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Nicole Le Douarin

Biologiste

25/11/2003

La mort au coeur du vivant

Nous remercions vivement l’auteur de nous avoir permis de reproduire le texte de l’allocution prononcée le 25 novembre 2003 sous la Coupole.

Le rêve de chaque cellule, a écrit François Jacob, est de devenir deux cellules.
Ce rêve est certainement celui de la cellule originelle, l’œuf, cette sphère infime de matière vivante, qui construira le corps tout entier, celui d’un ver ou celui d’un éléphant. Cette création de la matière vivante, l’organisation et la genèse de la forme ont été au cours de l’histoire de la biologie, les maîtres mots pour définir les mécanismes qui sous-tendent le développement des organismes. Parvenir à découvrir comment se déclenche ou s’arrête la duplication du patrimoine génétique a donc été la clé du secret de la génération.
En revanche, il n’était venu à l’esprit d’aucun des biologistes du XIXe et de la plus grande partie du XXe siècle, que la mort des cellules pouvait jouer un rôle aussi important que leur prolifération dans la construction du vivant.
Des épisodes de mort cellulaire chez l’embryon avaient bien été décrits par les histologistes. Mais, parce que le développement est avant tout genèse et non destruction, ils furent considérés comme un défi au bon sens et par conséquent anecdotiques et négligeables
Cependant, alors que les observations microscopiques des embryons devenaient plus précises, les cas de destruction tissulaire localisée se révélèrent plus courants qu’on ne croyait et acquirent le statut de processus intégraux du développement. L’exemple princeps est celui de la main dont les doigts ne deviennent indépendants les uns des autres qu’après que la membrane palmaire qui les unit chez l’embryon ne subisse chez le fœtus une destruction totale.
Le besoin de faire le point sur ce sujet se fit bientôt pressant, si bien qu’en 1966, le biologiste américain John Saunders pouvait écrire un article intitulé : ” La mort dans les systèmes embryonnaires ” qui commençait ainsi : ” C’est avec inconfort que l’on se confronte à l’idée que la mort cellulaire fait partie du développement de l’embryon ; en effet, pourquoi un embryon se projetant vers un avenir chaque jour plus incertain devrait-il dilapider dans la mort les ressources d’énergie et d’information qu’il a laborieusement acquises à partir d’un état initialement moins ordonné ? “.
Notre point de vue sur ce sujet s’est depuis profondément modifié. Une révolution conceptuelle s’est produite au cours des 15 dernières années et se poursuit encore. On considère aujourd’hui que la mort des cellules est un procédé aussi naturel, aussi courant et aussi crucial pour le développement et la survie des organismes que ne l’est la vie même des cellules et leur prolifération.
Quelques événements dont l’importance n’a pas été immédiatement perçue, ont marqué l’histoire de nos idées sur ce sujet. Le premier fut la démonstration au début des années 1950 par Victor Hamburger, à l’Université de Saint-Louis aux États-Unis, que la quantité de motoneurones produits dans la moelle épinière est de beaucoup supérieure au nombre de ceux qui sont capables d’établir une synapse avec une fibre musculaire. Cette condition étant nécessaire à leur survie, une vague de mort neuronale survient à un stade précis du développement embryonnaire et conditionne le nombre final de motoneurones.
Ainsi, la nature a-t-elle adopté la stratégie d’une hyperproduction suivie de la mort des cellules inutiles. Quant au choix qui s’établit entre les neurones qui survivent et ceux destinés à mourir, il n’est en rien pré-programmé mais résulte d’un phénomène de sélection en ce sens qu’il repose essentiellement sur le hasard : seuls survivent les neurones qui les premiers parviennent à établir à la périphérie une synapse efficace. Le neurone est alors sauvé parce que le muscle lui fournit des facteurs qui le maintiennent en vie et lui permettent de se différencier. Ces substances furent appelées à l’époque facteurs de croissance. Leur découverte revient à Rita Levi-Montalcini qui, dès les années 1950, démontrait la dépendance des neurones sympathiques et sensoriels vis-à-vis d’un facteur qu’elle réussit, avec Stanley Cohen à purifier en 1956. Il s’agit du NGF (pour Nerve Growth Factor), le premier d’une famille de protéines agissant sur les neurones et dont la caractérisation et le clonage du gène ont attendu encore 20 ans. Ce même mécanisme de production puis de destruction sélective des cellules nerveuses a été retrouvé dans tous les centres nerveux du cerveau et de la moelle épinière. Ainsi, la mort cellulaire apparaissait-elle comme un phénomène normal du développement neural.
