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Jean-Lucien Sanchez

Historien, chargé d’études au ministère de la Justice.

25/08/2020

En quatre minutes, des chercheuses et chercheurs nous font partager leur enthousiasme et leur détermination à s’aventurer dans l’inconnu, où la rigueur sert de lampe et la raison de boussole. Les Histoires courtes proposées ici sont autant de témoignages de la science en train de se faire et son consultables sur llx.fr . Les explorations les plus récentes dans les champs les plus variés sont ainsi contées. Quant aux photos qui accompagnent le texte, leur rôle est d’ouvrir la porte au rêve, indispensable ferment de l’intuition créatrice. L’Union rationaliste voit chaque jour confortée sa confiance dans les progrès sociétaux qu’apporte la recherche dans tous les domaines de la connaissance. Au fil des semaines, elle vous invite à découvrir ces contes…

La relègue

La peine sans fin des petits larcins.

Historien, chargé d’études au ministère de la Justice, Jean-Lucien Sanchez s’attache à rendre sensible l’histoire française des prisons, et plus particulièrement du bagne colonial de Guyane, tant dans divers ouvrages que sur le site Criminocorpus. En évoquant les mésaventures du condamné Georges Renault, il fait revivre l’histoire d’une peine oubliée, la relégation en Guyane, qui permettait de débarrasser discrètement la métropole de nombreux petits délinquants. Instituée grâce à une loi sécuritaire voulue par Léon Gambetta en 1885, la relégation ne sera supprimée qu’en 1970.
Merci aux Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM) à Aix-en-Provence et au site Criminocorpus.

Tapuscrit

Jean-Lucien Sanchez – Georges-Eugène Renault est né le 16 février 1874 à Auneau dans le département de l’Eure-et-Loir, et il est condamné le 9 février 1920 par la cour d’appel de Lyon à quinze mois de prison et à la relégation au bagne de Guyane pour un vol. Alors Georges effectivement a déjà été condamné trois fois à huit mois, quatre mois et huit mois à nouveau de prison pour des vols, chaque fois ce sont des vols simples. Et c’est donc ces quatre condamnations qui entraînent automatiquement sa relégation en vertu de l’article 4 de la loi sur la relégation des récidivistes, du 27 mai 1885, qui prévoit la prononciation de cette peine si le condamné aligne quatre condamnations à plus de trois mois d’emprisonnement à son casier judiciaire.

Alors Georges arrive en Guyane le 13 août 1921, sous le numéro matricule 12934, mais il est atteint d’un double pied bot, donc il est atteint d’une infirmité, et il est donc interné immédiatement au nouveau camp de la relégation, qui est dans les faits un mouroir où l’administration pénitentiaire abandonne tous les éclopés et les moribonds du bagne. Alors Georges présente un profil assez distinct des autres relégués, hein, ces relégués qui sont essentiellement des ouvriers et des vagabonds sans véritable profession. Il s’agit effectivement d’un publiciste, c’est-à-dire d’un journaliste, et comme il l’indique dans les curriculum vitæ qu’il glisse dans les multiples courriers qu’il adresse aux autorités de la commune, il a rédigé un certain nombre d’ouvrages et affirme avoir fondé des journaux, comme Le Rhône parlementaire, ou La Cote des Beaux -Arts, ou bien des sociétés, comme la Société amicale des officiers de l’Instruction publique. Le reporter Albert Londres affirme d’ailleurs qu’il le connaît, lorsqu’il le rencontre en Guyane en 1923 dans le cadre de l’enquête qu’il conduit au bagne pour le compte du Petit Parisien. Je le cite : « C’est un confrère, un pauvre bougre, saturé de chagrin et de remords. Je me souviens fort bien de lui, oh, il n’a pas tué père et mère, c’est un maniaque, un ivrogne, il volait un colis dans une gare, un poulet au marché, une fois, sur une banquette de café, un paquet contenant de vieux journaux, deux bougi es et un couteau. Et il rendait quelque temps après toujours ce qu’il volait. » Et donc voilà, ces vols sans gravité trahissent surtout un individu frappé de troubles mentaux, et probablement de kleptomanie. Georges souffre énormément de son envoi au bagne et ne cesse pas dans ses courriers de se démarquer des autres relégués, d’avec lesquels il se sent très différent. Je le cite : « Si la relégation est pénible pour tous ceux qui ont à la subir, même pour les misérables habitués à toutes les privations, à toutes les fatigues, à toutes les hontes, à toutes les promiscuités, à toutes les humiliations, combien elle est atroce pour un homme éduqué et habitué à toutes les délicatesses d’une vie de travail, de fréquentations honnêtes, d’amour paternel et d’amitié conjugale. Ah, ce milieu, perpétuel réceptacle sanglant, promiscuité infâme à laquelle on est enchaîné. » Alors c’est toujours un petit peu délicat de retrouver la parole des relégués, souvent on a bien évidemment le commentaire de l’administration pénitentiaire sur ces relégués, mais eux on ne sait pas précisément ce qu’ils pensent à la fois de ceux qui les observent, de ceux qui les encadrent, de ceux qui les surveillent, et surtout on ne sait pas ce qu’ils
pensent précisément de leur situation et là, le cas de Georges c’est formidable, il y a une vraie transmission, sans le filtre de l’administration pénitentiaire.

La relégation, c’est un monde violent, c’est un monde d’individus qui en plus souffrent d’un stigmate fort au sein de la colonie, ils sont vraiment considérés comme la dernière caste du bagne, alors que les condamnés aux travaux forcés ce sont des criminels de sang, c’est-à-dire ce sont des types qui sont issus de la pègre, ou ont commis un crime, on pense qu’ils ont la possibilité effectivement de se réinsérer plus facilement, alors que les relégués sont vraiment considérés comme des petits voleurs, marginaux, vagabonds, sans envergure, lorsque les relégués sortent de leur pénitencier pour essayer de trouver une place, etc., on se méfie toujours, parce que c’est le récidiviste qui a volé ! Donc c’est le petit voleur, c’est le voleur de poules ! Et celui-là, on n’en veut pas ! On préfère prendre un criminel de sang que celui qui est susceptible de vous voler à nouveau ! De recommencer ! Alors Georges parvient néanmoins en 1925 à bénéficier de la relégation individuelle, c’est-à-dire qu’il est autorisé à quitter le Nouveau Camp, hein, pour s’installer à Cayenne, où il trouve à s’engager auprès d’employeurs. Et ensuite il va tenter à plusieurs reprises d’obtenir un relèvement de sa peine, mais il n’y parvient jamais, et donc il meurt en 1928 de misère physiologique à l’hôpital de Cayenne.
04 min 18 s

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