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Michel Petit

Professeur honoraire à AgroParisTech

01/11/2004

Effet de serre et développement durable

A la suite d’un accord entre l’Union rationaliste et la municipalité d’Ivry, les Cahiers se sont engagés à publier les textes des conférences données au titre des Rencontres d’Ivry. On trouvera ci -dessous, le texte de la deuxième d’entre elles donnée par Michel Petit, le 26 avril 2004. 

L’épisode caniculaire qu’a connu la France en 2003 a contribué à sensibiliser l’opinion publique sur l’effet de serre créé par les activités humaines qui est devenu un sujet de préoccupation de plus en plus largement partagé. Ce phénomène constitue une des meilleures illustrations de la problématique générale du développement durable : l’utilisation massive des combustibles fossiles a conduit à une modification de la composition atmosphérique, la concentration de certains composants minoritaires ayant augmenté de 30 % en un siècle et demi. Ces composants ont la propriété de changer le climat de la planète et en particulier de le rendre globalement plus chaud. Une telle perturbation du climat mondial pourrait avoir des effets bénéfiques pour certains, mais des effets négatifs pour la majorité des habitants de la planète et surtout pour les plus défavorisés d’entre eux. L’amplitude de cette perturbation croîtrait progressivement et ce sont surtout les générations futures qui auraient à faire face à des évolutions lourdes de conséquences.
Devant un tel risque, une convention internationale a été mise au point à Rio en 1992, lors de la rencontre au sommet des chefs d’État. Elle a été ratifiée par un grand nombre de pays et la Convention des Parties se réunit annuellement pour tenter d’arriver à un accord international sur des mesures propres à maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et c’est dans ce contexte que se pose l’épineuse question de la ratification du protocole de Kyoto.

L’effet de serre

Un corps placé dans le vide spatial n’est en contact qu’avec les rarissimes molécules de l’atmosphère résiduelle et n’échange de l’énergie avec le reste du monde que par rayonnement. Les ingénieurs qui conçoivent et construisent des engins spatiaux savent parfaitement modéliser ce type d’échange d’énergie et maîtrisent la température de leurs satellites artificiels, en calculant à l’avance une répartition judicieuse des parties dorées qui renvoient le rayonnement solaire et des parties peintes en noir qui, au contraire, absorbent ce rayonnement. Une planète, comme notre Terre, est dans une situation analogue. Elle reçoit le rayonnement du soleil, en réfléchit une fraction vers l’espace (c’est ce qu’on appelle l’albédo) et absorbe le reste. Le soleil a une température de 6000° environ et rayonne essentiellement dans le visible. La Terre rayonne également de l’énergie et cela d’autant plus qu’elle est plus chaude. Sa température prend une valeur d’équilibre qui permet à ce rayonnement émis de compenser exactement l’énergie solaire absorbée. Comme cette température est celle que nous connaissons, le rayonnement est situé essentiellement dans l’infrarouge. L’énergie solaire incidente dépend du diamètre de la planète, de sa distance au soleil et du rayonnement émis par ce dernier qu’on sait surveiller grâce aux engins spatiaux et qui ne varie que très peu. L’énergie rayonnée vers l’espace croît avec la température de la planète, mais dépend également de la transparence de son atmosphère pour le rayonnement infrarouge qu’elle émet.

