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 Michel Henry

Membre de l’UR

Les Cahiers Rationalistes
n°681

Les Cahiers rationalistes

Les trous noirs en 100 questions

De Jean-Pierre Luminet, ed. Tallandier, 2022, 330 pages, 18,00 €.

Jean-Pierre Luminet est astrophysicien, directeur de recherche au CNRS, spécialiste mondial des trous noirs, écrivain et poète. Son ouvrage est conçu en une suite de 100 questions, suivies de réponses assez courtes dans une progression du plus simple au plus élaboré, amenant le lecteur jusqu’aux connaissances les plus récentes en la matière. Les dernières questions évoquent les trous noirs dans la culture populaire, la littérature, la science-fiction et le cinéma avec la présentation du film Interstellar qui met en scène un trou noir super massif nommé Gargantua.

Les 100 questions sont organisées en huit chapitres rapportés ici très succinctement.

En huit questions, Un peu d’histoire nous donne une définition assez simple de ces corps célestes qui concentrent la matière et l’énergie au point de courber l’espace-temps en un piège gravitationnel dont la lumière ne peut s’échapper. Si l’on ne peut décrire de tels objets sans faire appel à la théorie de la relativité générale conçue par Albert Einstein en 1915, de grands savants du xviiie siècle comme Pierre-Simon Laplace et John Michell les avaient imaginés dans le cadre de la théorie de l’attraction universelle de Newton. Mais dès 1915, Karl Schwarzschild propose une solution exacte des équations d’Einstein et calcule la taille critique d’un astre dont la vitesse de libération surpasse la vitesse de la lumière, donnée par son rayon gravitationnel ou rayon de Schwarzschild. Ce qui se passe à l’intérieur conduit théoriquement à une singularité prédite par Georges Lemaître en 1933 et à laquelle Einstein ne croyait pas. Il fallut plus d’un siècle et demi pour que les astrophysiciens ayant observé des trajectoires bizarres de certains étoiles, en viennent à admettre l’existence d’astres très massifs et invisibles que l’on a appelé trous noirs dans les années 1960. En fait, comprendre précisément la réalité intérieure d’un trou noir suppose le développement d’une théorie de la gravitation quantique encore à élaborer. Le chapitre s’achève avec l’apport de Stephen Hawking avec sa théorie de l’évaporation quantique des trous noirs microscopiques de 1974 et son hypothèse du rayonnement dit de Hawking satisfaisant à la loi de croissance de l’entropie.

Les bases physiques. Quelques connaissances en physique théorique ne sont pas inutiles pour mieux mieux comprendre les réponses aux 27 questions de ce chapitre. La relativité générale d’Einstein (1915) et quelques notions en physique quantique viennent à l’appui des révélations sur la nature des trous noirs, leurs dimensions, leurs propriétés physiques, leur mouvement dans l’univers (on croit généralement qu’ils sont super massifs et très denses, alors qu’il en existe de minuscules). Parmi les questions qui parcourent les théories cosmologiques, celle de l’entropie – le degré de désordre d’un système isolé – pourrait donner lieu à une contradiction avec la seconde loi de la thermodynamique qui considère que l’entropie d’un tel système ne peut que croître. La question de l’existence d’un rayonnement de Hawking entraînant l’évaporation du trou noir est alors posée. Ce qui supposerait une perte d’information en contradiction avec l’un des postulats de base de la mécanique quantique. Le dilemme restera posé tant qu’une théorie cohérente de la gravitation quantique compatible avec celle de la relativité générale ne sera pas élaborée.

Singularités, trous de ver et fontaines blanches conduit le lecteur vers 12 questions des plus exotiques, comme celle de l’intérieur d’un trou noir qui serait vide avec une singularité en son centre, et celle de l’existence des trous de ver reliant un trou noir à une fontaine blanche, ouvrant la porte à la littérature de science-fiction. Parmi ces questions, celle-ci très intrigante : « Le trou noir au centre de notre galaxie est-il on trou de ver ? »

Au sein de la grande variété des trous noirs, déclinée en cinq catégories (stellaires, intermédiaires, super massifs, ultra-massifs, primordiaux), le chapitre suivant décrit Les trous noirs stellaires en 20 questions. Suivant leurs masses, les étoiles finissent diversement : en naines blanches (dans 90 % des cas), étoiles à neutrons (9,9 %) ou trou noir si l’étoile a une masse supérieure à 30 ou 40 masses solaires (c’est l’unité de masse dans ces questions d’astrophysique) : un millième de la population stellaire. L’effondrement gravitationnel d’une telle étoile s’accompagne d’une « hypernovæ » libérant en quelques secondes une énergie plus de cinquante fois celle d’une supernovæ. Les télescopes détectent ces phénomènes par des sursauts de rayonnements gamma libérant plus d’énergie que le soleil en 10 milliards d’années. La masse d’un trou noir est calculable à partir des perturbations subies par les trajectoires des astres voisins. La découverte en 1971 du premier trou noir, Cygnus X-1, est ensuite rappelée, ses caractéristiques révisées en 2019 (21 masses solaires). Certaines ondes gravitationnelles produites par des collisions de trous noirs sont aujourd’hui détectables malgré leur extrême faiblesse grâce à trois interféromètres, Ligo aux États-Unis, Virgo en Italie et Kagra au Japon depuis 2019, des plus sensibles pour repérer une variation de longueur de leurs bras de l’ordre de la taille d’un proton. Depuis la première observation en 2015, plusieurs dizaines de détections d’ondes gravitationnelles par an ont été réalisées, observables jusqu’à 7 milliards d’années-lumière. Le chapitre s’achève sur l’origine de l’or, métal précieux certes, mais chargé d’histoire de plusieurs milliards d’années, naissant lors de kilonovæ ou supernovæ.