Un autre chapitre de la physiologie, dans lequel ont été accomplis des progrès spectaculaires au cours de la seconde moitié du XXe siècle, a conduit à voir dans la mort cellulaire un mécanisme incontournable de la mise en place des défenses immunitaires. Il est apparu que nos lymphocytes, qu’ils soient T originaires du thymus, ou B produits par la moelle osseuse, sont capables de combattre les microbes et virus dans leur immense diversité par un procédé de reconnaissance moléculaire doué d’une étonnante spécificité. Chaque lymphocyte porte sur sa membrane un type de récepteur qui lui permet d’identifier un antigène particulier parmi le nombre quasi illimité de molécules portées par les microbes et les virus présents dans notre environnement. On sait maintenant qu’une multitude (plusieurs centaines de milliards) de ces récepteurs sont produits à partir d’un nombre limité de gènes. Comment une telle diversité peut-elle naître d’un matériau si restreint ? Les gènes de ces récepteurs ont la particularité d’être fragmentés. Dès lors, la combinaison au hasard de leurs différents fragments crée la diversité biochimique et structurale nécessaire à cette extraordinaire capacité de reconnaissance des antigènes microbiens et viraux qui caractérise l’immunité adaptative.
Mais, au hasard de ces combinaisons, il est inévitable que certaines d’entre elles génèrent des récepteurs capables de reconnaître des formes moléculaires appartenant à l’organisme même qui les a produites. Elles seront alors aptes à déclencher une attaque immunitaire vis-à-vis du soi.
L’évolution, évidemment, n’a pu sélectionner un mécanisme aussi dangereux et destructeur. En effet avant que les cellules T et B ne soient libérées dans la circulation, celles qui reconnaissent les antigènes du soi meurent en grand nombre dans le thymus et dans la moelle osseuse. On a pu évaluer que sur les 5 millions de lymphocytes produits chaque jour dans le thymus d’une souris seulement 5% survivent. Ces chiffres étaient impressionnants, mais on avait peine à y croire. En effet, si une telle hécatombe avait lieu, on aurait dû trouver dans le thymus les traces visibles de la disparition de tant de cellules. Or, il n’en était rien. La dynamique cellulaire des lymphocytes restait donc une énigme.
On se basait en effet sur les descriptions précises de la nécrose, seule modalité connue et clairement identifiée de la mort des cellules.
La nécrose survient dans certaines pathologies ou lorsque des traumatismes sont infligés aux cellules. Celles-ci commencent par gonfler puis elles éclatent et projettent autour d’elles des enzymes qui altèrent les cellules voisines et les amènent à se nécroser à leur tour.
Ainsi, la nécrose se propage par vagues successives en entraînant une inflammation qui s’accompagne de phénomènes anarchiques de réparation et de cicatrisation. L’architecture des tissus atteints est profondément modifiée, parfois durablement dénaturée.
Au contraire, dans la plupart des cas de mort cellulaire survenant au cours du développement, les disparitions massives de cellules ne génèrent aucune lésion. Elles ne sont pas dues à une agression d’origine extérieure comme la nécrose, mais à une sorte de suicide ou d’autosacrifice qui met en jeu un ensemble de gènes spécifiques dont l’existence n’a été révélée qu’au cours des années 1980.
Il existe en effet, dans chaque cellule vivante, un programme génétique de mort qui, s’il est mis en œuvre, entraîne sa disparition dans la plus grande discrétion.
