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Daniel Kunth

Astrophysicien à l’Institut d’astrophysique de Paris

26/12/2021

Dieu seul sait s'il existe

Le livre intitulé Dieu, la science, les preuves[1],  a récemment fait la Une du Figaro et du bruit dans Landernau en prétendant, en plus de 500 pages, apporter sans ambages des arguments sérieux permettant de croire en l’existence d’un créateur. Trois ans de travail avec plus de vingt scientifiques et de spécialistes de haut niveau : voici révélées les preuves modernes de l’existence de Dieu, selon l’éditeur de l’ouvrage Guy Trédaniel.

En tant qu’astrophysicien, je ne peux que m’élever vigoureusement contre cette offensive médiatique, relayée par Le Figaro, un organe de presse influent que convoitait Vincent Bolloré, à propos d’un livre dont les auteurs sont Michel-Yves Bolloré, frère de Vincent, fervent catholique et membre de l’Opus dei, et Olivier Bonnassies, diplômé de l’École polytechnique et de l’Institut Catholique de Paris. L’ouvrage se prévaut de la préface de R.W. Wilson, prix Nobel de physique en 1978, et de la caution d’une vingtaine de personnalités dont l’ancien ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche Luc Ferry.

Pour autant, les arguments développés caricaturent les récentes découvertes de la science, en particulier celles de la mécanique quantique, présentée comme offrant une vision spiritualiste du monde et permettant à chacun d’entre nous un libre arbitre en rupture avec la physique positiviste et déterministe du XIX siècle, ce que nul physicien ne soutient. Forts de ces constats, les auteurs soutiennent l’affirmation erronée que le Big Bang serait l’origine de l’Univers, ce qui est non seulement une conception profondément erronée, mais remis en question par tous les cosmologistes actuels. Le Big Bang est une théorie qui décrit l’évolution de l’Univers il y a 13,8 milliards d’années, alors dense et chaud, au cours d’une dilatation rapide de l’espace. Cette évolution, parfaitement décrite par la physique actuelle, ne préjuge en rien de l’existence d’un instant initial. Par ailleurs, la comparaison avec une explosion est également abusive.
Comme le souligne le physicien et épistémologiste Jean-Marc Levy Leblond[2], la faille épistémologique majeure est de convoquer la théorie quantique qui ruine ipso facto l’idée même d’une création ex-nihilo voulu par les auteurs. Par ailleurs il démontre sans concession que la faiblesse insigne de l’entreprise apologétique que constitue cet ouvrage est d’ordre à la fois historique, philosophique et religieux plus encore que scientifique. En effet selon les auteurs, la découverte du Big Bang rejoint l’idée que l’on se fait d’une création de l’Univers par Dieu. Il est vrai qu’en 1951 le pape Pie XII affirmait lors d’un discours devant l’Académie pontificale des sciences que « la vraie science (…), plus elle progresse et plus elle découvre Dieu » ! Et de préciser que la science a « réussi à se faire le témoin de ce “fiat lux” initial ». Mais il convient de rappeler avec force que l’abbé Georges Lemaitre, mathématicien, membre de l’Église catholique – et lui-même à l’origine de cette révolution scientifique majeure en cosmologie que fut l’hypothèse du Big Bang -, fut celui qui mit en garde Pie XII contre un concordisme alliant vérité révélée et vérité scientifique, préjudiciable pour la science comme pour la religion. Selon Lemaître, les deux domaines ne se croisent jamais et doivent être séparés : c’est la doctrine des « deux vérités », surnaturelle par les Écritures et naturelle par la raison scientifique.

La réaction des astrophysiciens ne s’est pas fait attendre comme le témoignent les mises au point de quatre d’entre eux dans l’hebdomadaire l’Express[3]. Pour eux, la religion et la science n’ont ni besoin de travailler ensemble, ni besoin de s’affronter. Il s’agit de champs différents, qui ne répondent pas aux mêmes questions. La théorie du Big Bang destinée à démontrer l’existence de Dieu ne gomme pas  de nombreuses incohérences : l’Univers aujourd’hui miraculeusement articulé disparaîtra dans quelques milliers de milliards d’années dans un désordre total ; cette théorie ne permet pas non plus de remonter à l’origine et enfin le principe anthropique qui s’étonne du réglage fin des paramètres de la physique ne fait pas l’unanimité parmi les physiciens, pas davantage que ne le font les théories des multivers selon lesquelles notre existence serait réconciliée avec  l’inconfortable notion de hasard. Rien de tout cela n’a valeur de preuve et l’astrophysicien Thibault Damour de noter que la science, elle, fournit des théories tentant de comprendre l’Univers, mais ne répond pas au pourquoi, et d’ajouter : c’est sans doute toute la beauté de la science que de laisser place aux mystères et inconnues qui ne nécessitent pas d’être comblées par une divine intervention, ni par un mariage arrangé.

Cette séparation entre science et religion est plus que jamais nécessaire, au moment où les partisans de l’intelligent design sont de retour.

     Daniel Kunth, astrophysicien, Institut d’astrophysique de Paris

[1] Dieu – La science Les preuves, Michel-Yves Bollore et Olivier Bonnassies, 2021, ed. Tredaniel la Maisnie

[2] À paraître dans Ciel &Espace, janvier 2022

[3] Article paru dans l’Express le 22 décembre 2021 « Big Bang, mort thermique…Non, ces découvertes ne sont pas des preuves de l’existence de Dieu ». https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/big-bang-mort-thermique-non-ces-decouvertes-ne-sont-pas-des-preuves-de-l-existence-de-dieu_2164571.html

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