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Nelly Bensimon et Michel Henry

Membres du bureau de l’Union rationaliste

17/3/2021

Pour les étudiants, un diplôme ‘Covid’ ?

Le monde d’après aura besoin d’étudiants bien formés

Parmi toutes les conséquences désastreuses engendrées par la crise sanitaire et sa gestion qui, prétendant protéger la santé de la population, a protégé par-dessus tout le monde de la production, le devenir d’une cohorte d’étudiants dans les universités n’a pas été l’objet de questionnements. Alors que la recherche scientifique au langage complexe s’impose dans notre quotidien, l’université qui a vocation à former les travailleurs intellectuels et les chercheurs de demain a cessé de fonctionner ce jour de mars 2020 où le gouvernement a décrété le confinement du pays. Le monde universitaire est devenu quasi invisible pour ceux qui avaient à gérer la situation sanitaire, oublié dans les financements de sauvegarde, tandis que l’urgence du quotidien et des rentrées universitaires était reléguée à l’arrière-plan derrière la présentation du projet de loi pluriannuelle de la recherche, qui lui ne pouvait attendre. Pour une génération d’étudiants engagée dans des études universitaires, les raisons de se sentir déstabilisés sont multiples : entre le doute sur les choix d’études à faire face à l’avenir incertain de nombreux secteurs d’activités, le stress induit par l’absence d’accompagnement dans leur formation, la solitude sociale et la précarité financière, il leur faut trouver la force de résister et de progresser coûte que coûte.

Les nouveaux étudiants devenus des adultes dès la sortie du lycée sont encore considérés comme des enfants liés à leur famille ; ainsi nombreux sont ceux qui s’engagent dans des études sans filet de sécurité au plan social. Bien avant mars 2020, on connaissait la difficulté d’un grand nombre d’étudiants à vivre pendant le temps de leurs études. Depuis le premier confinement, on sait les conditions de vie qui leur sont faites et qui ne cessent de s’aggraver depuis la dernière rentrée universitaire : la disparition des « petits jobs », ce qui fragilise leurs équilibres financiers, impliquant des restrictions alimentaires et l’abandon des soins nécessaires à leur santé. A ceci s’ajoute leur enfermement souvent à plusieurs dans des chambres exigües, leurs rencontres entre étudiants limitées au strict minimum, leurs temps d’échanges et de débats avec leurs enseignants remis à plus tard, alors que nombre d’entre eux ont dû se rapatrier chez leurs parents, loin de leurs facs, lors des confinements.

On comprend aisément que les enseignants n’aient pu, d’un claquement de doigts, mettre en œuvre une pédagogie satisfaisante à distance sans y avoir été préparés et ceci quelle que soit leur discipline, leur équipement et leurs connaissances technologiques. Il faut saluer le grand dévouement des enseignants-chercheurs et de leurs collègues qui assurent un double travail en présentiel pour une partie réduite de leurs étudiants et à distance avec des cours en ligne, tout en poursuivant leurs activités de recherches dans des conditions dégradées. Combien de temps tiendront-ils dans ces conditions de travail, où toute initiative pédagogique a du mal à se développer ? Remarquons le silence consternant de la Ministre sur ces entraves au fonctionnement des universités, elle-même trop occupée par d’autres questions d’actualité qu’elle fait passer avant le sort des jeunes dont elle a la charge. Heureusement les universités font tout ce qu’elles peuvent avec leurs moyens de plus en plus limités pour aménager les cours et les conditions de vie de leurs étudiants. Certains « managers » prônaient l’enseignement à distance par des cours magistraux en ligne, avec notamment les plates-formes Moocs[1]. On semble découvrir aujourd’hui la vanité de cette pédagogie au petit pied et l’impossibilité de mener des études universitaires correctes sans la présence physique des enseignants et sans les questions-réponses qu’elle permet.

C’est bien à tous les niveaux de la formation universitaire que la solitude des apprentissages génère handicaps et interrogations sur l’avenir. Ceci concerne les futurs bacheliers, filtrés par ParcourSup, qui ont attendu, avec envie ou crainte, leur entrée à l’université et dont le nouveau statut exige d’eux qu’ils deviennent autonomes dans la pratique de leurs apprentissages. Mais aussi les doctorants qui voient leurs expériences fortement ralenties et qui ne peuvent plus saisir les occasions spontanées de discussions réconfortantes quand le doute s’installe sur la perspective de leurs travaux, quand ils ne peuvent plus fréquenter les bibliothèques ni bénéficier de la régularité de séminaires, stimulant la dynamique de la recherche et temps d’émulation pour les échanges scientifiques.