Un accroissement de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère d’une planète provoque une absorption supplémentaire du rayonnement sortant et seule une augmentation de la température de la planète permet de compenser cette diminution de l’énergie évacuée et de la ramener à la valeur convenable pour équilibrer l’énergie reçue du soleil. La Terre possède naturellement depuis bien longtemps du gaz carbonique dans son atmosphère et l’augmentation de température correspondante peut être considérée comme bénéfique, puisqu’elle a permis le développement de la vie sous la forme que nous connaissons. Si l’atmosphère de la Terre n’avait pas contenu de gaz carbonique, sa température aurait été inférieure d’une trentaine de degrés et les civilisations qui nous sont familières n’auraient jamais existé. Le comportement des planètes voisines nous fournit, s’il en était besoin, une confirmation de la justesse de cette analyse. On sait aujourd’hui, grâce à des mesures indirectes faites depuis notre Terre et grâce à des mesures faites in situ par des sondes spatiales, que l’atmosphère de Vénus contient beaucoup plus de gaz carbonique que celle de la Terre qui en contient elle-même plus que celle de Mars. On observe effectivement que Vénus est plus chaude que la Terre de plusieurs centaines de degrés et que Mars est au contraire plus froide d’une centaine de degrés. Ces différences seraient inexplicables si leurs atmosphères étaient identiques.
On a donné à ce phénomène de piégeage du rayonnement infrarouge le nom d’effet de serre, car les parois de verre des serres de jardinier ou d’horticulteur possèdent, comme les atmosphères planétaires, la propriété de laisser passer le rayonnement solaire visible et de bloquer partiellement le rayonnement infrarouge émis par les objets à température ambiante situés à l’intérieur de la serre. Cependant, cet effet n’est pas le seul responsable de la chaleur qui règne à l’intérieur des serres. Les parois de verre empêchent la circulation de l’air et donc les déperditions de chaleur par convection qui seraient d’autant plus importantes que le vent serait plus fort. Ce dernier effet de la serre est sans équivalent dans le vide spatial qui entoure une planète et n’intervient pas dans ce qu’on appelle ” l’effet de serre “. En contrepartie, l’effet d’une sphère de jardinier ne se limite pas à ” l’effet de serre “.
L’effet de serre est naturellement présent dans la nature et n’a rien de nocif en soi. Par contre, les hommes ne peuvent changer impunément la composition de l’atmosphère de leur planète, sans en modifier le climat. Dans la pratique, on désigne souvent cet effet de serre additionnel sous le vocable abrégé ” d’effet de serre “, alors qu’on devrait, en toute rigueur, parler d’effet de serre additionnel provoqué par les émissions liées aux activités humaines.
Le changement de la composition de l’atmosphère
Notre civilisation industrielle est fondée sur une large utilisation des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel et cette combustion provoque des émissions de gaz carbonique qui changent effectivement la concentration atmosphérique de façon appréciable. L’humanité brûle, de nos jours, 6,3 milliards de tonnes de carbone par an qui sont envoyés dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique CO2. On observe effectivement que la concentration atmosphérique du gaz carbonique croît de 0,5% par an, en moyenne, depuis 1958, date du début des mesures systématiques. Cet accroissement de concentration correspond à une augmentation de la quantité totale du carbone contenu dans le gaz carbonique présent dans l’atmosphère, de 3,2 à 3,3 milliards de tonnes par an. La quantité stockée dans l’atmosphère ne représente donc qu’environ la moitié des émissions. Le reste est stocké dans l’océan et dans la végétation directement et par l’intermédiaire du sol. Les échanges avec l’océan sont les plus lents et imposent leur inertie à l’ensemble du système : il faut des décennies avant que la concentration atmosphérique répercute les variations des émissions.
Le gaz carbonique n’est pas le seul gaz à effet de serre introduit dans l’atmosphère par les activités humaines. Un certain nombre d’autres gaz de structure moléculaire voisine absorbent, comme lui, certaines bandes du rayonnement infrarouge et provoquent un manque à rayonner. La vapeur d’eau est dans ce cas, mais l’eau, disponible en grande quantité sur la Terre, est une des composantes du système climatique lui-même. Les principaux des autres gaz à effet de serre dont la concentration dans l’atmosphère augmente par suite des activités humaines sont le méthane, l’oxyde nitreux et les hydrofluorocarbones.
Les variations observées du climat

À cause de l’accroissement de l’effet de serre dû au changement de la composition de l’atmosphère, on attend et on observe effectivement un réchauffement qui a été en moyenne de 0,6 °C depuis 1860. La décennie 1990-2000 a été la plus chaude jamais enregistrée, l’année 1998 étant elle-même plus chaude que toutes les années antérieures. Dans le même esprit, il faut essentiellement retenir de l’année 2003 qu’elle arrive en troisième position, en moyenne mondiale, même si ce sont les conséquences dramatiques de la canicule en France qui nous ont directement touchés. Cette canicule constitue néanmoins une préfiguration de ce qui se produira de plus en plus souvent et a contribué à sensibiliser l’opinion publique française aux conséquences concrètes d’un changement climatique. Le réchauffement n’est pas uniforme, les continents voient leur température augmenter plus que celle des océans, les nuits se réchauffent plus que les journées, ce qui correspond à une diminution de l’écart des températures diurnes et nocturnes.
Les observations vont donc dans le même sens que les prévisions théoriques. Il n’est pas évident qu’elles constituent pour autant une preuve irréfutable de la justesse de l’analyse théorique.

