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Pierre Dazord

Professeur honoraire des Universités

01/07/2004

Sur les pseudo-sciences de l’Éducation

Qu’entend-on par Pédagogie et par Sciences de l’Éducation ? [1]

La Pédagogie[2] est étymologiquement la conduite des enfants ; de là on est passé à l’art d’enseigner, d’instruire les enfants. C’est une pratique empirique éminemment respectable et efficace socialement qui, entre autres, a fait la réputation et la gloire de l’enseignement français depuis la maternelle jusqu’à l’Université selon la formule consacrée. Que ce soit une pratique empirique suffit à justifier les stages, conférences, conseils et inspections pédagogiques, la connaissance empirique se transmettant par l’étude, l’analyse et l’imitation de la pratique. Par contre, notre propos est de montrer que les sciences de l’éducation ne sont pas une science autonome ayant constitué son champ propre, et ce qui en découle, problématique, méthodes, expériences. Que la psychologie de l’enfant ou de l’adolescent soit une discipline scientifique au sein de la psychologie semble une évidence et que, dans son champ d’études, il y ait les problèmes de l’acquisition des connaissances, de la transmission du savoir des adultes aux jeunes, de la préparation à l’intégration dans la société, bref de l’instruction et de l’éducation selon la distinction de Condorcet, va de soi. Mais il n’y a pas autonomisation, dans ce champ, de sciences de l’éducation. Il est vrai que c’est une tendance de certaines sciences humaines de détacher de disciplines constituées, des domaines partiels, renvoyant souvent à des pratiques sociales répandues. Cette démarche d’isolement leur confère la séduction de ce qui peut paraître utile et nouveau, voire audacieux mais a surtout l’immense avantage d’affranchir le discours de tout l’acquis scientifique de la discipline et de le libérer de l’emprise des spécialistes[3], avec le résultat de remplacer un discours scientifique, et le long travail préalable d’analyse et de confrontation qu’il suppose, au mieux par un commentaire au pire par un blablabla auquel le journalisme nous a trop souvent habitués[4].

1/ Un critère de non-scientificité : les « expériences pédagogiques »

Non seulement le flou le plus complet règne dès le départ sur la théorie, son domaine, ses acquis et les hypothèses qu’elle permet de formuler, mais il n’est jamais donné de protocole d’expérience et, à aucun moment, la situation préalable à l’expérience n’est définie, jamais ce qui est soumis à l’expérience n’est précisé, aucune étude n’est faite des possibilités d’introduire des modifications parasites par l’action de l’expérimentateur, jamais n’est comparé le résultat obtenu avec le point de départ et les hypothèses soumises. Enfin jamais ne sont données les raisons qui permettraient de savoir de quelle généralisation les conclusions sont susceptibles, ce qui est pourtant une caractéristique de la démarche scientifique[5]. Comme en psychanalyse, on a un discours qui peut être brillant (parfois), autoréférent, mais n’est en fait qu’un commentaire voire une paraphrase de ce qui était annoncé au départ et débouche, en général, sur la nécessaire poursuite de l’expérience qui, ainsi, se nourrit d’ elle-même. Bref une pensée qui spirale sur elle-même et ne présente jamais la caractéristique du discours scientifique qui est par un procès logique, de déduire, des prémisses les conclusions. Les pseudo-sciences de l’éducation ont été produites en fait par des intellectuels qui confusément ou non, voulaient échapper à la rigueur de leur discipline d’origine, et l’on peut penser que c’est des dites disciplines que vient le peu d’intérêt que leur discours pourrait présenter.

2/ Une science sans résultats[6]

