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Bruno Perrin

Administrateur de l’UR

Les Cahiers Rationalistes
n°671

Cahier Rationaliste N° 671 Mars-avril 2021

Covid et vaccination : redonner du sens aux chiffres

Au XVIIIe siècle, la variole faisait régulièrement en France 50 à 80 milliers de morts par an pour 24 millions d’habitants. C’est l’équivalent dans la France actuelle de 150 000 à 200 000 morts par an et donc un peu plus que les décès actuellement liés à la Covid. L’inoculation de cellules malades, ancêtre de la vaccination, représentait un risque important (environ 1 mort pour 1200 inoculations selon Diderot) mais elle fut acceptée par les paysans comme par les familles royales et défendue par les philosophes des Lumières, face aux réticences religieuses et conservatrices. Les paysans avaient besoin des bras de leurs enfants quand ils vieillissaient, et les rois de descendants pour stabiliser leur pouvoir. À la suite d’une longue période de vaccination partout dans le monde, la variole fut enrayée, puis totalement éradiquée et l’OMS déclara sa complète disparition en 1980.

UNE COLLABORATION MONDIALE, L’ACCEPTATION DE PLUS DE RISQUES, LES FREINS ADMINISTRATIFS

 Aujourd’hui, grâce à une science dite ouverte[1], les chercheurs et le corps médical avancent une parade à l’épidémie : la vaccination. Mis au jour dans des temps records : au moins 7 vaccins sont prêts et plus de 200 sont en cours de développement. La mise au point de ceux à ARN messager étant l’aboutissement de dizaines d’années de recherches préalables. Compte tenu des variants et des incertitudes sur la durée de l’immunité acquise, à la suite de la maladie ou de la vaccination, une grande partie des vaccins, voire leur combinaison, sera utile.

La crise a autorisé un autre rapport au droit et au temps : elle a justifié des autorisations temporaires, la suspension de certaines des précautions prévues par les règlements européens : elle a entraîné – pour favoriser un partage rapide – moins de relectures des articles scientifiques et a fortement raccourci voire supprimé la phase 3 des tests, celle qui est la plus coûteuse. Certains pays, pressés de donner des gages à leur population ou voulant utiliser le vaccin comme outil diplomatique, ont en effet autorisé leur usage avant cette phase 3 ou en se reposant sur un échantillon de tests très réduit (vaccins Spoutnik, Kovivac, RBD Covishild, Epivac- moins de 3000 essais avant lancement). La crise a également favorisé des aides gouvernementales considérables sans toujours prendre le temps de négocier toutes les contreparties en matière de vaccination universelle et de partage de la propriété intellectuelle.

La mise en œuvre de cette stratégie de lutte a cependant été freinée par la conjonction de plusieurs facteurs : des pesanteurs administratives, la lenteur de l’arrivée des doses, des applications discutables du principe de précaution par les autorités médicales et politiques et, enfin, les réticences du public face au risque. Le risque est ressenti d’autant plus fortement que la vaccination est davantage imposée et dirigée que consentie. La méfiance historique est par ailleurs aggravée par un contexte de désinformation sur les réseaux sociaux et nombre de médias.

QUELLE MAÎTRISE DES ORDRES DE GRANDEUR ?

 Une des difficultés tient à la mauvaise compréhension des chiffres fournis à profusion. Ce problème est central pour expliquer les réactions de nos concitoyens et les tergiversations des gouvernements face à la politique de vaccination. Les statistiques exploitent des données résultant de faits observés. À partir de ces statistiques, des modèles de la situation sont construits sur la base d’hypothèses et permettent de formuler des probabilités pour les événements à venir. La question centrale du bénéfice-risque et leur appréhension est celle que nous voulons discuter ici.

Le « stop-and-go » des gouvernements sur certains vaccins ne fait pas sens quand il repose sur les risques d’effets secondaires portant sur un nombre de cas extrêmement petit. Rappelons que le communiqué de l’OMS en date du 7 avril 2021 indique que sur 200 millions d’individus ayant reçu le vaccin AstraZeneca, on recense une centaine de morts probablement liées à des effets secondaires de cette vaccination (5 à 10 en France).