L’effet de serre induit est-il responsable des changements climatiques récents ?

Pour évaluer dans quelle mesure les observations statistiquement significatives peuvent être attribuées à l’effet de serre, il faut quantifier l’ampleur du changement climatique induit par l’effet de serre additionnel correspondant au changement de la composition de l’atmosphère. Les besoins de la météorologie ont conduit à développer des modèles numériques de la circulation atmosphérique qui peuvent être adaptés à la modélisation du climat, en présence d’une variation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La circulation océanique doit également être modélisée, le rôle de l’océan étant essentiel dans tous les phénomènes à long terme. La comparaison des résultats des modèles avec les observations, en particulier celles qui sont faites avec précision depuis 50 ans, montre un accord satisfaisant.
Les querelles d’experts sont un phénomène courant. En ce qui concerne l’effet de serre, une solution exemplaire a permis d’éviter l’obstacle majeur qu’elles constituent pour la sérénité du dialogue. Un organisme international, réalisant une expertise collective, le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), souvent cité sous son nom anglais de ” Intergovernmental Panel on Climate Change ” (IPCC) a été fondé conjointement par l’organisation météorologique mondiale (OMM) et le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). C’est un résultat remarquable que ses rapports soient considérés comme reflétant bien l’état des connaissances par la quasi-totalité des scientifiques compétents et par la totalité de ses États membres (environ 180) au nombre desquels figurent les États-Unis d’Amérique qui financent généreusement ses travaux. Le troisième rapport du GIEC, approuvé en 2001, considère comme probable que les changements climatiques observés récemment sont dus à l’effet de serre. Le deuxième rapport (1995) était plus prudent et se contentait de mentionner des études montrant l’existence d’une corrélation statistiquement significative entre les observations et les résultats des modèles. Le premier rapport (1990) se contentait de dire que les observations n’étaient pas en contradiction avec les modèles. Il devient donc de plus en plus certain que l’évolution constatée est attribuable à l’effet de serre. À condition de prendre en compte d’une part les variations des phénomènes naturels capables de jouer sur le bilan radiatif de la Terre, comme les éruptions volcaniques et les variations du rayonnement solaire, et d’autre part la modification de la composition de l’atmosphère qui régit l’effet de serre, on est capable de reproduire la température moyenne observée. La capacité des modèles numériques à reproduire les observations ne se limite pas à la température moyenne mondiale. Les variations géographiques observées sont en accord statistiquement significatif avec les prédictions des modèles qui prévoient un réchauffement plus grand des continents que des océans. La prédiction d’un réchauffement nocturne plus important que le réchauffement diurne est également confirmée par les observations. Il en va de même pour le comportement en fonction de l’altitude : le réchauffement diminue avec l’altitude pour se transformer en un refroidissement au niveau de la stratosphère, la région située vers 30 km d’altitude où se trouve la couche d’ozone. Toutes ces constations viennent étayer la conviction des scientifiques, relayée par le GIEC..
La question la plus importante n’est cependant pas de savoir si on observe actuellement un changement climatique attribuable à l’effet de serre provoqué par les activités humaines. Le véritable problème n’est pas le climat actuel, mais le climat dans quelques décennies, sous l’influence des émissions croissantes de l’humanité.