Dans le processus cataclysmique qu’est la mort par nécrose, les cellules endommagées sont facilement observables au microscope : ce sont des cadavres (désignés en grec par necros) entourés par des macrophages, ces cellules sanguines qui jouent le rôle de fossoyeurs dans les tissus.
Pour désigner la mort furtive des cellules qui disparaissent selon un programme intrinsèque, apparemment immuable, on a choisi le terme d’apoptose du mot grec qui désigne la ” chute “, comme celle des feuilles des arbres en automne ou celle des pétales des fleurs fanées.
Les cellules qui meurent par apoptose implosent plutôt que d’exploser comme dans la nécrose. Elles commencent par rompre leurs contacts avec les cellules avoisinantes puis se fragmentent au niveau du noyau. Leur cytoplasme se répartit en petits ballonnets, ou ” corps apoptotiques “, dont la membrane externe intacte empêche la libération d’enzymes à l’extérieur comme c’est le cas dans la nécrose. Les corps apoptotiques sont très vite absorbés par les cellules avoisinantes. Point n’est besoin des macrophages. En effet, il semble bien que toute cellule vivante puisse percevoir les signaux moléculaires émis par les cellules en apoptose puis soit capable de les englober et de les faire disparaître en moins d’une heure alors qu’elles sont encore vivantes.
Ainsi, la mort par apoptose est rapide et n’entraîne en général ni lésion, ni inflammation, ni cicatrisation : c’est pourquoi elle est passée aussi longtemps inaperçue.
Un nouveau pas a été franchi avec la découverte de la cascade des gènes mis en œuvre dans l’apoptose. Cette découverte se produisit d’une manière inattendue et sur un organisme qui n’est ni un mammifère ni même un vertébré. Les gènes de mort ont été trouvés par des chercheurs qui voulaient comprendre les mécanismes du développement. Leur matériel d’étude était un petit ver transparent qui avait fait son apparition sur les paillasses de quelques laboratoires grâce au non conformisme et au génie créatif d’un chercheur anglais Sydney Brenner dans les années 1960-70. Ce ver, Caenorhabditis elegans, s’élève facilement et se reproduit rapidement. S. Brenner, déjà fameux pour ses travaux pionniers de génétique moléculaire, y vit un animal qui se prêtait presque aussi bien que les bactéries à des expériences de mutagenèse. Cet organisme, très simple, avait aussi l’avantage de posséder un embryon transparent au développement étonnamment stéréotypé. Un groupe de généticiens anglais et américains en ont profité pour suivre l’une après l’autre les divisions des cellules qui conduisent de l’œuf à l’embryon.
Ces divisions se produisent d’une manière identique chez tous les individus et génèrent 1090 cellules dont 131 meurent à peu près au même moment et au même endroit dans tous les embryons de l’espèce. La généalogie des cellules qui survivent et constituent le ver est donc connue avec précision en particulier grâce aux patientes observations de Jonathan Sulston.
À partir de la fin des années 1970, Robert Horwitz et sa petite équipe, à Boston, ont exposé des vers en phase de reproduction à des mutagènes en cherchant à perturber le destin des embryons. Ils découvrirent plusieurs catégories de mutants. Ceux chez lesquels aucune des 131 cellules, normalement destinées à disparaître pour assurer le développement harmonieux du ver, n’est frappée d’apoptose. Dans un autre groupe, toutes les cellules de l’embryon disparaissent y compris les 959 qui normalement survivent ce qui entraîne évidemment sa disparition prématurée.
Les gènes intervenant dans ces différents phénotypes ont été appelés ced (pour cell death-abnormal). Ils sont au nombre de trois : ced3, ced4 et ced9.
Ced3 et ced4 sont indispensables pour que survienne la mort des 131 cellules embryonnaires. Ced9 a l’effet inverse, il protège les cellules de l’action délétère de ced3 et de ced4.. Ainsi, l’absence de la protéine ced9 entraîne-t-elle la mort des 1090 cellules de l’embryon.
