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Michel Henry

Membre de l’UR

Les Cahiers Rationalistes
n°678-679

Les Cahiers rationalistes

L’athéisme mis à nu, enjeux contemporains

De Patrice Dartevelle et Serge Deruette (dir.), L’athéisme mis à nu, Enjeux contemporains. ABA Édition – Collection Études athées, mai 2022, 166 pages, 20 €

Après l’Histoire de l’athéisme en Belgique[1], Patrice Dartevelle, Serge Deruette et l’association Belge des athées, présidée par Marianne De Greef, nous livrent ce nouvel opus de leurs réflexions et études approfondies sur l’athéisme. Sur la quatrième de couverture, l’éditeur précise : « La confiance proverbiale des athées envers la science et le rationalisme est confrontée au double discrédit de la déconstruction postmoderne et de l’instrumentalisation de la science par des intérêts économiques peu scrupuleux qui n’hésitent pas à travestir la vérité scientifique[2] ». L’éditeur poursuit : « L’athéisme, quant à lui, loin d’être monolithique, engendre plusieurs types d’analyses et de positions politiques. Pourquoi toute affirmation claire de positions philosophiques consubstantielles à l’athéisme, comme le caractère purement humain des croyances, entraine-t-elle maintenant l’accusation d’irrespect des autres convictions ? » En « mettant à nu » l’athéisme, cet ouvrage s’efforce de poser ces questions, de les analyser pour les clarifier et les actualiser.

Introduit par Marianne De Greef, le livre reprend les contributions de Serge Deruette, Patrice Dartevelle, Caroline Sägesser, Pierre Gillis et Véronique De Keyser.

Serge Deruette (Université de Mons) s’intéresse à L’athéisme dans l’arène des enjeux politiques. Ces enjeux présentent plus de complexité qu’il n’y paraît en termes d’idées et d’engagements. Dans un court parcours historique, il cite l’abbé Meslier[3] critiquant les rapports étroits entre religion et gouvernement politique pour « désabuser les peuples » avant que d’Holbach et Diderot puissent apporter les lumières d’une pensée matérialiste. Nanti de cet héritage, le marxisme rejoint Jean Meslier en montrant, selon Lénine, que : « L’unité de la lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur terre nous importe plus que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis du ciel ».

Patrice Dartevelle pose ensuite la question Athéisme et (in)tolérance. Membre de la Ligue pour l’Abolition des lois réprimant le Blasphème et le droit de s’Exprimer Librement, il ne cache pas la difficulté de cette question, source de débats intenses en France depuis l’assassinat de Samuel Paty : si la loi encadre le droit de tout dire publiquement, a-t-on toute légitimité pour tenir des propos offensant envers des communautés, notamment blasphématoires de leur point de vue ? Car l’intolérance peut engendrer la violence voire l’intégrisme. L’intolérance athée revêt diverses manifestations, notamment dans l’opposition à la rétribution des prêtres par l’État, comme en Alsace-Moselle, ou à la construction de mosquées financées par les pouvoirs publics sous couvert d’associations culturelles. L’intolérance à l’égard des athées, plus discrète dans la sphère publique en Europe du nord, existe néanmoins. Par exemple les athées sont inéligibles dans sept États des USA, interdits en pays musulmans, en difficulté en Afrique. À l’opposé, la définition de la tolérance ne va pas de soi. Il est écrit dans les statuts de l’Association Belge des Athées : « la tolérance impose le respect des individus mais pas celui de leurs opinions, leurs traditions ou leurs croyances ». Cette phrase a suffi pour refuser à cette association la reconnaissance de son rôle officiel en Éducation permanente.

Caroline Sägesser dresse ensuite un tableau sur les Croyances et mécréances dans la Belgique d’aujourd’hui, statistiques à l’appui, la plupart issues de sondages. Elle traite successivement des sujets suivants :
– la répartition des principales convictions (remarquant : « à l’évidence, les enfants ne naissent pas croyants »);
le nombre des athées (en 2017, 54% de personnes déclarent ne pas croire en Dieu, sans pour autant se déclarer athée, sauf pour 19%);
– le financement public des cultes avec des données budgétaires (six cultes sont reconnus en Belgique plus la « laïcité organisée » inscrite en 1993 dans l’article 181 de la Constitution : « Les traitements et pensions des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle sont à la charge de l’État »);
– la fréquence des cours de religion et de morale no;n-confessionnelle, avec des histogrammes de la répartition des élèves dans ces différents cours;
– la pratique religieuse en déclin selon les décomptes de 1977 à 2007 pour l’Église catholique.