Les estimations de l’ampleur du changement climatique

L’amplitude des changements climatiques à venir dépend de la concentration future des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. On ne peut pas l’estimer, sans faire des hypothèses sur les émissions que les activités humaines provoqueront dans les prochaines décennies. Ces émissions dépendent d’un certain nombre de facteurs déterminants, tels que l’évolution démographique, le développement socio-économique et les progrès techniques, qui sont tous impossibles à deviner. Divers modèles numériques ont été développés par les chercheurs pour calculer, pour des émissions données, les changements du système climatique et en particulier l’augmentation de la température moyenne au sol et celle du niveau moyen de la mer qui résulte à la fois de la fonte des glaces de terre et de la dilatation d’une couche de surface de plus en plus épaisse. La puissance des ordinateurs disponibles limite la résolution géographique des modèles, ce qui oblige à traiter de manière approximative les phénomènes de petite échelle, comme le comportement de la vapeur d’eau qui joue un rôle essentiel. Il en résulte une incertitude sur l’ampleur du changement climatique provoqué par des émissions supposées. Additionnée à l’incertitude sur l’évolution des émissions humaines, elle conduit, entre 1990 et 2100, à une plage possible d’accroissement de la température de 1,4 à 5,8 °C et de l’élévation du niveau de la mer de 9 à 90 cm. Ces plages de variation correspondent à des hypothèses vraisemblables entre lesquelles il n’existe actuellement aucun moyen de choisir sur des bases rationnelles. On peut espérer que les imprécisions des modèles seront réduites dans un avenir raisonnable. Les incertitudes sur l’évolution possible des émissions à l’échelle d’un siècle resteront probablement pour longtemps encore difficiles à maîtriser. Ces valeurs moyennes ne suffisent pas à décrire la réalité. Elles présentent l’intérêt d’exprimer l’ampleur du phénomène par une valeur numérique unique représentative. Elles risquent par contre de donner l’idée fausse que l’élévation de température et l’élévation du niveau de la mer seront partout égales à leur valeur moyenne. Pour une élévation de 3,1°C en moyenne pour l’ensemble du globe, la plupart des océans ne se réchaufferont que de 2°C ou moins, mais que, par contre, le réchauffement des régions de haute latitude en Amérique et en Asie pourra atteindre 10°C. Ne considérer que la valeur moyenne du réchauffement peut conduire à sous-estimer le danger.
Le réchauffement s’accompagnera de plus d’un changement du régime des précipitations, les régions de haute latitude seront plus arrosées, tandis que le pourtour méditerranéen recevra au contraire moins de précipitations. Cette tendance est la même pour tous les modèles qui fournissent par contre des résultats divergents pour des régions de moyenne latitude, comme la France. Partout dans le monde on peut s’attendre à ce que les événements pluvieux soient plus intenses et plus fréquents, même lorsque la moyenne des précipitations décroît.

Les conséquences majeures des changements climatiques envisagés.

