Cahier Rationaliste N°666-667 - Mai-août 2020
Diderot : laïque avec ou sans Dieu
Le principe même de la laïcité, par-delà ses expressions juridiques et politiques, pose une séparation nette de ce qui relève des croyances et convictions particulières et de ce qui, étant porteur d’objectivité et de rationalité, peut se prévaloir d’une validité universelle. Certes, même dans les sciences de la nature, aucune connaissance ne peut prétendre posséder une vérité absolue et définitive. Newton dépasse et relativise Galilée, Einstein dépasse et relativise Newton, et ceci dans un processus infini. Mais à l’intérieur de leurs systèmes de référence, Galilée comme Newton ont déconstruit définitivement les représentations antérieures. Leurs mouvements de pensée les dépassent de façon irréversible. Si les sciences au sens moderne ne cesseront jamais de se remettre en cohérences nouvelles, ce qu’elles dépassent ne reviendra jamais sous les formes antérieures. Et cette irréversibilité est liée à la portée universelle de toute avancée dans l’objectivité et la rationalité.
C’est en cela que le mouvement des sciences, en tant que celles-ci manifestent un effort de dépassement de toute croyance indémontrable particulière, nourrit l’esprit laïque. Raison pour laquelle sans doute, dans leurs phases archaïques, superstitieuses et autoritaires, les religions persécutent les scientifiques et philosophes et censurent leurs travaux. Et c’est l’une des dimensions les plus élevées de la philosophie des Lumières d’avoir diversement, de Galilée et Descartes jusqu’à Kant, fait émerger la laïcité, que les philosophes aient été déistes ou athées.
Dans l’histoire de cette construction de la laïcité au sens moderne, Diderot n’est certes ni le premier, ni celui qui a consacré explicitement le plus de pages à la question. Disons qu’il y occupe pourtant une place singulièrement intéressante en raison de l’évolution de ses convictions et de leurs expressions philosophiques, ayant été laïque aussi bien lorsqu’il était déiste qu’en se proclamant athée à partir de 1749.
LE MOMENT GALILÉE
Parmi tous les philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles, la plupart étaient déistes et chrétiens, quelques-uns athées, et pratiquement tous ont participé au même titre au développement d’une conception laïque de la connaissance et de la politique. On peut considérer que le moment fondateur de cette dimension essentielle de la philosophie des Lumières a été le second procès de Galilée en 1633. Les juges inquisiteurs et Galilée sont tout autant chrétiens, et avec une égale ferveur. Cependant les premiers subordonnent tout, y compris la connaissance et la raison humaine, à une certaine lecture de la Bible censée dicter toute vérité, tandis que le second établit un ensemble de connaissances sur le monde à partir de démonstrations rationnelles et expérimentales, donc valables pour tous, quelles que soient les croyances religieuses ou non. Tout l’édifice cartésien part de ce face-à- face, ainsi que Descartes l’explique lui-même dans sa correspondance(1), qui inaugure à l’aube de la science un rapport à Dieu d’un type nouveau : soit source de toute vérité dogmatique par la médiation de la lecture officielle du Livre sacré, soit créateur d’un monde « écrit en langue mathématique »(2) donc porteur de lois objectives éternelles que tout homme doit pouvoir lire à l’aide de l’expérience, de l’expérimentation et de la raison. Cet ordre du monde est donc le même pour tous, et cette raison est identique en tout être humain, comme de « premières semences de vérités » déposées dans l’esprit, expression de Galilée recopiée par Descartes. C’est pourquoi le Discours de la méthode s’ouvre avec cette fameuse affirmation que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », c’est-à-dire que tout homme, s’il raisonne avec méthode, manifeste une même capacité à « discerner le vrai du faux ». Déiste ou athée, catholique, protestant, juif ou musulman. C’est sous cette forme que la laïcité s’inaugure dans l’Europe des Lumières, des siècles après l’averroïsme, et s’épanouit ensuite sous des formes et selon des démarches aussi diverses que celles de Spinoza ou Kant, Rousseau ou Condorcet. À noter que ses initiateurs, Galilée et Descartes, posent tous deux, comme fondement de cette autonomie de la connaissance, l’existence d’un monde ordonné par un Dieu créateur et la présence en tout homme d’un esprit d’origine divine de nature spirituelle. C’est ainsi du cœur d’un déisme d’essence chrétienne que la science naissante est pensée comme indépendante de toute croyance religieuse.