Caroline Sägesser conclut ce chapitre de données statistiques en décrivant Une société qui demeure marquée par une empreinte religieuse.

Dans le quatrième chapitre, Patrice Dartevelle enchaîne par une étude sur des effets pervers de l’effondrement des religions traditionnelles en Europe, à partir des données pour la France de l’enquête périodique décennale de l’European Values Survey, réputée pour sa rigueur méthodologique. La décatholicisation observée depuis 1881 est évidente : chez les 18-29 ans, on compte 28% d’athées, 39% sans religion, donc au plus 33% de croyants dont 13% de musulmans. Mais les athées pourraient subir quelques désillusions : la croyance en une vie après la mort passe de 33% à 41% et celle en l’existence du paradis de 26% en 1981 à 35%. Il faut donc relativiser les données de sondages sur les déclarations d’appartenance par rapport à la réalité des croyances irrationnelles. Ainsi, on observe un paysage religieux modifié. La montée de l’islam n’est pas le facteur essentiel. Dans le groupe des sans religion, par exemple, se recrutent 37% des tenants des thèses irrationnelles. Si l’on y adjoint les catholiques non pratiquants, on en trouve 56% ! Patrice Dartevelle prévient qu’à brève échéance, ce sont les athées qui vont se retrouver seuls pour mener la lutte contre un irrationnel primaire. La rapide croissance des « non-affiliés » (les « nones » dans le langage anglo-saxon) relève d’un besoin d’une autre spiritualité que dans les religions traditionnelles, c’est un phénomène nouveau qui reste à expliquer. Les désillusions qui ont suivi les « trente glorieuses », le rejet de la « modernité » n’y sont pas étrangers dans « un univers qui s’éloigne à grands pas de la raison et qui, dès lors, a besoin des athées », selon P. Dartevelle, surtout des rationalistes pourrions-nous ajouter.

Cela nous amène logiquement au cinquième chapitre : De la raison, plutôt que des signes extérieurs de scientificité…, signé par Pierre Gillis de l’Université de Mons.

Pour nous, Union rationaliste, nous nous reconnaissons dans ce titre pertinent. D’autant que l’auteur souligne la proximité entre athéisme et rationalisme dont « les lettres de noblesse ont été incarnées en France dans l’Union rationaliste ». Après avoir analysé les résurgences des superstitions anciennes[4], Pierre Gillis examine les dérives du scientisme. Notant que « les progrès des sciences du vivant ont suscité l’émergence d’ambitions un peu folles », comme le transhumanisme porté par « l’intelligence artificielle et les prothèses numériques [qui semblent promettre] la fin de l’homo sapiens »[5]. Comme nous le savons, le langage scientifique est usurpé, notamment, selon l’auteur, par la mathématisation du langage comme béquille d’une pensée invalide. Cette stratégie – somme toute assez rudimentaire – qui tente de s’approprier le langage de la science, procède de la fabrique de l’ignorance, titre emprunté aux réalisateurs d’Arte d’un paragraphe instructif. D’où le rôle de la nébuleuse des semeurs de confusion, abritant les organisateurs des conférences internationales climatosceptiques des années 2008 à 2012. Le statut du doute est alors perverti[6] pour aller vers les complots et le complotisme. Pierre Gillis conclut ainsi cette belle étude : « Pour sortir de l’impasse, la voie tracée par l’Union rationaliste est la seule possible : contre les experts stipendiés par les producteurs de nuisance, il faut restaurer le pouvoir critique de la science, et rétablir le lien rompu entre progrès social et progrès des connaissances ».