On peut distinguer cinq catégories de préoccupation qui surviennent pour des réchauffements de plus en plus importants. De faibles changements climatiques suffiront à engendrer des risques pour les systèmes écologiques uniques ou menacés. Les problèmes posés par des changements climatiques un peu plus importants concernent les risques liés aux événements météorologiques aléatoires dont l’ampleur nouvelle créera par surprise des dégâts imprévus. La canicule en France en 2003 en est une dramatique illustration. On verra ensuite s’étendre le nombre des régions gravement affectées par le réchauffement. Un changement climatique encore plus important commencera à avoir des conséquences négatives sur les agrégats à l’échelle mondiale des biens et des services. Enfin des réchauffements de plus de 5 à 6 degrés pourraient entraîner des discontinuités majeures, comme l’arrêt du Gulf Stream ou encore la fonte de la calotte du Groenland qui se traduirait par une augmentation du niveau de la mer de plus de 5 mètres.
Plus spécifiquement, on s’attend à un accroissement de la vapeur d’eau, de l’évaporation et des précipitations de plusieurs %, avec une fréquence et une intensité accrue des épisodes pluvieux intenses. Régionalement, on observera aussi bien des accroissements que des diminutions des précipitations et il en résultera des variations du débit des cours d’eau et de la recharge des nappes souterraines, variables d’une région à l’autre. La plupart des modèles simulent un accroissement de l’eau disponible en surface aux hautes latitudes et en Asie du sud-est et une diminution en Asie centrale, en Afrique du sud, en Australie et dans le bassin méditerranéen. Pour d’autres régions, comme les moyennes latitudes, les modèles fournissent des résultats divergents à cause de la compétition entre deux processus : l’accroissement de l’évaporation lié au réchauffement et l’accroissement des précipitations.
Les récoltes agricoles seront affectées par l’effet de serre et ses conséquences d’une manière qui dépend d’une multitude de facteurs : actions sur les diverses plantes, mais aussi éventuellement sur leurs parasites et maladies, de la concentration en CO2 qui accroît la photosynthèse, de la température de l’air, du stress hydrique, de la qualité nutritive du sol en matières minérales, de la qualité de l’air, sans oublier les mesures d’adaptation qui pourront être prises. Les modèles dont la crédibilité reste sujette à débats simulent que globalement, un changement climatique, correspondant à un petit nombre de degrés d’augmentation de la température moyenne, devrait se traduire, aux latitudes moyennes par un accroissement des récoltes, tandis qu’un changement climatique plus important se traduirait par une diminution. Aux basses latitudes, même un faible changement climatique devrait conduire à une diminution des récoltes.
Les écosystèmes seront perturbés par le réchauffement climatique et on s’attend à des modifications profondes, plus qu’à des déplacements géographiques d’ensemble. Certaines espèces menacées risquent de disparaître ou de devenir très rares. Des mesures coûteuses d’adaptation sont envisageables : constitution de parcs et de réserves, aménagements de couloirs de migration.
Les océans font partie du système climatique. L’augmentation du niveau moyen de la mer aura évidemment des conséquences dramatiques pour les petites îles et les deltas. L’augmentation de la température de surface, les changements dans les glaces de mer et dans la salinité, les modifications des vagues et de la circulation générale affecteront les écosystèmes marins, les populations de poissons et les activités de pêche. De nombreuses régions côtières seront soumises à des inondations plus importantes liées aux tempêtes, à une accélération de l’érosion, à une perte de zones humides et à des intrusions d’eau salée dans les sources d’eau douce. Les régions de haute latitude auront à subir de surcroît une énergie accrue des vagues et la fonte du pergélisol.
Le changement climatique affectera également d’autres secteurs. La variation des vagues de chaleur et de froid aura un impact direct sur la santé des populations, comme l’ont montré les dramatiques conséquences en France de la canicule de 2003. On s’attend également à des effets indirects comme le déplacement de l’habitat de certains parasites, vecteurs de maladies contagieuses. Certaines activités industrielles, les besoins en énergie, le secteur de l’assurance seront également touchés.

La maîtrise du changement climatique

Indépendamment des mesures que l’homme pourra prendre pour s’accommoder du changement climatique, il convient de s’interroger sur la possibilité de maîtriser le réchauffement climatique d’origine humaine et pour cela de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Le gaz carbonique est le plus important d’entre eux, tant à cause de sa contribution majeure au réchauffement qu’à cause de sa grande durée de vie dans l’atmosphère terrestre. La question des constantes de temps constitue d’ailleurs une dimension essentielle de la problématique de ce qu’on appelle la mitigation. Si on stabilisait la quantité des émissions annuelles, il faudrait plusieurs décennies avant que la concentration dans l’atmosphère cesse de croître de façon importante. Si on stabilisait la concentration, il faudrait plusieurs décennies avant que la température cesse de croître rapidement. Enfin, l’élévation du niveau de la mer qui est due, non seulement à la dilation thermique, mais aussi à la fonte des glaciers et des calottes polaires, se poursuivrait au même rythme pendant plusieurs siècles. Les actions qu’on peut mener dans ce domaine n’auront donc d’effet bénéfique qu’au bout de décennies, voire de siècles.
Les émissions de gaz carbonique sont liées essentiellement à la production d’énergie qui est fondée à 80% sur les combustibles fossiles ; charbon, pétrole, gaz. L’énergie consommée mondialement a cru en moyenne de 1,3 % par an entre 1990 et 1998 ; celle des pays développés a cru de 1,6 % et celle des pays en développement de 2,3 % à 5,5 %, tandis les pays à économie en voie de transition voyaient leur consommation diminuer de 4,7 % par an, à cause de leur récession économique. En 1998, les pays développés étaient responsables de plus de la moitié des émissions de CO2 liées à la production d’énergie, les pays à économie en transition de 13 %, les pays de la région Asie-Pacifique de 22 % (avec une croissance annuelle de 4,9 % par an depuis 1990) et les autres pays en développement de moins de 10 % (avec une croissance de 4,3 % par an depuis 1990). Si on extrapole ces données, on voit que dès 2030, la région Asie Pacifique sera devenue le principal contributeur par suite de son développement rapide, sur le modèle des sociétés occidentales.