LE FRUIT EST DANS LE VER
Ce qui singularise l’œuvre de Diderot, c’est le fait que ses œuvres de jeunesse sont celles d’un philosophe qui se réclame haut et fort du déisme, puis à partir de 1749 jusqu’à sa mort celles du même philosophe qui proclame tout aussi fortement son athéisme, tout en inscrivant dans les deux cas sa démarche dans une même laïcité. La fécondité de la laïcité philosophique trouve ainsi sa signification la plus universelle, donc propre à détruire tout contre-sens réducteur.
Il peut paraître paradoxal de voir une démarche laïque chez le jeune Diderot qui écrit en tête de ses Pensées philosophiques de 1746 : « J’écris de Dieu ». La lecture de ce livre montre que s’il prétend combattre l’athéisme et le matérialisme, il s’en prend tout autant à l’Église et ses superstitions religieuses. Mais après tout ce fut aussi le cas de Voltaire, qui dans les actes en vint même à se servir des autorités religieuses pour pourchasser quiconque était suspect de ne pas croire en Dieu, par exemple pour que l’on persécute Jean-Jacques Rousseau qui pourtant croyait en Dieu. Ce qui frappe dans ce livre du Diderot de 1746, c’est plutôt la façon qu’il a de fonder son déisme : il répète plusieurs fois que les « méditations sublimes » de Descartes ou de Malebranche ne pourront jamais ébranler l’athéisme, tandis que les démonstrations et expérimentations de Newton, Malpighi, Hartsoeker, Redi et bien d’autres parviennent à le réfuter radicalement. Il pense ici à la démonstration newtonienne d’un ordre mathématique de l’univers qu’on ne peut attribuer qu’à un Créateur, et surtout aux naturalistes qui depuis la fin du XVIIe siècle ont expérimentalement réfuté l’hypothèse d’une « génération spontanée » des petits êtres vivants (les vers, les mouches, etc.) que tout le monde, y compris les théologiens acceptait depuis le moyen-âge, mais qui comme chez Épicure rendaient concevable une genèse de la matière vivante à partir d’une fermentation de matière inerte, sans intervention divine. Or les conceptions pré-évolutionnistes qui se multipliaient depuis le milieu du XVIIe siècle(3), et plus encore au XVIIIe avec Benoît de Maillet, Charles Bonnet, Maupertuis, Jean-Baptiste Robinet etc., menaçaient de coupler cette génération spontanée originaire avec un processus qui conduirait jusqu’à l’homme. C’est pourquoi Redi et Malpighi apparaissent alors au jeune Diderot comme une démonstration déiste définitive(4).
En 1747, Diderot reprend diversement cette démarche déiste dans sa Promenade du sceptique et Les Bijoux indiscrets : il fait entièrement reposer sa croyance en Dieu sur ce que proposent alors les sciences, des raisonnements, des calculs, des expérimentations, et dénonce violemment tout autre façon d’argumenter en faveur de la croyance en Dieu. Dans De la suffisance de la religion naturelle, qu’il écrit en 1746 (publié en 1770), il explicite son point de vue : au-dessus de la foi chrétienne, il place sa « religion naturelle », parce qu’elle traite les hommes en « êtres raisonnables, puisqu’elle ne leur propose rien à croire qui soit au-dessus de leur raison, et qui n’y soit conforme » (§10). Et il y a là un paradoxe : comment peut-on fonder une croyance qui est toujours intime et subjective et qui par définition est caractérisée par un déficit de support objectif et rationnel, sur les résultats de démarches démonstratives et expérimentales par définition rationnelles et objectives ? Dans ses écrits de jeunesse, Diderot se proclame déiste, ce qui est une conviction particulière, au nom de facteurs de type scientifique, lesquels supposent la possibilité d’un assentiment universel. Par exemple, si la « génération spontanée » d’« animalcules » est prouvée expérimentalement comme on le pense depuis la publication en 1668 des Expériences sur la génération des insectes de Francesco Redi, cette preuve est valable pour le déiste comme pour l’athée. C’est sur ce terrain de la connaissance rationnelle et expérimentale que Diderot inscrit toute sa démarche, qui est celle de la laïcité. On peut admettre les conclusions de Redi que l’on croie au Ciel ou que l’on n’y croie pas. Et il faut croire déjà en Dieu pour y voir une preuve de son existence, ce qui est alors le cas de Diderot. Mais ce point de vue laïque ouvre le jeune philosophe sur tout le champ des possibles puisque, refusant toute affirmation dogmatique, tout système théorique fermé, il est attentif à tout ce que les sciences explorent, découvrent, déconstruisent d’illusions et d’erreurs alors dépassées.
