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Michel Henry

Membre du CA de l’UR

Les Cahiers Rationalistes
n°671

18/03/2021

Les Communards à l’assaut du ciel

L’Union rationaliste regrette que le gouvernement français n’ait pas jugé bon de célébrer l’anniversaire des 150 ans de la Commune de Paris. Pour sa part l’UR tient à rappeler que bien des décisions révolutionnaires de la Commune touchent à des domaines qui lui tiennent particulièrement à cœur : la laïcité, l’éducation et la culture. Ces décisions, hélas trop vite annulées, ont été les ferments de grandes réformes dont l’histoire de la France a hérité. Elles sont rapportées dans l’article qui suit, publié dans les Cahiers Rationalistes n° 671 de mars-avril, les situant dans le contexte politique de l’époque.

Les Communards à l’assaut du ciel

18 Mars 1871, trop c’est trop ! La toute jeune République proclamée le 4 septembre 1870, est victime de la trahison des classes dirigeantes : répression sanglante le 22 janvier d’une manifestation place de l’Hôtel de Ville, 30 morts, armistice franco-prussien et capitulation de Paris les 28 et 29 janvier, les Prussiens défilent sur les Champs-Élysées le 1er mars. L’Assemblée nationale réunie à Bordeaux forme le gouvernement de Thiers le 19 février et se transfère à Versailles le 10 mars. Le gouvernement s’installe à Paris le 16 mars. Le 18 mars, Thiers décide l’enlèvement des canons de la Garde nationale par la troupe qui refuse d’ouvrir le feu sur les Parisiens et met crosse en l’air. L’insurrection est déclenchée, Thiers quitte Paris pour Versailles[1].

La création de la Commune de Paris a été demandée le 6 janvier 1871 par l’affiche rouge. Elle est proclamée le 28 mars en installant son Conseil à l’Hôtel de Ville. Elle hérite de cette situation insurrectionnelle et se met au travail dès le 29 mars : annulation des loyers dus depuis le 13 août 1870, circonscription militaire et armée de métier abolies. Le 2 avril la Commune décrète la séparation de l’Église et de l’État, supprime le budget des cultes et met le gouvernement de Thiers en accusation.

L’œuvre de la Commune est immense, elle n’a pourtant vécu que 73 jours du 18 mars au 29 mai[2]. De nombreux ouvrages ont été édités, des études et recherches sur ce moment historique unique d’une révolution vite réprimée ont été publiées et sont encore poursuivies, notamment par l’association Les Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 [3]. À commencer par la publication par Karl Marx de La guerre civile en France[4], brochure de 35 pages achevée le 30 mai 1871, écrite à l’intention de l’Association internationale des travailleurs.

Qu’il nous soit permis, dans cette courte évocation de la Commune de Paris, de nous limiter à la question de l’enseignement et de la culture. La rupture est saisissante. Le règlement destiné aux instituteurs de la Seine de 1870 stipulait dans son article 1, intitulé Des devoirs particuliers des instituteurs, que :

« Le principal devoir de l’instituteur est de donner aux enfants une éducation morale et religieuse, et de graver profondément dans leur âme le sentiment de ce qu’ils doivent à Dieu, à leurs parents, au chef de l’État et à leurs semblables. (…) Les classes commencent et finissent par une prière qui sera déterminée par les ministres des cultes respectifs ».

Les lignes qui suivent sont écrites le 23 avril 1871 dans le Cri du Peuple. Elles sont de Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des cerises :

« Qu’on nous tue, les principes que les décrets de la Commune ont affirmés n’en existent pas moins… Ce sont des monuments que les Versaillais ne détruiront ni à coups de plume ni à coups de canon ».

L’un des premiers décrets concerne la laïcité. Jusqu’au 18 mars, 52 % des enfants allaient dans des écoles municipales congréganistes de Paris. Dès le 3 avril, six jours après son installation, la Commune décrète :

Article premier – L’Église est séparée de l’État.

Article 2 – Le budget des cultes est supprimé.

Article 3 – Les biens appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriété nationale.

De ce fait, les écoles dirigées par les congréganistes sont supprimées et remplacées par des écoles laïques. Avant la Commune il n’y avait aucune obligation scolaire et à Paris un tiers des enfants n’était inscrit dans aucune école. La Commune prescrit à sa Commission de l’Enseignement de proposer un décret rendant l’instruction primaire non seulement laïque, mais gratuite et obligatoire. La gratuité fut étendue aux fournitures scolaires, certains quartiers offrirent des vêtements uniformes à leurs élèves :

« Paris veut que le fils du paysan soit aussi instruit que le fils du riche, et pour rien, attendu que la science humaine est le bien commun de tous les hommes… » (Appel d’André Léo « aux travailleurs de la campagne »).

L’enseignement technique est développé et valorisé. Les communards estimaient que ce développement permettrait de supprimer le décalage entre le travail manuel et le travail intellectuel, en vue de réaliser l’égalité sociale. Marx l’a souligné en écrivant :

« Le développement intégral et libre de tout individu se pose non pas comme simple finalité de l’éducation, mais comme principe fondamental du régime nouveau que créera le prolétariat ».

Dans un article du Vengeur sur l’enseignement professionnel et intégral du 8 avril, Henri Bellenger écrit dans un élan d’une utopie encore à réaliser :

« Il faut enfin qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrire avec passion, avec talent, sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi. Il faut que l’artisan se délasse de son travail journalier par la culture des arts, des lettres ou des sciences, sans cesser, pour cela, d’être un producteur… ».