L’étude génétique et moléculaire de ces mutations a révélé que les protéines produites par les gènes ced3 et ced4 sont responsables du déclenchement de l’apoptose. Elles jouent le rôle d’exécuteurs. Leur effet est antagonisé par ced9. Cependant, cette protéine n’est pas nécessaire à la survie des cellules. Lorsque les trois gènes ced3, ced4, et ced9 sont inactivés, aucune cellule de l’embryon n’entre en apoptose au cours du développement. Dans les embryons normaux, les 959 cellules qui survivent, produisent à la fois les exécuteurs ced3 et ced4 et le protecteur ced9. Ce dernier manque, au contraire, dans les 131 qui disparaissent, elles meurent ” par défaut ” du ” protecteur ” Donc chaque cellule de l’embryon produit les protéines destinées à la tuer. Ne survivent que celles qui sont capables, pour un temps, de s’opposer à la mise en œuvre du programme de mort.
La révélation essentielle des recherches à ce stade, qui se situe vers le milieu des années 1980, avait été de démontrer l’existence, dans toutes les cellules du ver, d’un appareil suicidaire en permanence actif et nécessitant donc la mise en jeu d’inhibiteurs seuls aptes à assurer la survie cellulaire. La mort des cellules de l’embryon est donc un processus naturel qu’il convient de combattre en permanence.
Pour reprendre la métaphore du début : si le rêve de chaque cellule est de devenir deux cellules, elle doit avant de réaliser ce projet, échapper à un destin préprogrammé qui l’habite depuis son origine et qui est prêt à se mettre en œuvre : le suicide.
En 1986, les gènes de mort et leurs antagonistes n’étaient encore que des entités virtuelles, révélées chez les mutants sur la base des effets produits par leur absence. La communauté scientifique était peu intéressée par les travaux de Bob Horwitz sur le contrôle du suicide cellulaire chez ce représentant peu prestigieux du monde vivant. À cette époque, de nombreux laboratoires spécialisés en biologie moléculaire mais travaillant sur des modèles animaux plus classiques, plus proche de l’homme aussi, auraient pu très rapidement isoler et séquencer les gènes concernés. C’est finalement à la petite équipe d’Horwitz qu’il revint de mener à bien ce travail qui nécessita plusieurs années.
Mais pendant ce temps, les progrès dans ce domaine ont surgi d’autres sources.
David Vaux, un jeune chercheur australien travaillant aux Etats-Unis sur des cancers de la lignée sanguine, s’intéressait à un gène appelé bcl2 qui avait été identifié au site de réarrangements chromosomiques trouvés dans plusieurs types de lymphomes. Ce gène avait été cloné et, grâce à des expériences de transgenèse chez la souris, il était apparu que l’expression de bcl2 dans des cellules myéloïdes et lymphoïdes empêchait la mort cellulaire survenant dans des cultures lorsque celles-ci étaient privées de facteurs de croissance. Par ailleurs, on observait que bcl2 pouvait aussi empêcher la mort naturelle infligée aux neurones au cours du développement.
En 1992, David Vaux réalisait une expérience qui, rapprochée des données fournies par les recherches sur C-elegans, devait changer notre vision du phénomène de mort cellulaire. Il provoqua l’expression par transgenèse du gène bcl2 humain dans un embryon du ver dont le gène ced9 avait été inactivé par une mutation. Toutes les cellules de cet embryon dépourvu de son protecteur naturel sont, nous le savons, vouées à une mort rapide. Mais, la présence de la protéine bcl2 humaine permit un développement normal de cet embryon en restituant une fonction de protection identique à celle exercée par ced9.
La protéine humaine a donc été capable de réprimer la mort programmée des cellules de cet être primitif et d’inhiber l’action des exécuteurs ced3 et ced4 du ver. Cela signifie qu’au cours des centaines de millions d’années d’évolution des êtres vivants, le système des gènes de mort et de survie des cellules a été conservé pratiquement intact. Malgré les innombrables mutations aléatoires qui se sont produites et les changements considérables qui ont permis l’évolution depuis les nématodes jusqu’à l’homme, les gènes qui, d’une manière coordonnée, règlent la vie et la mort ont conservé leur structure et leur fonction.
