées par le projet d’article 4 à des associations  invitées à se créer, les  cultuelles, sans prévoir de règle de choix en cas de revendications multiples. Des inquiétudes contradictoires se firent jour parmi les catholiques : en supprimant tout contrôle de l’Etat, ne risquait-on pas de livrer « tout notre clergé aux congrégations romaines » et d’accroître l’emprise sur le clergé de la droite antirépublicaine ? D’autre part, les associations cultuelles ne seraient-elles pas un moyen de renverser le principe traditionnel de l’autorité de l’évêque, rendant ainsi la loi inacceptable pour les catholiques qui y verraient une tentative schismatique ? L’intervention de députés libres penseurs ou protestants comme Eugène Réveillaud─pour qui c’était, au contraire, un moyen de réaliser, enfin et démocratiquement, la Réforme─ne pouvaient que les conforter dans leur inquiétude. A l’inverse Aristide Briand et Jean Jaurès partaient du principe que le fond de la question était l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et qu’il fallait utiliser la loi de 1901 qui ne préjugeait en rien du mode d’organisation des associations. Jean Jaurès rappela que, pour une part, la Constitution civile du clergé était née  de préoccupations de schismatiques s’imaginant ainsi prendre leur revanche de la papauté, alors que « Toute notre histoire proteste contre je ne sais quelle tentation de substituer les compromis incertains et tâtonnants du schisme à la marche de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison…La France n’est pas schismatique, elle est révolutionnaire. [Avec la Séparation, les principes de fonctionnement des Eglises dans leur limite même] ne deviennent plus qu’ un des éléments de la liberté civile générale ». Après de multiples contacts, Jean Jaurès rédigea une nouvelle version de l’article 4 : les associations cultuelles devraient se conformer « aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ». Il était désormais clair que personne ne dicterait à l’Eglise son organisation et que son évolution éventuelle  relèverait de sa liberté et de sa responsabilité . « Notre loi est une loi de liberté, de franchise et de loyauté » déclara Aristide Briand,  et l’article 4 fut adopté à l’écrasante majorité de 482 voix contre 52 (9 extrême-droite, 18 socialistes blanquistes et 25 radicaux libres penseurs). 

 Porté  par le souffle de 1789, on allait vers un grand moment d’unité et de cohésion nationale. Mais les opposants de gauche à l’article 4 reprirent l’offensive  en proposant de faire régler (Art. 8) les éventuels différents entre cultuelles par le Conseil d’Etat, ce qui pouvait passer pour une réintroduction de l’Etat dans les affaires internes des Eglises . De leur côté,  des radicaux s’inquiétaient de l’article 18, qui faisait rentrer les cultuelles dans le cadre de la loi de 190, et craignaient par ce biais le retour de la main mise de l’Eglise à travers l’influence qu’elle conservait sur les femmes. Après avoir apporté des précisions sur la subordination de l’article 8 à l’article 4 et sur l’interprétation libérale  qui serait la règle ▬ ce qui ne s’est jamais démenti, il n’y eut par exemple jamais de conflit à propos de la dévolution des lieux de cultes ▬ Aristide Briand après avoir salué le rôle éminent joué par les libres-penseurs dans la naissance de la loi, lança un  appel à la discipline républicaine qui aboutit à l’adoption par 341 voix contre 223. L’idée républicaine avait nettement progressée depuis l’adoption, trente ans plus tôt, de la République à une voix de majorité sur proposition du député catholique de centre droit, Henri Wallon. Certes  les réserves d’origine catholique n’étaient pas toute levées mais la voie était tracée. A aucun moment, les autres cultes n’avaient soulevé le moindre problème.
Des débats  du Sénatqui approuva la loi par 189 voix contre 102 (06/12/1905), je ne retiendrai que la discussion de l’article 43 (05/12/1905) qui renvoyait la séparation en Algérie et dans les colonies à un règlement d’administration publique. Il apparaît clairement qu’on n’ osa pas traiter l’Islam comme les autres religions car on craignait de porter atteinte à ses  croyances (sic) et les difficultés qui en résulteraient pour la présence française en Algérie.  Le  résultat en fut  que, jusqu’en 1962, l’Islam fut financé en Algérie !  On avait, ainsi, emprisonné les Algériens dans un statut particulier d’essence communautariste et religieuse dont on vit plus tard les résultats.

6/ L’application de la loi .