Il faudra bien un jour évaluer les dégâts causés par le discours pédagogique, si tant est que le critère de l’expérience a une valeur universelle. Ainsi en est-il des résultats obtenus par l’abandon des méthodes analytiques et progressives d’ apprentissage de la lecture remontant à Condorcet, le fameux b a ba (apprentissage de la lecture des lettres, puis des sons, de leur assemblage en syllabes, puis en mots regroupés à leur tour en phrases[7]…) qui avaient réduit l’illettrisme la fin de la guerre de 1914-1918 à ce qui pouvait légitimement apparaître comme un minimum incompressible. De nos jours, après des décennies de règne dictatorial des pédagogues, 75000 enfants quittent chaque année l’école primaire sans savoir lire. Jamais à court d’un argument démagogique, les responsables de cette catastrophe ont inventé le traumatisme du redoublement pour envoyer ces malheureux illettrés dans la classe suivante et masquer ainsi l’ échec rencontré. dans le même but, a été fait un usage abusif de l’ argument de l’origine sociale et de la non-maîtrise du français notamment dans les populations d’origine étrangère. Si ces derniers arguments recèlent une part de vérité, en faire des absolus c’est tout d’abord justifier a priori l’enfermement de ces enfants dans leur situation d’origine, ce qui est la négation du rôle de l’école, c’est oublier ensuite que la grande majorité de ces enfants s’en sortent. C’est ignorer enfin qu’en 1920, même dans les hameaux reculés où l’on ne parlait que le patois, les enfants savaient lire, à la fin du premier trimestre du cours préparatoire, des textes élémentaires. Luc Ferry l’a dit avec force, l’apprentissage de la lecture a reculé depuis cette époque.

Sans en rendre les seuls pédagogues responsables, force est de constater que le recul du rationalisme dans l’enseignement a été concomitant avec leur emprise croissante. Un exemple tiré, de mon expérience de responsable pendant un quart de siècle de préparation à l’agrégation de mathématiques, suffira à illustrer mon propos. Ayant un public en partie constitué d’enseignants de qualité, mais qui n’avaient pas obtenu l’agrégation compte tenu des dramatiques restrictions du nombre des postes à la fin des années 70, j’étais confronté en permanence aux interventions, notamment dans le cadre de la formation continue, des inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) diffusant la nouvelle foi. Évidemment, j’apprenais aux candidats à dégager les lignes de force et les nœuds d’une théorie, j’insistais sur ce qui est le plus difficile et souvent historiquement le plus long à être formalisé, les définitions, et bâtissais l’exposé sur cette hiérarchie, lemmes, propositions, théorèmes, qui rythme le procès logique en signalant les étapes des démonstrations, pour déboucher sur les corollaires qui expriment dans une situation particulière, l’efficacité des théorèmes, des exemples et quelques contre-exemples aidant à suivre l’évolution du discours et à rendre sensible le choix retenu. Un de mes élèves revint un jour d’une séance de brain-storming pédagogique en me disant, amusé, que tout ceci était dépassé et que de nos jours, il n’y avait plus que des assertions et, ajouta-t-il, j’ai cru dérouter l’IPR en lui demandant : « comment passe-t-on d’une assertion à une autre ? – Par un commentaire, me fut-il répondu ». On n’était plus dans la pensée logique et rationnelle mais dans la pensée spiralante, dont j’ai parlé plus haut. Je croyais, incurable optimiste, que ces temps étaient au moins partiellement révolus mais je fus, hélas, récemment, détrompé. J’assiste, à Lyon, au séminaire de l’Institut européen des sciences des religions qui, s’il n’a toujours pas réussi à donner la définition d’un fait religieux qui ne serait pas un fait historique, a déjà, dans le rapport de son fondateur, envisagé qu’ « une didactique des sciences des religions, qui reste, sans doute à créer ou parfaire (sic !), [sache] prendre la suite, l’expérimentation pédagogique aidant »[8]. Ce séminaire se veut formation d’enseignant du 2e degré. Dans la même journée, nous avions écouté un exposé consternant le matin, illogique dans sa construction et bourré d’erreurs relevant d’un catéchisme moyenâgeux, et l’après-midi un exposé remarquable sur les sources du Coran. Ayant dû, le matin, rétablir quelques vérités, et enthousiasmé par la qualité scientifique du second exposé, je dis à une IPR d’histoire et géographie, « vous devez reconnaître, Madame, l’extrême différence de nature et de qualité entre ces deux exposés » et m’entendis répondre, « Monsieur, nous respectons toutes les opinions ». Ainsi la vérité scientifique est ravalée au rang d’opinion et le fait qu’il s’agisse de sciences humaines ne fait rien à l’affaire. A partir de là, toute pensée rationnelle est ruinée et on ne s’étonnera pas que dans ces conditions, tout n’étant qu’opinions également valables, près d’un enseignant sur deux pense que l’astrologie est une science ou, à tout le moins, une opinion portant une part de vérité[9].