Les économies d’énergie

Il existe deux grandes voies à explorer pour réduire nos émissions de gaz carbonique. La première consiste à réduire la consommation énergétique qui, mondialement, est consacrée pour 42 % à l’industrie, pour 31 % aux bâtiments résidentiels et commerciaux, pour 22 % au transport et pour 5 % au reste dont l’agriculture représente l’essentiel. Leur taux de croissance annuel moyen sur la période 1990-1995 a été respectivement de 0,6 % pour l’industrie, 1 % pour les bâtiments, 2,4 % pour les transports et 0,6 % pour le reste, le taux de croissance global étant de 1%. Si ces taux se maintiennent, il faudra moins de 25 ans pour que le transport dépasse les bâtiments et 35 ans pour qu’il dépasse l’industrie. Ces trois secteurs méritent donc une égale attention.


Le secteur industriel
Si le secteur industriel est celui qui consomme le plus d’énergie, il est également celui qui croît le moins vite. C’est le seul secteur à avoir vu ses émissions diminuer dans les pays de l’OCDE entre 1990 et 1995 (de 0,8% par an). Les pays en transition économique ont bien connu au cours de cette même période une décroissance beaucoup plus forte de l’ordre de 6,4% par an, mais cela correspond à la chute brutale de leur production industrielle ; on ne peut donc pas considérer qu’il s’agisse d’un succès.
L’amélioration de l’efficacité des processus industriels est la méthode la plus prometteuse pour réduire les émissions. Pour cela, il faut faire appel à des centaines de technologies spécifiques, existantes ou à développer. La plupart de ces mesures pourraient rapporter des bénéfices et on peut donc dire que leur coût serait négatif. L’absence de motivation pour les mettre en œuvre spontanément est à craindre dans les domaines où l’énergie ne représente qu’une faible part du prix de revient.


Le secteur des bâtiments
La dépense d’énergie dans les bâtiments a augmenté plus rapidement que la demande totale de 1970 à 1995. L’énergie dépensée dans les bâtiments d’habitation a cru de 2% par an. Celle des bâtiments commerciaux a cru plus vite (3% par an). La raison en est essentiellement l’amélioration des services et commodités qui sont offertes aux consommateurs au fur et à mesure du développement technologique et de l’extension des locaux commerciaux. Cette croissance s’est produite en dépit des progrès importants réalisés dans l’efficacité énergétique des fenêtres, de l’éclairage, des appareils électroménagers, de l’isolation thermique, du chauffage et de la climatisation. Les nouveaux progrès envisageables dans tous ces domaines et l’émergence d’un certain nombre de technologies apparues récemment ouvrent une perspective de ralentissement de cette croissance, à des coûts raisonnables.


Le secteur du transport
Le secteur du transport est celui qui croît le plus rapidement, avec un taux de 2,5% en moyenne par an. Depuis 1990, la croissance est particulièrement forte dans les pays en développement et atteint 7,3% par an pour la zone Asie Pacifique. Par contre, on observe une diminution dans les pays à économie en transition liée à leur récession économique. Des véhicules hybrides alliant un moteur électrique pour la propulsion et un moteur à explosion fonctionnant à régime constant pour recharger les batteries viennent d’être introduits dans le commerce. Ils peuvent ne pas polluer en ville, si on utilise les réserves de la batterie, en coupant le moteur à explosion et ils permettent des économies de carburant importantes par rapport à des véhicules de même capacité, puisque le moteur peut être optimisé pour son régime unique de fonctionnement. Des progrès ont été faits sur les moteurs traditionnels, mais ils ont davantage servi à l’amélioration des performances qu’aux économies de carburant. De nouveaux progrès sont en cours, en particulier avec des moteurs Diesel très économiques et aussi propres que les moteurs à allumage déclenché. Des automobiles mues par des moteurs électriques alimentés par des piles à combustible devraient bientôt apparaître sur le marché. Des économies sur la consommation des avions semblent envisageables techniquement et économiquement pour la prochaine génération. Néanmoins, la plupart des évaluations montrent que les améliorations techniques possibles seront tout à fait insuffisantes pour éviter une augmentation des émissions, compte tenu de la demande accrue de transport à laquelle on s’attend. Le transport semble être le domaine où la maîtrise de la quantité d’énergie consommée sera le plus difficile à réaliser. Le développement des technologies de l’information et de la communication et la dématérialisation de l’économie pourraient avoir une influence positive qu’il faudrait encourager, mais rien ne permet d’affirmer avec certitude que la mondialisation qu’elles favorisent ne viendra pas au contraire accroître la demande de transport.