Les ordres de grandeur nous fournissent une perspective éclairante : un mort sur quelques centaines de personnes atteintes par la Covid-19 contre un sur un million pour les effets secondaires du vaccin. Ces chiffres sont sans commune mesure. Il est désormais démontré (étude Oxford du 19 avril 2021) que les risques de thrombose sont 8 à 10 fois supérieurs après une infection à la Covid-19 qu’après une vaccination. Précisément, l’étude du groupe de neurobiologie d’Oxford indique 39 cas de thrombose cérébrale par million d’individus atteints de la Covid contre 4 cas par million pour le vaccins Pfizer et Moderna et 5 cas par million pour AstraZeneca. Notons également que les liens entre thromboses et longs voyages en avion ou thromboses et tabagie sont également bien plus importants et ne font pas l’objet d’autant de questionnements.

Sur les effets secondaires, l’appréciation du rapport bénéfice-risque se fait donc rationnellement en faveur de la vaccination. Il est beaucoup plus dangereux de ne pas se faire vacciner que de prendre le risque de développer une thrombose après un vaccin.

À la question du rapport bénéfice-risque s’ajoute celle pour les politiques et professionnels médicaux du risque judiciaire. N’est-il pas plus dangereux sur le plan pénal pour nos décideurs politiques ou médicaux de risquer, à cause du principe de précaution, de ne pas retirer un produit du marché fût-ce provisoirement plutôt que d’accepter quelques morts liés à des effets secondaires probablement liés à la vaccination. Mettre au placard ou retarder une vaccination, c’est laisser des centaines de milliers de personnes devenir malades et une petite part d’entre elles mourir. En suspendant un vaccin ou en retardant sa mise sur le marché de 10 jours, on retarde la vaccination d’environ un million de personnes et, ce faisant, on laisse 40 000 personnes attraper la maladie (taux d’incidence de 400 malades pour 100 000 personnes par jour dans la crise). Quarante mille malades, c’est probablement une centaine de morts alors que les contre-indications qui ont provoqué la suspension du vaccin ou en tout cas une moindre vaccination étaient faites pour éviter quelques morts. Mais pour les gouvernants et ceux qui prennent les décisions médicales, le risque juridique est de laisser une autorisation alors que des risques (minimes) ont été signalés et n’est pas de retarder une mise sur le marché (même si elle a des conséquences en matière de santé publique). Le risque étatique passe avant celui des administrés.

En outre, les vaccins inactivés classiques ont comme particularité d’être simples, robustes et 5 fois moins chers que les autres (qui sont comme nous l’avons vu aussi susceptibles de favoriser de façon infime certains effets secondaires). On ne peut se permettre actuellement de les rejeter, car la stratégie la plus efficace et la moins dangereuse pour faire chuter le taux de propagation de la maladie et limiter le nombre de variants en réduisant

le nombre de malades partout dans le monde, consiste à vacciner le plus grand nombre de personnes, le plus rapidement possible. Il faut faire chuter le taux de propagation, le R. Un vaccin qui a 95 % d’efficacité divise pour la population qu’il couvre le R par 20 ; un vaccin qui a 75 % d’efficacité le divise par 4, ce qui est bien suffisant pour faire chuter la maladie et plus efficace que la vaccination grippale.

ET LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES ?

Malheureusement les chiffres sont sans appel. Les pays (d’Asie essentiellement) qui font passer le respect du collectif avant celui de l’individuel ont été – probablement parce qu’ils avaient vécu le SARS 3 il y a près de 20 ans, mais peut être aussi parce que leurs gouvernements ont pris très vite, dès le 20 janvier 2020, des mesures drastiques d’isolement des porteurs du virus, de restrictions des libertés de circuler et d’analyses obligatoires des cas contacts (près de 1000 tests par personne contaminée) – infiniment plus efficaces que ceux de l’Europe. Le mélange : respect du collectif, discipline et conscience du danger a été payant. Nos démocraties européennes ne pouvaient alors certainement pas accepter de mettre, loin de leurs familles, en isolement total, dans un hébergement non choisi, ces porteurs dont certains étaient sains. Nos sociétés ne sont pas comme la Corée qui a adopté dès 2015 une loi en ce sens : limiter la liberté d’un tout petit pourcentage de la population pour sauvegarder cette liberté pour l’essentiel de la population.