La loi votée, un délai d’un an courrait pour sa mise en application et notamment pour dresser les inventaires (Art. 3) et constituer les associations cultuelles (Art.4). 93% des inventaires se déroulèrent dans le calme et la dignité car tout avait été fait pour éviter les vexations. Les débris de l’anti-dreyfusisme avaient bien perçu qu’avec la loi de 1905 était franchie une étape décisive de la construction de la République laïque. Ainsi Léon Daudet et les royalistes de l’Action Française, Edouard Drumont et les antisémites, soutenus par la presse assomptionniste et antisémite  (La Croix) et par « les bandes du Sillon de Marc Sangnier et des camelots payés par des dames titrées » se saisirent-ils d’une provocation d’un haut-fonctionnaire pour déclencher des incidents voire de violentes bagarres, souvent contre l’avis des desservant. Clemenceau devenu ministre de l’intérieur sut trouver (20/03/1906) les mots pour apaiser l’émotion et les incidents s’éteignirent aussi vite qu’ils étaient apparus.
Le 11/02/1906 le Pape avait condamné la loi de séparation et, à son habitude, la démocratie. Il continuait à voir dans la rupture du Concordat une atteinte aux relations entre états mais en profitait pour nommer, en accord avec l’Action Française, 14 évêques, justifiant ainsi les inquiétudes  des républicains concordataires.
Restait aux catholiques à constituer leurs associations cultuelles. Le nombre de ceux qui acceptaient la séparation grossissait depuis l’adoption définitive de la loi. Ils y voyaient le moyen pour l’Eglise d’être libérée de tout souci politique, en acceptant de ne plus être la religion de l’Etat et en cessant de réclamer des privilèges et l’appui de la loi. Les catholiques devaient montrer qu’ils étaient des citoyens comme les autres qui « [n’avaient] besoin que d’une chose la liberté dans le droit commun » .  
    Parmi les évêques et les prêtres, l’intransigeance papale et le rejet des principes de 1789 rencontraient un écho certain. Si les évêques républicains étaient peu nombreux, un courant majoritaire, semble-t-il, inclinait à l’acceptation de la loi, tout en cherchant à obtenir le maximum de privilèges.
      Aux élections du 6 Mai 1906, en gagnant 60 sièges les radicaux obtenaient la majorité absolue à la Chambre. C’était la preuve incontestable   que la loi jouissait d’un large consensus,  y compris dans le monde catholique où subsistait cependant un noyau antirépublicain.
    Réagissant à cette défaite sans appel, Pie X condamnait le 10 août 1906 tout compromis et rejetait les cultuelles  créant une situation juridique intenable pour les catholiques. Aristide Briand, fidèle à sa politique de liberté, sans jamais céder sur le fond, résolut le problème  par l’utilisation de la loi du 30 juin 1881 sur les réunions. L’ exigence de déclaration préalable se révélant  trop contraignante, il fit adopter la loi sous laquelle nous vivons toujours (28/03/1907) « Les réunions publiques, quel qu’en soit l’objet, pourront être tenues sans déclaration préalable ». Enfin « dans un dernier effort  de libéralisme » les problèmes de gestion subsistant furent réglés.
    Ainsi dans cette affaire, comme dans tous les problèmes d’application de la loi qui surgirent, la solution avait été trouvée, « sans perdre de vue un seul instant les principes essentiels de la réforme, par les  concessions nécessaires …que l’équité commandait », dans l’esprit de 1789 et par l’extension des libertés, à laquelle, par son intransigeance, le Saint Siège avait contribué… à l’insu de son plein gré.
     Près de 20 ans plus tard,  en 1924, Pie XI, tout en clamant haut et fort qu’il poursuivait la politique de Pie X, accepta les cultuelles sous le nom de diocésaines, non sans avoir tenté par l’intermédiaire du Cardinal Cerretti d’obtenir un accord d’Etat à Etat, ce qui fut sèchement refusé par Raymond Poincaré, Edouard Herriot et Aristide Briand.
    Si  fondamentalement la séparation avait été acquise grâce à la gauche héritière des Lumières, un autre clivage avait partagé, inégalement certes,  tous les groupes : il y avait le camp de la liberté telle qu’elle est définie dans la Déclaration des Droits, confiant dans l’usage que les citoyens seraient amenés à en faire, et le camp, surtout situé aux extrêmes, de ceux qui en doutaient, qu’ils veuillent maintenir le monopole, financé par l’Etat, de l’Eglise sur les consciences ou, symétriquement, déclencher une offensive d’Etat contre les cultes, ou encore qu’ils redoutent les interventions des femmes ou des colonisés.  Au centre les républicains concordataires se rattachaient à ce même courant, voulant certes interdire toute immixtion de l’Eglise dans l’Etat mais, méfiant, garder un certain contrôle de l’Etat sur l’Eglise,  ce qui revenait à capituler devant les difficultés et, pour des bénéfices à courte vue, laisser le principe de liberté au  second plan.