La production d’énergie sans émissions de gaz à effet de serre


La seconde des grandes voies à explorer pour réduire nos émissions de gaz carbonique consiste à produire l’énergie sans émettre de gaz carbonique. Le stockage du gaz carbonique
Des possibilités de stockage du gaz carbonique produit lors de l’utilisation des combustibles fossiles sont en cours d’étude. Elles consistent à récupérer le gaz carbonique lors de la combustion qui l’engendre. Les dispositifs de récupération sont généralement trop lourds et complexes pour convenir à des installations de petite taille ou mobiles. Le stockage de ce CO2 dans des formations géologiques profondes du type aquifères salins, champs gaziers ou champs pétrolifères épuisés a été réalisé et fait actuellement l’objet d’expérimentations visant à en tester la longévité à long terme. Des stockages marins pourraient aussi être envisagés, si la démonstration de leur innocuité était solidement établie.
En tout état de cause, ces opérations de récupération, de transport éventuel et de stockage du gaz carbonique ne peuvent être envisagées que dans un nombre limité de cas et ne peuvent au mieux que résoudre une partie du problème. D’autre part, les combustibles fossiles sont en quantité limitée. Vers la fin du siècle, seul le charbon pourra permettre de répondre aux besoins prévisibles, le pétrole et le gaz étant épuisés. L’économie des combustibles fossiles sera donc rendue rapidement nécessaire par l’épuisement des ressources et le problème de l’effet de serre ne fait que rapprocher la date à laquelle il faudra se procurer l’énergie autrement.
L’amélioration du rendement des centrales d’énergie à combustibles fossiles
Les combustibles fossiles sont à l’origine de la plupart des productions de chaleur et d’électricité et on en brûlera moins si on améliore le rendement des installations correspondantes. La production d’électricité représente 37,5% des émissions totales de carbone. Des turbines à gaz à cycle combiné atteignant des rendements de 60% constituent une option intéressante pour la construction de nouvelles centrales là où on dispose de gaz et des infrastructures nécessaires. Des technologies modernes d’utilisation du charbon faisant appel à des cycles combinés de gazéification peuvent également permettre des améliorations substantielles du rendement.
Il reste à examiner la possibilité de faire appel à d’autres sources d’énergie que les combustibles fossiles.


L’énergie nucléaire
L’énergie nucléaire a atteint un niveau de développement industriel qui lui permet de fournir à la France plus des trois quarts de l’électricité qu’elle consomme et sa contribution à l’effet de serre est minime. Néanmoins, les questions de sécurité des réacteurs et de la gestion des déchets radioactifs sont considérées comme des inconvénients majeurs par une grande partie de l’opinion publique mondiale. La solution de ces problèmes ne peut provenir que de la conjonction de progrès scientifiques et techniques et d’un débat sérieux de société sur les risques associés à toutes les formes de production de l’énergie. La généralisation de cette forme d’énergie à l’ensemble de la planète ne pourrait sans doute être sérieusement envisagée que dans le cadre d’une régulation internationale stricte et efficace, rendant impossible les graves relâchements aux règles de sécurité qui ont conduit à la catastrophe de Tchernobyl et veillant à ce que le traitement et le stockage des déchets soient faits dans les meilleures conditions possibles.
Les études entreprises depuis des décennies sur l’énergie nucléaire de fission par confinement magnétique n’ont pas encore permis d’envisager dans un avenir prévisible une solution industriellement viable. Le confinement inertiel est une piste qui mérite sans doute aussi d’être explorée en parallèle.