Le petit nématode commença dès lors à susciter l’intérêt d’un public scientifique plus large et acquit le statut de modèle dont l’étude présente un intérêt général.
Deux ans après l’expérience de David Vaux, Horvitz et son groupe dévoilaient en 1994 la séquence du gène ced9. Des régions entières de cette séquence se retrouvaient dans le gène bcl2, d’autres s’en éloignaient. On pouvait en conclure que les domaines identiques dans les deux gènes sont ceux qui jouent un rôle dans l’inhibition du complexe formé par les protéines ced3-ced4 responsables du déclenchement de l’apoptose.
C’est encore une homologie de séquence entre un gène de mammifère et ced3 l’effecteur de l’apoptose qui a permis de comprendre que le déclenchement de la mort cellulaire était lié à l’activité de protéases. On sait maintenant qu’elles forment la famille des caspases dont plus de 15 membres ont été identifiés chez les vertébrés.
Ainsi, ce système génique, qui permet à la cellule de réguler sa survie et sa destruction, a été maintenu au cours de l’évolution comme beaucoup d’autres qui interviennent dans des processus fondamentaux de la vie. Les êtres dans lesquels des mutations en avaient supprimé l’efficacité n’ont pas pu survivre. Au cours de l’évolution, les gènes présents chez les formes primitives, les plus anciennes de l’arbre de vie, se sont souvent dupliqués, ont été ” recopiés ” et modifiés dans les êtres plus évolués. C’est ce qui s’est produit dans ce système comme dans beaucoup d’autres. Il en résulte que le nombre de combinaisons possibles des signaux qui tendent à réprimer ou à déclencher le suicide de la cellule est très grand et leurs interactions d’une extrême complexité. La grille de lecture relativement simple fournie par le modèle princeps qu’a constitué C. elegans dans l’histoire de cette recherche a été particulièrement précieuse pour décrypter les mécanismes qui conduisent à la vie ou à la mort des cellules.
L’importance des résultats obtenus par les méthodes génétiques sur ce modèle a été reconnue par l’attribution en 2002 du Prix Nobel de Physiologie et Médecine à Sydney Brenner, Robert Horvitz et Jonathan Sulston.
L’histoire même de ce chapitre relativement nouveau de la biologie cellulaire avait d’abord amené les chercheurs à penser que le pouvoir de s’autodétruire par ce qu’on avait appelé la mort programmée était une propriété exclusive des cellules de l’embryon où elle jouait, dans la construction du corps, un rôle aussi important que la production de nouvelles cellules.
Il est assez vite apparu que l’apoptose se poursuit bien au-delà de la naissance et qu’elle constitue un élément essentiel dans le maintien du bon fonctionnement des organismes. Elle existe en effet chez tous les êtres multicellulaires. On a pu montrer que même chez les unicellulaires, elle intervient dans l’équilibre des populations et dans leurs relations avec le milieu extérieur.
L’importance du phénomène d’apoptose chez l’adulte est manifeste. Un homme adulte, composé de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules, en perdrait au moins une centaine de milliards (soit 1011) par jour, soit plusieurs millions de cellules par seconde. Des régions entières de notre corps sont le site d’un renouvellement rapide. Il en est ainsi de la peau, de la paroi interne de l’intestin et du sang. Les composés issus des cellules mortes sont réutilisés pour la construction de nouveaux tissus. Nous nous nourrissons donc en permanence d’une part de nous-même et, comme Phœnix, l’oiseau mythique, nos renaissons chaque jour, en partie, de nos cendres.
Tous les tissus composant notre corps ne sont pas soumis à un renouvellement aussi rapide que le sang, la peau ou la paroi interne de l’intestin. La différenciation cellulaire confère aux cellules spécialisées une durée de vie variable. Les cellules de la peau et celles qui tapissent l’intestin perdent le pouvoir de se diviser. Elles ne vivent que quelques jours (3 ou 4 jours pour la paroi de l’intestin). Comme celles du sang, elles sont sans cesse renouvelées grâce à l’activité de cellules souches qui restent indifférenciées En revanche, les neurones qui constituent le cerveau sont pour la plupart produits pendant la vie embryonnaire, une fois pour toutes.