3/ Base « théorique »

La base « théorique », si l’on peut dire, des pseudo-sciences de l’éducation est à chercher non dans les Lumières mais dans Rousseau. De là sont nées les théories sur l’école lieu de vie, l’enfant au centre du système scolaire, de l’école dans la joie, sur la non directivité nécessaire, l’épanouissement de l’enfant à qui tout se dévoile à partir de son moi se développant librement etc…toutes choses qui ont conduit au système actuel et à un enseignement primaire en régression sur ce qu’il était en 1920. Faut-il pourfendre de telles billevesées ? L’envie vous prend plutôt[10] de vous contenter d’être l’enfant qui disait que le roi était nu et de rappeler, avec Condorcet et les Maîtres de l’École Laïque, que l’école est le lieu de la transmission du savoir et des valeurs fondamentales de la République : la Liberté, l’Égalité, la Fraternité, la Laïcité, la Justice Sociale et la Solidarité. On saura gré aux ministres Luc Ferry et Xavier Darcos d’avoir après tant d’années d’errance, rappelé l’École à sa tâche essentielle, l’Instruction publique, dans leur Lettre à tous ceux qui aiment l’école (Odile Jacob éditeur, Paris, 2003). L’éducation, dont l’instruction publique est une composante essentielle, ne s’y réduit pas, et fait intervenir de nombreuses autres structures sociales, la famille en premier lieu, mais aussi les innombrables organisations, associations, etc…qui se développent librement dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[11].

4/ La non-linéarité du procès d’acquisition des connaissances

Que les « bases théoriques » rappelées plus haut conduisent à des aberrations peut-être illustré, par exemple, par certains aspects de la réforme LMD. Que le mal se colore de nécessité d’unification européenne ne change rien à l’affaire. Dans cette réforme, l’enseignement de la licence est organisé en 180 modules, soit 60 par an ou, si l’on préfère, près d’une dizaine par mois. La proposition vient des mêmes cercles de pédagogues qui, s’ils font rentrer les étudiants dès septembre, annulent un mois d’enseignement en janvier-février pour organiser le contrôle des connaissances qu’on arrête de dispenser au moment le plus fécond. En effet, (et ceci est vrai dans tous les cycles d’enseignement), l’organisation d’un cours par l’enseignant, comme l’acquisition des connaissances par l’élève ou étudiant, n’est nullement un phénomène linéaire. Mettre en place les prémisses de l’enseignement qui sera donné demande soin et temps pour lancer l’apprentissage dans la bonne direction, celle que la science dans son mouvement a sélectionnée. De même l’apprentissage nécessite une phase de maturation où l’élève rentre peu à peu dans la discipline, s’imprègne de sa problématique, de sa méthode, voit pas à pas se construire la connaissance et arrive à la compréhension de ses résultats. Cette période se situait, aux temps heureux des cours universitaires annuels, à ce moment précis où de nos jours l’enseignement s’arrête. Enfin, comment concevoir un enseignement saucissonné en soixante morceaux par an ? Il est clair, dans ce contexte, que toute vision d’ensemble de la discipline, de son unité, de sa richesse et de sa diversité, de ses rapports avec d’autres disciplines, est strictement impossible et que l’enseignement, loin d’apprendre à penser, se réduit alors, à la délivrance de recettes et à la formation au psittacisme[12]. Ainsi la gangrène venue des pseudo-sciences aura gagné le corps sain de la science[13].

5/ Apprentissage dans la joie ou joie d’apprendre ?