L’hydroélectricité
Cette forme d’énergie renouvelable, non émettrice de gaz à effet de serre, est également dans un état de développement industriel très avancé Un programme ambitieux de construction de barrages a été mis en place en France, après la seconde guerre mondiale et permet à l’hydroélectricité de fournir l’essentiel du quart de la production nationale qui ne provient pas du nucléaire, si bien que la quasi-totalité de l’électricité française est produite sans émission de CO2. Néanmoins, à l’exception de quelques grands projets en Inde et en Chine, la construction de nouveaux barrages s’est ralentie dans le monde, par manque de sites favorables et à cause des réticences locales de nature sociale et environnementale.
Les énergies nouvelles
Un certain nombre d’autres sources d’énergie renouvelables ne représentent actuellement que moins de 2% de la production mondiale. Elles ont un potentiel de développement qui peut les conduire pour certaines d’entre elles à des parts de marché plus substantielles dans un avenir difficile à préciser. Entrent dans cette catégorie l’énergie éolienne et particulièrement les fermes installées au large des côtes, l’utilisation de la biomasse (souvent disponible en abondance dans les pays en développement) comme combustible additif ou comme combustible principal après d’éventuelles modifications biologiques, chimiques ou physiques et l’énergie photovoltaïque solaire, l’accroissement du rendement des cellules solaires et la diminution de leur prix de revient permettant d’envisager le passage du marché de niche actuel, du type site isolé, à une utilisation de masse. Une meilleure capacité de stocker l’énergie et de la transporter seraient de nature à faciliter le développement des énergies intermittentes que sont l’éolien et le solaire.
Il n’existe donc, pour produire de l’énergie, aucune solution de rechange sur étagère et prête à l’emploi et on ne voit pas comment on pourrait se passer des combustibles fossiles dans un avenir proche. Il n’en est que plus urgent d’explorer, sans exclusive, toutes les voies nouvelles envisageables. Un certain nombre de pistes techniques existent, il reste aux scientifiques et aux techniciens à œuvrer pour montrer qu’elles peuvent déboucher sur des processus industriels viables


Conclusion

Un changement global du climat de notre planète est en cours et va s’amplifier au cours des prochaines décennies. Ce changement est inéluctable. D’une part, les émissions du passé n’ont pas encore produit leur plein effet sur le climat, à cause de l’inertie de la machine climatique. D’autre part, nos structures économiques et sociales reposent sur la disponibilité d’une énergie peu coûteuse, celle des combustibles fossiles et elles ne peuvent être bouleversées du jour au lendemain sans perturbations aussi graves que celles dues au climat. L’humanité continuera donc à émettre des gaz à effet de serre, pendant plusieurs décennies. Par contre, il semble tout à fait clair que la perturbation du climat sera d’autant plus importante que l’humanité tardera à réduire ses émissions. Cette réduction ne commencera à se traduire par un ralentissement de la dérive du climat qu’après plusieurs décennies. Progressivement, cette dérive se ralentira et on aboutira un siècle plus tard à un climat stable, très dégradé par rapport à celui qui prévalait quand on s’est décidé à agir. Il n’y aura aucun espoir de retour en arrière avant des millénaires.
Il faut abandonner notre type de développement fondamentalement non durable et d’autant plus virulent pour le climat de notre unique planète que le nombre des pays développés sera plus grand (et on ne peut évidemment que souhaiter que ce nombre soit grand). Des perspectives techniques existent pour passer à un autre type de développement qui reste à inventer, au bénéfice des pays actuellement développés, comme de ceux qui aspirent légitimement à le devenir. Il reste à les développer et à les concrétiser et il y a là un formidable défi à relever. Ce n’est pas la fin du monde, mais ça va chauffer, et cela d’autant plus que l’humanité sera lente à prendre le problème au sérieux et à l’empoigner à bras le corps.

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