Ce point de vue expérimental est en quelque sorte un loup dans la bergerie déiste. Le ver est dans le fruit, mais un fruit est dans ce ver. En ravageant ses conceptions déistes, il va permettre la construction, de mise en cohérence en mise en cohérence, d’une représentation du monde et du vivant d’une exceptionnelle richesse au milieu du XVIIIe siècle.
DONNER UN FONDEMENT LAÏC À LA LAÏCITÉ
En effet, si Galilée et Descartes ont joué un rôle décisif dans la genèse de la laïcité en déconstruisant les principes dogmatiques alors imposés et religieusement transmis, ils n’y sont parvenus qu’en fondant la science physique sur l’idée d’un ordre mathématique du monde et d’une Raison humaine d’essences divines, dans la droite lignée de Pythagore et de son Dieu géomètre. C’est ainsi que dans ses épisodes fondateurs, l’idée moderne de laïcité a reposé sur un ensemble de présupposés liés à une croyance de type religieux. Ce n’est pas sans raison que Newton lui-même n’a guère vécu comme une contradiction le fait de publier deux fois plus de textes théologiques et astrologiques que de textes proprement scientifiques. La plupart des intellectuels philosophes et scientifiques des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont contribué à l’essor de la pensée laïque ont articulé étroitement la connaissance scientifique et l’affirmation d’un ordre du monde créé par Dieu, cet ordre étant d’ailleurs souvent conçu comme une preuve irréfutable de son existence. Pourquoi alors séparer la pensée rationnelle et les croyances religieuses, si la première contient déjà la seconde ?
C’est de toute évidence la claire conscience de cette contradiction qui conduit la démarche de Diderot dans l’écriture de sa Lettre sur les aveugles de 1749 et dans toute la suite de son œuvre. Il s’agit pour lui d’établir que l’ordre actuel du monde est le produit d’une évolution à partir d’un chaos primitif, et alors de poser le caractère infini de l’ancienneté temporelle de l’univers, alors censé avoir été créé par Dieu le 23 octobre 4004 avant Jésus- Christ à neuf heures du matin, selon le calcul de James Ussher (en 1600). Ces deux thèses sont solidaires et décisives : l’ordre actuel de l’univers et la régularité de certaines constantes mathématiques dans l’observation des phénomènes donne toute sa force à l’idée que ce ne peut être le fruit du hasard, donc que seul un Créateur a pu en être l’origine. Pour dépasser cet argument de façon crédible, il faut établir la possibilité qu’avec un temps quasiment infini la matière renferme la possibilité de produire un tel ordre, et même une probabilité si ce que l’on connaît des processus naturels permet de le concevoir de façon cohérente. Sans cela, la laïcité demeure impossible ou du moins très limitée : la science que l’on tente de séparer des croyances religieuses reposerait elle-même sur cette croyance. C’est tout le sens du fameux discours de Saunderson au cœur de la Lettre sur les aveugles.
Ce livre, étonnant par les intuitions qui en font voisiner le contenu avec les avancées scientifiques du siècle suivant, marque le tournant décisif de l’œuvre de Diderot. Il vient de relire Lucrèce et surtout il prend connaissance des travaux que John Tuberville Needham a conduits auprès de Buffon à Paris, et dont les Observations microscopiques ont été publiées en Anglais en 1745. Needham reprenant les expérimentations de Redi, observe que de petits êtres vivants semblent naître spontanément de matières en putréfaction. Or toute l’argumentation déiste de ses premiers textes s’appuyait sur l’impossibilité d’une telle « génération spontanée ». Dès lors qu’elle est possible dans des fioles en laboratoire, elle devient concevable à l’origine de tous les êtres vivants sur Terre. Et si Diderot parvient à construire une représentation du processus évolutif qui conduit de ces temps originaires à notre époque, alors il aura réussi à supprimer la nécessité d’un Dieu créateur comme condition de l’ordre actuel de l’univers.