Le dernier chapitre est écrit par Véronique De Keyser, Présidente du Centre d’Action Laïque de Belgique. Ce chapitre demande : Croire ou ne pas croire, est-ce bien la question ? et commence par une dénonciation : « La Laïcité mère de tous les maux ? Alors que les fakes news, les thèses complotistes les plus folles circulent sur les réseaux sociaux, une maison d’édition respectable (La Découverte) se fait l’écho de cette thèse dans un livre de 2021 écrit par Mohamad Amer Meziane[7] : Des empires sous la terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation ». Véronique De Keyser commente : « L’attaque contre la laïcité est frontale (…). Ce courant de pensée religieux et pseudo-scientifique fait florès aujourd’hui auprès de celles et de ceux qui, sous couvert de la défense des peuples colonisés ou du climat, clouent au pilori la laïcité et son universalisme humaniste, tenus pour responsables et coupables ». L’auteure explique en peu de pages « comment au XXIe siècle la laïcité voit les croyances et peut être définie non pas comme un catéchisme, mais comme une force humaniste, à l’œuvre dans un monde bouleversé » et se propose de « faire la distinction entre connaissances, croyances et crédulité ». Elle parcourt successivement Les connaissances et les erreurs, Les croyances et la confiance en la source, La crédulité ? La vulnérabilité et la démocratie et appelle « à la création de Lumières radicales pour lutter contre les anti-Lumières qui se lèvent ». Véronique De Keyser poursuit : Et Dieu dans tout ça ? Croyance ou crédulité ? Elle note : « Partout en Europe, les églises continuent à faire obstacle aux avancées en matière de santé reproductive, de recherche sur les cellules souches, d’orientation sexuelle, de mariages entre personnes du même sexe, d’éducation sexuelle, ou même de cours de philosophie et de citoyenneté ».

L’auteure conclut : « Dès lors, c’est socialement et politiquement parlant qu’il faut placer la limite : celle qu’une croyance ne peut franchir sans toucher au modèle démocratique d’une société, sans porter atteinte à autrui ».

Je ne saurais trop recommander la lecture stimulante de ce beau livre, notamment aux adhérents de l’Union rationaliste.

Michel Henry

[1] Dartevelle, P. & Christoph De Spiegeleer (dir.), Histoire de l’athéisme en Belgique, ABA Éditions, 2021. Ce livre a fait l’objet d’une recension dans les Cahiers rationalistes, n° 675 de novembre-décembre 2021.

[2] Comme en témoigne la diffusion massive du livre Dieu, la science, les preuves. L’aube d’une révolution, de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies, diffusé par le groupe Bolloré. Voir à ce propos le dossier « Dieu, la science, les preuves », avec l’article de Jean-Paul Jouary, « Démontrer Dieu ? », et celui de Jean-Marc Levy-Leblond, « Dieu et la science : les preuves à l’épreuve », dossier publié dans le n° 675 des Cahiers rationalistes. Voir aussi la conférence de J.-M. Levy-Leblond (https://union-rationaliste.org/carte-blanche-a-jean-marc-levy-leblond/) donnée dans le cadre des Cartes blanches de l’UR, qui sont publiées dans les Cahiers rationalistes.

[3] Cf. l’article de Gerhardt Stenger, « Le curé Meslier (1664-1729) : un prêtre athée et révolutionnaire au XVIIIe siècle », dans Les Cahiers rationalistes n° 669 de novembre-décembre 2020.

[4] Ce qui ne pose pas de problème à l’ancienne ministre de la culture du Président Macron, Françoise Nyssen, cofondatrice en 2015 de l’École du domaine du Possible, dirigée par deux membres de la société anthroposophique, fidèle de la pédagogie Steiner à plus de 4 200 euros l’inscription d’un enfant.

[5] Citons parmi ces dérives scientistes la prétention du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, considérant que les cerveaux des enfants sont dès la naissance pourvus de structures algorithmiques, observables par imagerie par résonnance magnétique, l’autorisant à donner des instructions aux professeurs des écoles pour l’apprentissage de la lecture. Cf. l’émission de radio du 28 juillet 2019 (Les Cahiers rationalistes n°664 de janvier-février 2020) : Mettre le savoir au centre de l’École, pas le cerveau ! à propos du livre Neuropédagogie de Michel Blay et Christian Laval, ed. Tschann, 2019, objet d’une recension dans le n°660-661 de mai-août 2019.

[6] Pierre Gillis cite Stanton Glantz, médecin américain : « Plus les industries empêchent l’émergence d’un consensus scientifique, plus il leur est facile de lutter contre les poursuites judiciaires et contre la réglementation ».

[7] Agrégé et docteur en philosophie, professeur à l’Université Columbia de New York.

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