On sait que les Français sont parmi les peuples les plus réfractaires à faire appliquer la vaccination à leurs enfants. On sait aussi que certains seront réticents à télécharger et montrer leur application « Tous anti Covid » ou leur certificat vaccinal quand ce sera possible pour eux et ceci pour retourner au restaurant (lieu clos sans masque). Ce sont les mêmes qui ne souhaitaient pas non plus porter de ceinture de sécurité quand elles ont été imposées. Le droit doit prendre en compte cette situation de crise et sa gravité et s’adapter afin de servir aussi bien l’intérêt individuel que collectif.

À en croire tous les modèles épidémiologiques, le risque est grand, si l’on ne parvient pas à vacciner rapidement une très large fraction de la population. Nous diriger, sur toute la planète, vers l’immunité collective est en effet la seule façon d’endiguer l’épidémie et de sortir de cette crise qui nous « assigne à résidence » et nous prive, de fait, de certaines de nos libertés individuelles. Les farouches défenseurs des libertés, réticents à se faire vacciner ont certes le droit d’interpeller le gouvernement, mais qu’ils n’oublient pas que leur liberté peut à terme empêcher celle des autres.

Une plus grande transparence et une communication bien étayée, alliées à une gestion politique moins verticale et plus partagée, augmenteront assurément la confiance des citoyens. La réflexion rationnelle fondée entre autres sur le sens des chiffres reste nécessaire en dépit des affirmations répétées du « quoi qu’il en coûte ».

1 Voir Robert Barouki, « Science ouverte au temps du Corona ou le dilemme du Docteur Zhang », Les Cahiers Rationalistes, numéro 670, janvier-février 2021.

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2 réflexions sur “Covid et vaccination : redonner du sens aux chiffres”

  1. Je me suis fait vacciner contre le virus du “covid 19” (Astra Zeneca) sans devoir subir un quelconque effet négatif. Malgré qu’ayant une formation technique (ingénieur), j’ai une compréhension du fonctionnement des vaccinations et il me paraît évident que le rapport “coût (ou risque) / bénéfice ” qu’ils offrent justifie très largement un recours à leur usage!

    Un certain nombre de connaissances prétendent que ces vaccins contiendraient des “microchips” permettant un contrôle sur nos personnes. Ces affirmations sont de toute évidence aberrantes, car il n’existe à ce jour aucune technologie permettant la réalisation de tels dispositifs, et que leur interfacage avec notre système nerveux requiert si même il est possible le recours à des manipulations chirurgicales délicates. Cet argument n’est à mon sens utilisable que pour des personnes dépourvues de la plus élémentaire culture générale technique, avec lesquels une discussion est souvent difficile, et dont l’argumentation repose sur leurs convictions aveugles. “Niemand urteiult schärfer als der Ungebildete: er kennt weder Grunden noch Gegengrunden, und glaubt sich immer im recht”.

    Des services tels que les réseaux sociaux sont porteurs d’informations incontrôlées. parfois exactes, parfois totalement erronées. Le malheur est qu’elles ne sont soumises à aucune “peer review”a l’instar des publications scientifiques. Etablir une censure n’est bien sûr pas une solution acceptable, mais le problème de la divulgation d’informations fausse subsiste et peut s’avérer dangereux. Par exemple, sur “Youtube” sont publiés de nombreux documentaires sur l’intéressante théorie de la “tette plate”, mais j’y ai aussi trouvé une excellente explication des équations du champ d’Einstein qui requiert des notions de base du calcul tensoriel. Séparer le bon grain de l’ivraie est ici indispensable, mais tout le monde ne le peut pas, faute de bagage scientifique.

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