Après cette étude des trous noirs stellaires, dont le plus petit observé a une masse de 3 masses solaires, Jean-Pierre Luminet, dans la première des 24 questions du chapitre Les trous noirs géants, fait part des quelques découvertes récentes de trous noirs intermédiaires sans doute primordiaux, de masses de 100 à 100 000 masses solaires. Puis il s’intéresse aux mastodontes nichés aux centres des quelques milliards de galaxies à « noyau actif », rayonnant une puissance supérieure à celle de la galaxie tout entière (de 1 à 10 % des grosses galaxies), trous noirs géants dont les masses vont de 10 millions à 10 milliards de masses solaires. Parmi les galaxies à noyau actif, figurent les dizaines de milliers de quasars actuellement connus. Le quasar le plus remarquable, situé à 2,5 milliards d’années-lumière, a une luminosité totale dans l’ensemble des longueurs d’onde de 1000 fois supérieure à celle de notre Voie lactée, bien que son noyau central soit de la dimension du système solaire. On a découvert en 2020 le quasar le plus ancien, vieux de 13 milliards d’années (700 millions d’années après le Big Bang) et contenant le noyau le plus massif, un trou noir de 1,5 milliards de masses solaires. La formation de ces trous noirs géants au centre des galaxies pose de nombreuses questions non résolues. Il en existe aussi décentrés au sein de galaxies naines, treize ont été découverts en 2019. Le trou noir installé au centre de la Voie lactée, Sagittarius A, à 26 000 années-lumière de la Terre, de quelques millions de masses solaires et dont la dimension est celle de l’orbite de Saturne, a été reconnu en 1990. Il ne fait donc pas partie des trous noirs ultra-massifs de quelques dizaines de milliards de masses solaires. Le plus massif, Holm 15A, observé en 2018, a une masse d’environ 40 milliards de fois celle du Soleil. L’estimation actuelle de la masse du plus massif envisageable, un hypothétique « Slab », serait d’environ 10 milliards de milliards de masses solaires !

Jean-Pierre Luminet classe ses 13 dernières questions en trois chapitres : Visualisation des Trous noirs, trous noirs et cosmologie, Les trous noirs dans la culture populaire.

Pour la visualisation, il montre d’abord sa simulation numérique d’un trou noir avec son disque d’accrétion réalisée en 1978[1]. Les premières images obtenues par télescopes du trou noir M87 (6 milliards de masses solaires) datent de 2019. Elles proviennent d’une masse « monstrueuse » de données numériques traitées par des superordinateurs pendant deux ans. Celle de notre trou noir galactique a été obtenue en 2022 après trois années de travail.

Du point de vue cosmologique, les estimations du nombre de trous noirs dans l’univers avoisinent les 40 milliards de milliards, en raison du grand nombre de trous noirs stellaires dans l’univers observable. Son rayon est évalué à 46 milliards d’années-lumière, compte tenu de la dilatation de l’espace, sachant qu’il est âgé de 13,8 milliards d’années. Les regroupements de galaxies ne peuvent s’expliquer qu’en supposant l’existence d’une matière noire non encore détectée. Cette hypothèse est aussi nécessaire pour expliquer les vitesses de rotation des galaxies spirales, ainsi que leur formation. On obtient des preuves de cette existence par des calculs de physique gravitationnelle et par des observations indirectes. Les réfuter supposerait une théorie alternative de la gravité. L’hypothèse que cette masse de matière noire serait constituée par des trous noirs primordiaux n’est pas suffisante pour expliquer son abondance prédite par le modèle cosmologique standard… Dans le futur, les trous noirs ne peuvent que s’agrandir. Les trous noirs géants situés aux centres des galaxies devraient finir par les absorber, mais seulement dans des milliards d’années et l’univers en expansion finira par les disperser, ils disparaîtraient dans 10105 années par évaporation quantique. Ces estimations conduisent à de nombreuses spéculations sur la nature de l’univers, lui-même un trou noir ? Son unicité ? Tant qu’une théorie de la gravitation quantique ne sera pas élaborée, la cosmologie en restera là.

Une des questions régulièrement posées demande s’il serait possible d’envoyer une sonde sur un trou noir ? Eh bien non, car trop éloignés, à plus de 1000 années-lumière pour le plus proche. De plus l’effet de marée aurait déchiqueté tout corps solide en approche. Le terme de « trou noir » donné par John Wheeler dans les années 60, a des effets anxiogènes auprès de nombreuses personnes. Les écrivains de science-fiction, les bandes dessinées, de nombreux auteurs de romans se sont emparés de ce thème catastrophiste. Jean-Pierre Luminet achève son ouvrage si complet sur les trous noirs par deux citations de Victor Hugo et Gérard de Nerval d’une prémonition surprenante de cet « affreux soleil noir d’où rayonne la nuit »[2].

Lu par Michel Henry

[1] www.cnrs.fr/fr/premiere-image-dun-trou-noir-un-chercheur-du-cnrs-lavait-calculee-des-1979.

[2] De Victor Hugo dans La légende des siècles.

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