La dynamique de renouvellement des cellules sanguines a été particulièrement étudiée. D’une manière générale, les cellules souches génèrent plus de cellules que nécessaire, un ajustement se produit ensuite, via des facteurs produits par d’autres tissus. Ainsi, les précurseurs des globules rouges ont-ils besoin d’une hormone, l’érythropoïétine, pour inhiber leur programme intrinsèque de mort. C’est la quantité d’érythropoïétine produite par le rein qui règle la quantité de cellules souches sanguines qui survivent et par conséquent la quantité de globules rouges.
L’équilibre et la taille des organes sont étroitement réglés, on le sait, pas seulement en ajustant la prolifération des cellules mais aussi parce qu’une bonne partie des cellules ainsi produites sont d’une manière incessante détruites par apoptose.
La régulation de la vie et de la mort des cellules dans les organismes est donc cruciale pour leur équilibre fonctionnel. Elle fait partie de la vie ” sociale ” des cellules qui les composent. On comprend de mieux en mieux en quoi consistent ces interactions. Les cellules agissent les unes sur les autres en produisant des facteurs ou ” médiateurs ” très divers. Certains assurent la survie des cellules en inhibant leur programme de mort, d’autres déclenchent leur suicide en se liant à ce qu’on appelle des récepteurs de mort. Un des cas les mieux étudiés est celui du couple Fas : récepteur et ligand. Lorsque le ligand de Fas se lie à son récepteur, celui-ci modifie sa forme et transmet à la cellule un signal qui déclenche son autodestruction. D’autres inhibent le déclenchement du programme de mort, ce sont des facteurs de survie comme le NGF pour les neurones et l’érythropoïétine pour les précurseurs des globules rouges.
Ces connaissances ont permis de comprendre les mécanismes responsables de plusieurs maladies. On sait maintenant que les hépatites fulminantes produites par des virus ou par l’alcool sont dues à la mort massive des cellules du foie. Celles-ci possèdent à leur surface le récepteur Fas mais, à l’état normal, ne produisent pas le ligand. Par des mécanismes moléculaires variés, les virus des hépatites et l’alcool provoquent la production par les cellules hépatiques du ligand de Fas, ce qui entraîne leur destruction rapide. Ces connaissances conduisent à concevoir des thérapeutiques radicalement nouvelles.
Enfin, on le sait aujourd’hui, le blocage anormal du suicide cellulaire, constitue une étape décisive dans la transformation d’une cellule normale en une cellule cancéreuse.
L’apoptose, ses causes, ses modalités, ses altérations pathologiques sont désormais un des domaines de recherche les plus actifs de la biologie cellulaire.
On voit que beaucoup de chemin a été parcouru depuis que les chercheurs ont commencé à se pencher sur le destin des cellules embryonnaires du petit ver C. elegans. Il s’agit probablement d’un des exemples les plus évidents du caractère imprévisible des découvertes scientifiques. Notamment de celles qui ouvrent une voie nouvelle et qui changent notre manière de penser et d’appréhender la réalité. Celles qui permettent de donner une signification à des faits déjà observés mais restés jusque-là incompris. Elles sont par essence insoupçonnées puisque n’entrant pas dans les schémas de pensée qui ont cours.
La recherche vraiment innovante n’arrive donc à ses fins que par surprise. Elle ne peut être programmée : une notion particulièrement difficile à comprendre et à traduire dans les faits par nombre des responsables du financement institutionnel de la recherche. En fait, pour favoriser vraiment la créativité et donc l’innovation, il faut laisser les chercheurs libres, accepter qu’ils se trompent et qu’ils semblent parfois un peu perdre du temps. Cela n’est en rien incompatible avec une évaluation bien comprise et au total efficace de leur activité.

 

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