Le spectacle de la nature et les lois mathématiques de Galilée et Newton plaident contre cette hypothèse. Mais ce spectacle et ses lois sont relatifs au monde tel que nous l’avons sous les yeux. La vision nous enferme dans cet état présent de la nature et nous rend aveugles sur ses possibles états antérieurs. L’aveugle, lui, ne peut être aveuglé par l’ordre visible de l’univers et se trouve donc plus disponible pour penser sa genèse passée. À son confesseur Holmes, qui tente de le convertir avant qu’il passe de vie à trépas, Saunderson lui lance : « Imaginez donc, si vous voulez, que l’ordre qui vous frappe a toujours subsisté ; mais laissez-moi croire qu’il n’en est rien ; et que si nous remontions à la naissance des choses et des temps, et que nous sentissions la matière se mouvoir et le chaos se débrouiller, nous rencontrerions une multitude d’êtres informes pour quelques êtres bien organisés ». Si, comme on le dit, la nature fait bien les choses, c’est parce qu’elle a jeté tous ses brouillons. « Toutes les combinaisons vicieuses de la matière ont disparu », ajoute le personnage de Saunderson, qui affirme que ce mouvement se poursuit et se poursuivra toujours. Le monde actuel est en effet « un composé sujet à des révolutions (…), un ordre momentané ». Il résumera ce processus plus tard, dans ses Éléments de physiologie qui resteront posthumes et inachevés : « le monde est la maison du plus fort ».
Tout l’édifice métaphysique qui reposait sur l’impossibilité de concilier l’ordre de la nature avec l’inexistence d’un Dieu créateur s’écroule, dès lors qu’on peut s’en passer en posant la capacité pour la matière de s’organiser par ses propres caractéristiques et engendrer y compris les êtres vivants. Un univers matériel de durée infinie, une fermentation à l’origine des premiers êtres vivants microscopiques, la production de tout ce qui est possible, la suppression nécessaire de ce qui n’est pas viable : l’ordre actuel de la nature peut être conçu comme né d’un chaos primitif et perpétuel, au sein d’un enchevêtrement de rapports de forces. Diderot, qui ouvrait ses Pensées philosophiques de 1746 avec un « J’écris de Dieu », va ouvrir tout autrement ses Pensées sur l’interprétation de la nature de 1754 : « C’est de la nature que je vais écrire ». Ce ne peut être un hasard : Diderot ne s’occupera plus de Dieu, ni pour en démontrer l’existence ni d’ailleurs pour la nier. Il a changé de monde : seule la connaissance de la nature le préoccupe désormais, et cette nature est la même pour celui qui croit au Ciel et celui qui n’y croit pas. Son esprit laïque n’a plus besoin de côtoyer la problématique religieuse, ni de la combattre en tant que croyance, même s’il ne cessera en revanche de combattre les intolérances et superstitions de l’Église de son temps. Il a donné un fondement laïc à la laïcité.
DANS LES TRACES DE SPINOZA
À partir de 1749 donc, Diderot ne va plus se soucier de savoir si ses références et ses collaborateurs sont ou non croyants en Dieu. Seul lui importe ce que chacun apporte d’universel, ce qui parle du monde en tant que monde et peut être ainsi partagé. Il va ainsi articuler ensemble, pour construire une conception rigoureusement matérialiste du monde, des idées, hypothèses, expérimentations, d’une pléiade de scientifiques et philosophes aux convictions extrêmement diverses. On y trouve des spiritualistes comme Maupertuis, Charles Bonnet ou Jean-Baptiste Robinet, et des athées comme La Mettrie, D’Holbach ou Helvétius, des physiciens, des « chimistes » comme Rouelle ou des vitalistes comme ceux de l’École de Montpellier. Placé au cœur de toute la vie intellectuelle par sa place de directeur de l’Encyclopédie, c’est avec une grande diversité de points de vue et de démarches qu’il doit compter et dialoguer, quels que soient ses accords ou désaccords avec les intéressés. On voit Diderot, de livre en livre (qu’il ne publie pas mais dont on se dispute les copies dans toute l’Europe) construire, déconstruire, remettre en cohérence ses conceptions philosophiques. La question de Dieu ne le préoccupe plus, il ne fait pas de son athéisme une sorte de religion, cela reste un vide où plus rien n’obstrue les possibilités intellectuelles, un espace de liberté et d’ouverture sur le réel.