Il y a toujours régression de la raison quand on passe d’une définition objective, ici l’école comme lieu de transmission du savoir et des valeurs de la République, à une qualification subjective ou psychologique qui, au mieux, ne sert qu’à masquer une fuite devant la difficulté : l’acquisition de connaissances ne se fait pas dans la joie ( la joie d’apprendre par cœur la table de multiplication ou les règles de l’analyse grammaticale ? ce n’est pas vraiment la franche rigolade) mais dans l’apprentissage de la rigueur qui ne va pas sans une certaine ascèse et l’acquisition d’une discipline, du sens du travail et de l’apprentissage de la persévérance qui seule permet de surmonter les difficultés, pour déboucher à la fin sur la joie profonde de la maîtrise d’une connaissance opératoire et d’une compréhension meilleure du monde. Quels parents n’ont pas vu s’illuminer le visage d’enfants venant dire « devine ce que j’ai appris aujourd’hui ? » Sans compter que l’école par la joie etc… au lieu de tirer l’enfant vers le haut de la connaissance le renvoie dans ce qui lui plaît et l’aplatit ainsi sur sa condition familiale. Passant une partie de ma vie à côté d’une école primaire, je peux témoigner que les fêtes de fin d’année scolaire reflètent le niveau des émissions de grande écoute de la télévision. Il n’était donc pas besoin de ces réunions apportant aux enfants ce qui est leur quotidien culturel (?) mais je dois reconnaître qu’ils s’amusent bien[14]. C’est furieusement moderne, mais il est vrai aussi que c’est infiniment plus facile d’apporter la joie criarde et vulgaire de certaines émissions de télévision portant au pinacle des chanteurs aussi vite disparus qu’apparus, que de rechercher la joie intellectuelle qui résulterait de la découverte de l’Hymne à l’universelle humanité , des brillants morceaux de Carmen, ou du jazz, voire de talentueux artistes de variétés, toutes choses dont on peut remarquer que, si l’on prend la peine de leur en préparer l’accès ce qui est difficile, les enfants deviennent ensuite demandeurs.

6/ Envahissement de l’université par les pseudo-sciences et pensée unique

Il faut noter que les pseudo-sciences de l’éducation portent jusqu’à leur paroxysme un trait fort répandu des discours non scientifiques. Même sans partager totalement sur ce point l’angélisme de Condorcet, on doit tout de même reconnaître aux sciences des procédures de promotion à la responsabilité et la notoriété relativement fiables même si l’erreur est toujours possible. Tout le monde peut citer des réputations surfaites et d’autres tardant à être reconnues. Malgré tout, la rigueur inhérente à toute science, les longs parcours qui conduisent à sa maîtrise, la nécessaire culture périphérique et générale qu’elle exige, apportent un minimum de garanties[15]. Mais quand tout est affaire de discours il n’en est plus de même : en l’absence de tout procès logique, de tout critérium de vérité, le brio, la tactique, les relations tissées quand ce n’est pas la pure esbroufe langagière servent de discriminant[16]. Quand il s’agit, comme pour les pseudo-sciences de l’éducation de discours qui se veulent la théorie de pratiques empiriques qui ont leur intérêt, la référence surabondante à ce qui est désigné par le terme d’expériences, qui ne sont en fait que la mise en œuvre dans un cadre déterminé d’assertions idéologiques, sert d’argument fermant la discussion[17]. De même si l’on nie tout caractère scientifique à la psychanalyse[18], se voit-on opposer d’éventuels (?) succès thérapeutiques dont on sera bien incapable d’un point de vue scientifique de démontrer qu’ils découlent logiquement de la théorie. Par contre, sera refusée toute discussion avec les spécialistes des disciplines au cœur desquelles on cherche à autonomiser la pseudo-science. A la confrontation, qu’elle soit théorique ou au plan de la pratique, sera substitué au pire l’anathème, au mieux la condescendance qu’on doit à de vieilles idées incapables de céder la place à la modernité[19]. De même que Mafféosoli encombre l’université de pseudo-sociologues, de même les pseudo-sciences de l’éducation ont ouvert des boulevards à des enseignants qui ont su saisir cette opportunité et atteindre parfois les plus hautes responsabilités[20]. La tactique a consisté à récuser au nom de la nouveauté de la discipline, tous les critères existant jusqu’à ce que la dite discipline se voit sous la pression politique accorder la place qu’elle demandait, place ratifiée par la démission des universitaires ou leur sous-estimation totale du problème. Il faut aussi prendre en compte les pressions morales exercées : ne pas accepter les oukases des pédagogues, c’était la certitude d’être accusé de vouloir défendre l’immobilité de l’ordre social – la pédagogie se présentait souvent comme progressiste, ce qui vous a un léger parfum de science … prolétarienne – tandis que la monopolisation par leurs soins des recrutements en I.U.F.M. aboutissait à l’imposition d’une pensée unique. Il arrive qu’on n’échappe pas à la pensée unique en sciences, mais dans les pseudo-sciences c’est une condition de survie par le barrage que cette pratique oppose à l’intervention de la vérité scientifique. Des compétences disciplinaires limitées ont trouvé dans la pédagogie l’emballage qui flattait le médiocre contenu de leurs interventions.