7/ Conclusion

Comme pour la Déclaration, il aurait été naïf de croire que tout allait dorénavant couler de source. Il fallut attendre la Libération pour que la laïcité soit inscrite dans la Constitution «  La France est une République, indivisible, laïque, démocratique et sociale » (Art. 1).Mais ceci ne mit pas fin aux privilèges de certains cultes comme aux régimes particuliers non-laïques d’Alsace-Moselle, de la Guyane et Mayotte par exemple, ni aux tentatives toujours renaissantes pour abolir l’originalité de la situation française par l’immixtion de l’Etat dans l’organisation des cultes ou par la reconnaissance des Eglises comme partenaires institutionnels de l’Etat,  voire par  l’introduction dans l’instruction publique un enseignement du soi-disant fait religieux .
En 1789 comme en 1905 les législateurs, en  traitant  du problème général de la liberté de penser ont tenu à l’universalité des  textes adoptés qui, dégagés du circonstanciel et ne visant aucune religion en particulier, s’appliquent dans toutes les situations. L’argument de l’apparition de nouveaux cultes est sans valeur: ce n’est pas la République qui constitue et organise les cultes, ce sont les cultes qui s’organisent eux-même, librement sauf à troubler l’ordre public.  L’Etat n’a à en reconnaître aucun. Sa neutralité philosophique est totale.
La question s’est posée récemment : allait-on accepter la remise en cause de la liberté et l’égalité en droits des femmes sous prétexte que des intégristes musulmans tentaient, sous couvert de religion, d’introduire, avec le voile, des coutumes barbares, moyen orientales et quadri millénaires ? A travers cette offensive, c’était le bastion avancé de la laïcité dans le monde qui était attaqué. Les mouvements féministes des pays musulmans ne s’y sont pas trompés. Le discours du Président de la République sur le respect du principe de laïcité dans la République, le rapport de la commission présidée par Bernard Stasi, le vote quasi-unanime de la loi interdisant le port des signes  ostensibles, les réactions profondes de notre peuple faisant fi des clivages philosophiques ou religieux, ont montré combien cette idée de la laïcité et de la séparation était devenue consubstantielle à la République: parce que partout, et y compris dans la sphère privée, les droits et la liberté sont garantis,  en aucun cas, et même couvert du manteau religieux, on ne peut aller contre la liberté et ce message a valeur universelle.
Il ne s’agit donc pas, pour faire face aux situations qui apparaissent, de modifier les bases de la République. Au contraire, comme l’écrivait  Jean Jaurès,   « La France est la seule nation en Europe qui, pour développer en elle la force de la démocratie complète n’ait qu’à se retrouver elle-même, à comprendre et reprendre sa propre tradition ». Il faut s’inspirer du grand souffle de liberté qui anime les textes fondateurs et ne plus laisser subsister privilèges ou anachronismes, car la laïcité ne se divise pas. Plusieurs fois déjà le Pasteur de Clermont, responsable de la Fédération Protestante,  a menacé de revenir sur ce qui est encore sa politique traditionnelle si les privilèges croissants donnés naguères à l’Eglise Catholique ne cessaient pas. Faut-il rappeler qu’en 1882, après le vote des lois Ferry, les   protestants  considérant qu’avec la fin du monopole de l’Eglise catholique sur l’enseignement, la liberté était enfin assurée, remirent solennellement à la République leurs écoles primaires ?
Objets d’un large consensus, la Déclaration des droits et la loi de 1905 sont le socle de la République laïque . On peut appliquer aux articles fondamentaux de la loi de 1905 ce que le juriste Guy Carcassonne dit des articles de la Déclaration,  « suffisamment patinés par le temps pour n’être pas remis en cause, suffisamment éternels pour demeurer modernes, suffisamment précis pour être protecteurs et suffisamment vagues pour se prêter aux évolutions que le progrès a rendues nécessaires, bref, assez adaptés pour rendre  vaine une [nouvelle] rédaction ». Si l’on ajoute, comme l’écrit Raymond Boudon, que « la laïcité est [aussi] fondée sur cette irrécusable donnée de fait [qu’] aucune religion ne peut prétendre à l’universalité puisqu’elle repose par essence sur d’ innombrables articles de foi, dont on ne saurait par suite exiger de quiconque, ni qu’il y croie, ni qu’il n’y croie pas », l’on conviendra qu’ en garantissant à tous, hommes et femmes, et partout, la liberté et l’égalité en droits sans lesquelles il n’est pas de fraternité, la laïcité de l’Etat, indissociable de la séparation d’avec les églises, est un ferment de cohésion et d’émancipation sociales.

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