Et pour celles et ceux qui, leur diplôme en poche, réalisent que les filières prometteuses d’emploi ne débouchent plus sur des emplois qualifiés comme dans l’aéronautique ou la gestion de projets culturels et artistiques et qu’il faut trouver le moyen d’attendre avant d’entrer dans le monde du travail… 

Nombre d’analyses mettent en évidence que la crise induite par la situation sanitaire a creusé les inégalités sociales. L’université, par son engagement à démocratiser l’accès aux connaissances, est plus que jamais vue comme une planche de salut : décrocher un diplôme universitaire constitue pour la plupart des jeunes issus de milieux sociaux défavorisés une absolue nécessité, l’espoir d’un accès possible aux emplois valorisants. Mais qu’en sera-t-il du diplôme préparé en ce temps de crise, de sa qualité, de son adéquation à l’économie du monde d’après ? Qu’en sera-t-il de la stratégie des entreprises à choisir entre jeunes diplômés de l’époque Covid et travailleurs expérimentés ?  

En se projetant dans une ou deux décennies, on peut s’interroger sur les conséquences de ces deux semestres universitaires déjà quasi perdus, pendant ces quelques années essentielles à la formation scientifique, littéraire et culturelle des futurs créateurs, intellectuels, artistes….

Et au-delà d’un engagement dans un projet de formation auquel aspirent ces jeunes étudiants, l’entrée à l’université les fait basculer brusquement dans un monde d’adultes. Or, pendant des mois, ils n’auront pas connu les apports sociaux de ce monde nouveau, l’immersion dans un milieu élargi à de nouvelles têtes venues d’ailleurs que de leur environnement familial, la découverte de disciplines inconnues ou peu abordées dans le secondaire, les rapports nouveaux construits au cours de petits moments d’échange avec leurs enseignants.

Au cours de ces derniers mois, les problèmes que rencontre le monde universitaire, étudiants comme personnels, ont éclaté au grand jour. Quelles mobilisations du système d’enseignement supérieur et de recherche devrait-on proposer à un service public déjà exsangue ? Ce système ne se remettra pas en marche si l’on pense possible de faire l’économie de trouver une solution aux problèmes posés. Étudiants se sentant abandonnés et enseignants investissant dans l’urgence dans une pédagogie numérique et à distance doivent recevoir la considération de leurs autorités de tutelle. Pour redonner confiance en un avenir encore mal défini aux étudiants et aux personnels qui les encadrent, il faut commencer par  répondre aux problèmes récurrents que la crise a exacerbés, parmi eux les allocations d’études plus nombreuses et d’un montant permettant de vivre, la médecine universitaire renforcée et présente sur tous les sites, le recrutement de personnels enseignant, chercheur et administratif au rythme de l’accroissement des flux étudiants, un équipement numérique à la hauteur des enjeux pédagogiques avec l’assistance d’informaticiens dédiés,… Puis pour répondre aux dégâts causés par la crise sanitaire, il faut permettre l’allongement des études pour compenser les cursus qui se sont déroulés en mode dégradé. Pour rassurer les étudiants qui se demandent s’ils auront acquis assez de compétences professionnelles et ceux qui craignent que leur diplôme conserve longtemps ‘l’étiquette Covid’, l’université doit faciliter et favoriser l’accès à la formation continue. Le défi à remporter dans ces prochains mois sera de maintenir et de consolider une université publique accessible à tous les jeunes et au-delà à tous en reprise d’études, garante d’une ouverture sur la connaissance, autorisant des parcours personnels non rectilignes, riche de son interdisciplinarité, entraînée par les recherches de haut niveau. La construction d’un monde repensé après cette longue crise doit s’appuyer sur un effort exceptionnel en faveur de la formation universitaire comme pour les enseignements de celles qui la précèdent depuis la maternelle.

A l’Union rationaliste, nous  pensons à toutes celles et ceux qui ont créé l’UR il y a 90 ans et qui ont accompagné et continuent d’accompagner la vie de notre association, aux savants prestigieux, aux enseignants de toutes disciplines, aux ingénieurs, aux médecins, aux philosophes, sociologues et historiens, auteurs d’ouvrages et de conférences, organisateurs de colloques, ayant à cœur de contribuer à une vraie université pour tous. À l’UR, nous pensons aussi aux adhérents ou sympathisants attachés au rôle de l’éducation dans l’accès au savoir et à la démocratie. Cette impuissance à protéger la jeunesse en de telles circonstances est indigne d’une nation qui prétend se placer en tête des pays développés. Le temps perdu peut encore se rattraper si l’on veut faire participer les générations de toutes les cultures que l’université brasse, forme et promeut, pour construire le monde d’après.

[1] Massiv Open Online Courses, des cours proposés par des écoles et des universités accessibles à tous et gratuitement sur Internet. Une grande majorité de MOOCs se présentent sous forme de vidéos courtes postées chaque semaine. Le professeur n’a pas le temps de suivre les forums de discussion et de répondre à chacun.

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