7/ Un effet pervers de la démocratisation à moindre coût

L’essor des pseudo-sciences de l’éducation est venu de la démocratisation à marche forcée. Certes, il n’y avait pas d’autre choix, pour résoudre les problèmes urgents que posait la démocratisation, que de s’appuyer sur les compétences pédagogiques et le dévouement d’instituteurs confirmés pour, par promotion interne, leur permettre d’accéder, aux responsabilités nouvelles d’enseignants de collèges. Mais ceci exigeait , comme ils le demandaient, de ne pas faire l’impasse sur la formation théorique et disciplinaire indispensable qui aurait dû être l’essentiel de la formation continue qui leur était proposée. Mais ceci avait un coût. Il était beaucoup moins onéreux de leur dispenser une formation sommaire, de faire appel à leur dévouement et à leur expérience des relations avec les élèves.

Nommés sans préparation suffisante dans les collèges, ils rencontraient, inévitablement, des difficultés. A ce moment, tels Zorro, surgirent les pédagogues : peu portés à l’approfondissement de la connaissance disciplinaire et fuyant donc la véritable cause, ils ont trompés leur auditoire en réduisant ces difficultés à des problèmes techniques : ils ont substitué à la formation théorique, d’où doit découler l’enseignement adapté aux élèves, un ensemble de recettes qui, d’ailleurs, comme toutes les recettes empiriques, ont peu d’efficacité sorties du contexte qui les a vues naître. La dévalorisation de la formation théorique, voire, dans certains cas, la médiocrité scientifique des formateurs étaient présentées comme résultant de leur volonté d’être accessibles[21] . En désignant le comportement de leurs collègues caractérisé par la rigueur et la volonté de transmettre un corpus solide de connaissances, nécessairement difficiles à acquérir, comme élitiste (au mieux) voire prétentieux et arrogant, ils se sont a contrario présentés comme des enseignants ne se poussant pas du col, soucieux des problèmes, des souhaits et des intérêts des stagiaires qu’ils ont su convaincre, et ont ainsi conquis aux pseudo-sciences de l’éducation le public de masse qu’elles cherchaient depuis toujours. Ce public s’est vu accru encore des nombreux parents d’élèves à qui on les présentait comme la panacée susceptible de résoudre les problèmes qu’eux-mêmes et leurs enfants rencontraient. De là est né le développement et l’audience des pseudo-sciences de l’éducation.

