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Alain Policar

Agrégé de sciences sociales, docteur en science politique (IEP de Paris)

Raison présente
n°221

21/05/2023

L’universalisme en procès (recension)

Le Bord de l’eau éditions, 2021, 163 pages

Offensive réactionnaire contre notre adhérent Alain Policar

Alain Policar, philosophe et politologue, membre du comité de rédaction de Raison Présente, a été nommé le 13 avril par le ministre Pap Ndiaye au Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République. Il est depuis l’objet d’attaques virulentes dans une certaine presse réactionnaire qui l’accuse d’être anti-universaliste et favorable au communautarisme. Il faut pour cela ne pas avoir lu le livre qu’il a écrit en 2021 L’Universalisme en procès (le Bord de l’eau), où il défend à l’inverse un universalisme pluriel, conçu comme coexistence de tous les particuliers. Le bureau de l’UR assure Alain Policar de sa confiance et conseille la lecture de la recension du livre en question par Michèle Leduc pour Raison Présente n° 221 (2022)

Recension

L’universalisme est d’un côté revendiqué par ceux qui adhèrent au républicanisme en France, au péril d’une confusion entre l’universel et l’uniforme, de l’autre contesté au vu des échecs d’une politique insensible à la différence. L’ouvrage publié par Alain Policar est consacré au refus du choix entre ces deux termes, porté par une vision contemporaine d’un universalisme humaniste digne de ce nom. Il en soumet la construction à la patiente analyse des fondements de l’argumentation adverse. 

Dans un premier temps l’auteur décrit comment l’universalisme peut être dévoyé et s’égarer dans une attitude de surplomb. Il revient sur la mission civilisatrice dont la France s’est trop longtemps sentie investie, pensant devoir apporter la lumière aux peuples du monde en les assimilant à la culture française. A l’époque des conquêtes coloniales, la supériorité supposée de l’homme blanc légitime sa mission de civilisation qui s’exerce à l’égard des non-blancs, dont le statut est simplement fixé par le travail qui leur est assigné. L’idée de nationalité française définie en termes raciaux se confond alors avec l’idée de blancheur.  Un vernis universaliste trompeur recouvre en général cette démarche, dont on peut retrouver des réminiscences dans nos débats actuels : les attitudes vis-à-vis de l’immigration, doublées d’une xénophobie politique indifférente à l’histoire, ne font que révéler d’anciens stéréotypes racistes repris par l’extrême droite.  Revenant sur la question du voile à l’école, l’auteur rappelle que son interdiction au nom de la laïcité se veut comme une forme de lutte nationale contre le communautarisme, mais de fait dessine en creux une ligne de fracture virtuelle entre Nous et Eux (les musulmans). Il souligne aussi que l’affichage de l’intégration souffre de discordances entre les principes d’assimilation et la réalité des faits, qui révèlent la discrimination à l’égard des minorités visibles et la dimension « racialisée » des inégalités sociales.

 L’intégration normative au service de l’universalisme serait-elle un leurre ? La dénonciation de l’intégration à la française – qui diffère de celle pratiquée au Royaume Uni ou aux Etats Unis – sous-tend la pensée « décoloniale » dont les courants sont multiples. Celle-ci affirme que « l‘ordre blanc » est un ordre social global articulé autour de la « race », structurant la domination des populations racisées. Il se nourrit en occultant notre passé esclavagiste et colonial. Certes aujourd’hui nous condamnons les violences du passé, d’ailleurs sans mesurer parfaitement ce que fut la tragédie de l’esclavage atlantique. Et Albert Memmi, Aimé Cesaire, Claude Lévy-Strauss et de nombreux penseurs contemporains sont convoqués pour balayer l’hypothèse de l’éventuelle supériorité de l’Occident. Pourtant, aujourd’hui où la discrimination a officiellement disparu en termes de droit, la stigmatisation de la population « racisée » demeure à travers les représentations dévalorisantes de celle-ci dans la vie courante. De cette situation, que nul ne peut nier, se nourrit la pensée décoloniale dont l’auteur prend ainsi le temps de comprendre la logique. Il démontre au passage, chiffres à l’appui, que la dénonciation de la prétendue hégémonie à l’université du décolonial (auquel on peut ajouter « l’intersectionnel » pour faire bonne mesure) manque de fondement, car les études portant sur la race ne représentent en réalité que quelques pourcents de la recherche en SHS.

 Faut-il pour autant accepter les concepts théoriques des décoloniaux qui contestent l’universalisme en accréditant l’idée d’une différence de nature entre l’Occident et le reste du monde ? L’auteur estime que les excès de ces idées font faire fausse route en tentant d’imposer une censure de la parole des hommes comme des femmes blanches dans l’espace public. Les décoloniaux déconsidèrent le féminisme « blanc-bourgeois-libéral-dominant » mais occultent une autre juste cause, celle de la lutte contre les violences faites aux femmes au nom de la tradition qui implique la soumission à la coutume : pour l’auteur une telle perspective d’ethnicisation des rapports sociaux est à mille lieux de l’idéale vision universaliste de la condition féminine.

Le propos final est de reconsidérer l’universalisme à la lumière de la critique qui lui est adressée. Il faut d’abord reconnaître que son nom a trop souvent servi à justifier l’oppression et ne pas oublier la nécessité des luttes de redistribution des rôles dans la société. Les chances de participation sont à redonner à toute la collectivité en dénonçant les pratiques permettant l’existence de citoyens de seconde zone. Ceci implique de reconstruire des institutions avec des structures plus inclusives. Les générations présentes ne sont pas complices et moralement coupables du fait colonial ; toutefois cela n’implique pas qu’elles ne soient pas tenues à la réparation. Il importe de réinventer l’universel dans chaque situation particulière. L’auteur poursuit avec une analyse critique de l’éthique des principes fondamentaux relatifs à l’égalité des droits et à la liberté de tous. Ces principes restent, au regard de la démocratie et malgré les contradictions qu’ils engendrent, des outils précieux pour construire un monde commun. Pouvoir penser la construction du monde commun soulève la question majeure de l’anthropologie politique. La coopération indispensable à l’échelle de la planète suppose le refus de l’enfermement dans les nationalismes qui sont avant tout des remparts contre le sentiment d’insécurité.  Le cosmopolitisme[1], qu’il soit économique ou culturel, est une valeur à promouvoir qui implique un intérêt particulier pour le sort réservé à l’étranger. L’auteur y voit comme un catalyseur de fraternité planétaire. L’universalisme cosmopolitique se fonde sur l’unité de l’espère humaine ; il est ici présenté comme une exigence morale et un horizon politique.

Et l’auteur de conclure, avec sagesse et une bonne dose d’optimisme :

 « On peut donc considérer l’idée cosmopolitique comme une exigence rationnelle à l’origine de l’histoire. Il nous incombe d’être à la hauteur de cette exigence si nous souhaitons que de son procès l’universalisme sorte la tête haute ».

Michèle LEDUC

[1] Voir Alain Policar Cosmopolitisme ou barbarie, Paris, éd. Rue d’Ulm, 2020.

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