De même, le Père Duchêne, un des journaux de la Commune, appelait le 8 mai à faire par l’école « des hommes complets ». Sous la signature d’Eugène Pottier (l’auteur des paroles de l’Internationale), de Serailler, de Durand et de Johannard, on y lit : 

« Que chaque enfant de l’un ou de l’autre sexe, ayant parcouru le cycle de ses études primaires, puisse sortir de l’école-atelier possédant les éléments sérieux d’une ou de deux professions manuelles : voilà notre but ».

Dans l’ancien local des jésuites de la rue Lhomond, une école professionnelle d’un type nouveau, début d’un réseau de mêmes établissements, est organisée :

« Les enfants âgés d’environ douze ans et au-dessus, quel que soit l’arrondissement qu’ils habitent, y seront admis pour compléter l’instruction qu’ils ont reçue dans les écoles primaires, et pour y faire, en même temps, l’apprentissage d’une profession ». (Affiche placardée sur les murs de la capitale le 6 mai 1871, signée par les membres de la Commission pour l’organisation de l’enseignement).

Depuis le milieu du mois d’avril, tandis que les Versaillais accusaient la Commune de détruire les arts et les sciences, fonctionna la Fédération des artistes que Gustave Courbet avait fondée, avec entre autres Corot, Daumier, Édouard Manet. Courbet, ministre de la Commune, fut accusé à tort d’avoir commandé la destruction de la Colonne Vendôme et fut condamné à la rembourser, ce qui l’obligea à s’exiler en Suisse.

La Commune, dans un décret du 2 avril, décida l’adoption des enfants des gardes nationaux morts au combat, sans faire de différence entre les enfants « légitimes » et les autres. Le 18 mai, elle rendit un décret qui doublait le traitement des instituteurs et triplait celui des institutrices afin de tendre vers une égalité de salaires entre hommes et femmes.

La participation des femmes à la Commune fut très remarquée. La bourgeoisie en profita pour accuser la Commune de vouloir briser la famille et la morale. Parmi les nombreuses femmes impliquées dans la Commune, la plus célèbre est Louise Michel, institutrice, franc-maçonne, aux idées féministes. Elle participa activement aux événements, autant en première ligne qu’en soutien. S’étant livrée en mai pour faire libérer sa mère, elle fut déportée en Nouvelle-Calédonie où elle adopta les thèses anarchistes.

La Commune ne donna pas le droit de vote aux femmes, ce qui pourtant avait été une proposition de Condorcet. Mais sous la signature de Léo Frankel, elle lança un

« Appel aux ouvrières à se réunir le 17 mai à la Bourse, à 7 heures du soir, afin de nommer des déléguées de chaque corporation pour constituer les chambres syndicales ».

Paradoxalement, le calme s’était installé dans les rues de Paris, jusqu’à la semaine sanglante. Karl Marx écrivit le 30 mai 1871 dans La guerre civile en France :

« Quel changement prodigieux, en vérité que celui opéré par la Commune de Paris ! Plus la moindre trace du Paris dépravé du Second Empire. … Plus de cadavres à la morgue, plus d’effractions nocturnes, pour ainsi dire, pas de vols ; en fait, pour la première fois depuis les jours de Février 1848, les rues de Paris étaient sûres, et cela sans aucune espèce de police ».

Gustave Courbet apporta lui aussi son témoignage dans une lettre à ses parents du 30 avril 1871 :

« Je suis dans l’enchantement. Paris est un vrai paradis ; point de police, point de sottises, point d’exaction d’aucune façon, point de dispute. Paris va tout seul comme sur des roulettes. Il faudrait pouvoir rester toujours comme cela ».

Un mois plus tard, la Commune s’effondrait. Les Communards capturés sur les barricades furent fusillés par les Versaillais devant le mur du Père-Lachaise, ou déportés[5]. Sa commémoration ne plait pas à tout le monde, loin s’en faut, mais à l’Union rationaliste, nous sommes de celles et ceux qui se reconnaissent dans cet héritage.

Michel Henry, le 18 mars 2021.

 

[1] Toute ressemblance avec l’invasion allemande en mai 1940, l’arrivée au pouvoir de Philippe Pétain le 16 juin et l’abandon des combats le 17, et sa désignation le 11 juillet 1940 comme « chef de l’État français », ne serait-elle que pure coïncidence ?

[2] Cette petite chronologie est extraite du numéro hors série de l’Humanité de mars 2021 : Un espoir mis en chantier.

[3] Les Amies et amis de la Commune de Paris 1871, 46 rue des Cinq-diamants, 75013 Paris. Voir le bulletin de l’association, La Commune, n° 85, 1er trim. 2021 : « 1871-2021.  Place au Peuple, place à la Commune » : https://www.commune1871.org/association/qui-sommes-nous/bulletins-trimestriels

[4] Karl Marx, La guerre civile en France, Paris, Éditions sociales, 1953. Voir aussi Marx et Engels, Sur la Commune de Paris. Textes et  controverses, éditions La Dispute, 2021 : https://editionssociales.fr/catalogue/sur-la-commune-textes-et-controverses/

[5] En 2014, l’historien Robert Tombs donne 1400 fusillés après les combats et 4586 condamnés à la déportation (rapport du 20 juillet 1875 à l’Assemblée nationale). Des centaines étaient morts en défendant les barricades. Il faut lire l’évocation de ces journées par Victor Hugo dans L’année terrible publié en 1872.

 

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