  1. Je remercie Paul Béthoux et Georges Jobert pour des discussions et remarques pertinentes dont j’ai tenu le plus grand compte sans qu’ils puissent être rendus responsables d’aucun propos de cet article. Mes remerciements vont également à mon épouse dont j’ai mis à contribution l’expérience de professeur d’espagnol et qui a eu la patience de relire les différentes étapes du manuscrit, enfin à tous ceux que j’ai consultés et qui m’ont encouragé à rédiger cet article.
  2. Dans ce texte, le terme de pédagogue, auquel il aurait peut-être fallu préférer celui de didacticien, ne désigne pas ces générations d’instituteurs et de professeurs qui ont fait et font de la pédagogie sans le savoir, se contentant d’être simplement d’excellents enseignants, ni les maîtres qui les ont formés, mais ceux qui ont abusivement confisqué la pédagogie et l’on annexée aux pseudo-sciences de l’éducation.
  3. Le point caricatural extrême de cette démarche est atteint par Mafféosoli, Moscovici et leur thésitive Elisabeth Teissier que F. Mitterrand prit comme extra-lucide attitrée. La comparaison avec l’U.R.S.S. de L. Brejnev est intéressante. Quand ce dernier convoqua le doyen de l’Université Lomonossov pour lui enjoindre de conférer le titre de Docteur à sa diseuse de bonne aventure personnelle, il s’entendit répondre : « Nommez la à l’Académie des Sciences puisque c’est dans vos attributions, mais pour le titre de docteur, c’est l’Université qui décide. » L. Brejnev recula.
  4. Les tentatives de remplacer l’appréciation de la qualité des travaux scientifiques par des indices « quantitatifs », nombre des publications, nombre de leurs pages etc…ont été une aubaine pour les adeptes de ces nouvelles pseudo-disciplines multipliant les articles comme des petits pains.
  5. Par exemple l’étude sur une classe de telle ou telle pratique n’entraîne logiquementrien pour une autre classe voire la même à un autre moment ou pour une autre discipline. Il est vrai que les pédagogues, qui sont extrêmement intelligents, ont produit le sous-concept de Didactique de la discipline.
  6. Si j’en crois le numéro 261 (mars 2004) de la revue de l’AFIS : les sciences de l’éducation partagent cette caractéristique avec la psychanalyse.
  7. On notera que si l’alphabet et l’alphabet phonétique sont finis, l’ensemble des phrases est lui infini ! Curieux discours pédagogique que celui qui entraîne l’enfant dans le maquis infini des phrases sans lui avoir donné les bases alphabétiques en nombre fini.
  8. Régis Debray : L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, édition Odile Jacob, 2002, p. 29.
  9. Il est vrai que la complaisance à l’égard de l’astrologie n’est pas chose tout à fait nouvelle. U est (cf. le site education.gouv.fr) « un groupement d’établissements publics locaux d’enseignement qui fédèrent leurs ressources humaines et matérielles pour organiser des actions de formation continue pour adultes ». Le GRETA Rhône Sud-Ouest annonça l’organisation au lycée d’Oullins (Rhône) à partir du 17 mars 1983, d’un stage de 39 h. sur 13 semaines, facturé 1 450 F. intitulé Le symbolisme astrologique, destiné à tous publics, dont l’objectif était d’« apprendre à bien connaître le symbolisme ainsi que le procédé de calcul permettant de “monter” le thème astral. Renseignements et inscriptions auprès des conseillers en formation continue du lycée d’Oullins». Mes collègues de l’Observatoire de Lyon alertèrent le recteur qui leur fit répondre qu’on serait plus vigilants à l’avenir. Certains n’hésitèrent pas à défendre une telle initiative au nom des possibilités d’emploi qu’elle était censée offrir.
  10. Et non sans raisons : la formation (sic) des mathématiciens à l’I.U.F.M. de Grenoble passait, il y a quelques années, par l’apprentissage de la préparation des crêpes ce qui était tout à fait compatible avec cette directive donnée aux élèves dans un I.U.F.M. : « vous êtes là pour faire de l’animation de groupes et non pour transmettre des connaissances». Comme le dit le rapport du Comité national d’évaluation 2001, cité par Régis Debray (op. cit. p. 51) « la culture est le parent pauvre des IUFM », « plus portés [qu’ils sont] commente-t-il, vers l’usage de documents que vers les problématiques », documents analysés sans problématique, si l’on comprend bien !
  11. Sur la distinction remontant à Condorcet entre instruction publique, à la charge de l’État, et éducation, qui ne saurait être publique sans attenter à la liberté d’opinion, on se reportera à ma conférence au colloque sur la laïcité organisé au Collège de France les 19 et 20 mars 2004, à paraître dans Raison présente.
  12. D’où la haine de nombre de pédagogues pour le cours magistral et le rôle exorbitant attribué aux exercices.