Sur ce chemin singulier, il ne pouvait croiser que celui d’un illustre prédécesseur dont le nom à lui seul signifiait le scandale des scandales, au point de devenir une sorte d’insulte, et qu’on ne lisait donc pas mais caricaturait de façon outrancière comme le fit Pierre Bayle : Baruch Spinoza. Diderot ose lui consacrer deux articles distincts, qu’il rédige mais ne signe pas, dans l’Encyclopédie. Dans le court article « Spinoziste », il attribue à Spinoza sa propre philosophie, sans rapport avec l’œuvre de Spinoza, ce qui en dit long sur la profondeur de sa revendication. Dans le long article « Spinoza », il reprend ironiquement à son compte la caricature haineuse de Pierre Bayle et des autres adversaires de Spinoza durant plusieurs pages, mais conclut en affirmant qu’il reconnaît certes leur victoire sur Spinoza, à ceci près qu’il conteste que « la doctrine qu’ils ont réfutée soit dans son livre » (l’Éthique). Et, de fait, il reprend tout au long de son œuvre bien des thèses de ce philosophe maudit : critique des superstitions religieuses, critique du finalisme, critique de « libre arbitre », critique des notions de Bien et Mal conçues en soi, etc.
C’est justement sur ce terrain de la morale que Diderot va développer sa philosophie laïque avec le plus d’insistance, bien avant de rompre avec le déisme. Dès 1746, dans De la suffisance de la religion naturelle, il remarque que « la religion révélée ne nous a rien appris sur la morale » (§ 5), mais a plutôt multiplié les « extravagances et crimes ». Jusqu’à ses derniers écrits, il revient sur la question morale en la séparant et en l’opposant même aux prétentions morales de la religion. Il faut dire qu’en plus de ses conceptions proprement philosophiques et politiques, Diderot a vécu dans sa jeunesse une véritable persécution familiale liée au catholicisme. On trouve cette démarche aussi bien dans le Rêve de d’Alembert que dans le supplément au voyage de Bougainville, et aussi dans son petit texte de 1774, Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***, rarissime écrit qu’il a tenu à publier de son vivant. Il y oppose une vertu religieuse qui ne repose que sur la crainte de l’enfer, et qui est donc susceptible de sombrer dans l’immoralité si la foi cesse, à sa propre vertu d’athée qui n’a pas besoin de cette crainte pour éviter les actions mauvaises. En morale comme dans le domaine de la connaissance, la croyance religieuse n’a pas à interférer dans la pensée et les conduites humaines.
Comme il l’écrit le 11 juin 1749 à Voltaire qui ne le lui pardonnera jamais, « il est donc très important de ne pas prendre de la ciguë pour du persil, mais nullement de croire ou de ne pas croire en Dieu ».
Jean-Paul Jouary
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(1) Lettres à Mersenne de fin novembre 1633 et d’avril 1634, puis lettre au même Mersenne du 11 octobre 1638.
(2) Expression qui apparaît pour la première fois dans L’Essayeur de 1623.
(3) Avec par exemple Lucilio Vanini qui publie en 1616 ses Dialogues sur les secrets de la nature, qui lui vaudront d’être brûlé vif en 1619, ou Isaac la Peyrère et ses Pré-Adamites de 1655 qui se désavoua pour échapper au bûcher.
(4) Pour plus de détails sur cette question, je renvoie à mon Diderot, la vie sans Dieu (Livre de poche, 2013).
Merci à Jean-Paul Jouray pour cette publication. Il se trouve que j’ai toujours admirer votre démarche philosophique. Nous nous connaissons un peu, puisque nous étions “ensemble” à Rouen. Moi, je n’étais un docker engagé. Que de bons souvenir.