  13. Exercice pour le lecteur : prendre n’importe quel programme raisonnable d’une année de licence et le saucissonner en 60 tranches. Remarque: les derniers programmes nationaux publiés par le ministre C. Fouchet étaient des programmes annuels d’une quinzaine de lignes, qui fixaient clairement les contenus et les objectifs, et garantissaient ainsi à tout enseignant la liberté d’exécution sans laquelle il n’est pas d’enseignement vivant. Les nouvelles dispositions ruinent toute autonomie pédagogique tant il est vrai que la seule chose qui compte pour les pédagogues est de faire triompher coûte que coûte leur point de vue, ce à quoi ils ne seraient probablement pas arrivés sans l’aide des politiques ce qui mesure l’énorme responsabilité de ces derniers.
  14. Un autre thème des pédagogues est la nécessaire ouverture sur la vie qui faisait que, dans la banlieue où j’habitais il y a 30 ans, les enfants de l’école primaire de mes filles étaient emmenés visiter les supermarchés. Si pour mes filles c’était une nouveauté, pour les enfants d’immigrés qui y accompagnaient leurs parents tous les samedis car ils étaient les seuls à savoir écrire et donc pouvoir remplir les chèques, on peut douter de la connaissance nouvelle acquise et du contenu de l’ouverture au monde.
  15. La situation s’est, il est vrai, gravement dégradée à partir du moment où sous la pression du modèle américain on a vanté, pour l’opposer au modèle français, le spécialiste, étroitement formé, de micro disciplines. Déjà dans sa thèse sur les Contes de Perrault (TEL Gallimard 1977), Marc Soriano montrait les erreurs auxquelles conduisait la volonté (idéologique) de les étudier en soi en ignorant tout du contexte historique et folklorique comme de l’auteur. Que des disciplines à faible assise puissent être plus facilement condamnées par le développement de la connaissance, explique la rage avec laquelle leurs spécialistes ont manié l’hyperbole pour les défendre.
  16. Sur ce point se reporter au livre de A.Sokal et J.Bricmont Impostures intellectuelles, Odile Jacob,1997.
  17. On s’en voudrait de ne pas rappeler qu’ une véritable expérience sur la comparaison entre les méthodes d’apprentissage de la lecture, méthode globale et ses variantes d’une part, et méthode du b a ba d’autre part, ou simplement de leurs résultats, est sans appel pour la méthode globale. Les spécialistes des sciences de l’éducation se protègent en refusant en général toute expérience qui ne rentre pas dans leur champ idéologique : ainsi il y a quelques années, au tout début des pratiques de morcellement de l’enseignement, quelques collègues dont j’étais se virent-ils refuser de faire dans une section de Math-Physique en première année de Faculté, l’expérience audacieuse suivante : organiser l’enseignement autour de cours magistraux annuels, complétés par des travaux dirigés, et portant sur les grandes disciplines du programme, avec proposition in fine de comparer les résultats des étudiants par la correction en aveugle des copies d’examen et de recenser leurs opinions.
  18. Sur ces questions voir le livre de Michel Jouvet : Le sommeil et le rêve, Odile Jacob, 1998.
  19. On trouvera dans le livre de Sokal et Bricmont (op.cit.), de nombreux exemples tirés de Lacan : toute discussion est par avance interdite, le discours étant en fait un délire sur des termes mathématiques, s’appuyant sur le fait bien connu que les mathématiciens ont toujours choisi pour désigner les concepts qu’ils produisent, des termes très simples tirés de la langue courante. Je découvris par hasard, en essayant de percer l’hermétisme de tels “textes” par leur lecture à haute voix à très grande vitesse, que certains atteignaient alors une réelle qualité poétique évoquant l’écriture automatique.
  20. Il est bien évident qu’il y a également dans les I.U.F.M. des enseignants qui ne sont pas visés par cette critique et à qui l’on doit que, malgré tout, la formation grevée de phraséologie idéologique ne s’y réduise pas totalement.
  21. C’est ainsi, par exemple, qu’on a substitué à l’enseignement culturel des langues vivantes et à la pratique qu’on lui subordonnait, la notion de bain linguistique qui permettra éventuellement demain de remplacer les enseignants de langues par des personnels n’ayant pour seule qualification que la pratique de leur langue maternelle. On fera ainsi disparaître, au moment où se fait jour une demande croissante tant nationale qu’européenne de connaissance des autres peuples et nations, la partie de l’enseignement où l’on découvrait les autres cultures et, par là même, on s’ouvrait à leur compréhension. Et ceci au profit d’une langue indigente ne permettant plus que des contacts sommaires, dont l’anglo-américain des aéroports est un bel exemple. Il faut encore ajouter que l’on s’est rendu compte que le développement des exportations nécessitait de connaître en profondeur la vie du pays importateur , bien au delà de la sphère économique, et en particulier sa vie sociale et culturelle. Il est piquant de constater que c’est dans les mêmes cénacles, jamais en retard d’une idée fausse, qu’au nom des patois érigés en langues régionales, a été et est encore voué aux gémonies, la volonté de la IIIème République d’immerger tous les enfants dans le bain linguistique du français, ce pourquoi d’ailleurs leurs parents les envoyaient à l’école.

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