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Michel Naud

Ingénieur

07/04/2003

Liberté de conscience - Un regard sur les principes de la loi de 1905

Dans un peu plus de deux ans (le 9 décembre 2005) la fameuse “loi de 1905”, pas toujours bien connue, sujette à interprétations et souvent malmenée, aura 100 ans. De la construction européenne à la guerre en Irak en passant par le conflit du Moyen Orient, il n’est pas d’endroit sur la planète où un fondamentalisme religieux catholique, protestant, musulman ou juif, ou une idéologie d’État ne prétende dicter sa loi. Chacun aura pu constater, notamment dans la presse, que d’aucuns peaufinent déjà leurs arguments pour justifier une révision ou un “toilettage” de la loi de 1905. Loin de nous la tentation de faire référence à un âge d’or de la laïcité qui serait aussi mythique que les futurs messianiques proposés par quelques idéologies (pas toutes religieuses) ; loin de nous aussi de prétendre que cette loi serait entièrement cohérente ou serait en dehors de l’histoire : il est une évidence pour quiconque la lit qu’elle porte les stigmates de son temps, les cicatrices des combats qu’il a fallu mener et des compromis qu’il a fallu passer.

 Notre propos vise à mettre en lumière la laïcité que nous voulons, en l’occurrence la séparation totale des églises (et idéologies au sens large, y compris les différentes déclinaisons de l’athéisme) et des États pour notre quête-conquête-reconquête de la démocratie. Les rédacteurs de la loi de 1905 ont jugé utile de regrouper sous un chapeau introductif intitulé “Principes” les deux premiers articles de cette loi qui en compte quarante-quatre. L’objet de cette contribution est, sur la base d’une analyse de ces deux articles, y compris dans leurs contradictions, de montrer en quoi la loi de 1905 est une contribution essentielle et universelle sur la route de la démocratie et en quoi elle mérite d’être défendue et renforcée. Nous commencerons par citer ces deux premiers articles puis nous les commenterons brièvement l’un après l’autre avant de proposer quelques jalons pour nos actions futures.

LES PRINCIPES DE LA LOI DU 9 DECEMBRE 1905

 Article 1er : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

 Article 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

 LE PREMIER ARTICLE DE LA LOI DU 9 DECEMBRE 1905

 Comme nous étions en droit de nous y attendre les filiations du premier article de la loi avec l’histoire républicaine et notamment avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789) sont limpides. Nous retrouvons ainsi l’article 10 de la déclaration qui affirme que “ Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ”.

 De la même façon, la Constitution de l’an III (1793) stipulait dans son article 354 que “ Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi ” et le décret du 2 avril 1871 de la Commune de Paris qui rétablissait, pour quelque semaines avant de sombrer sous la répression, la “ séparation de l’Etat et des religions ”, reprenait ces motivations dans l’exposé des motifs : “ Considérant que le premier des principes de la République Française est la liberté ; considérant que la liberté de conscience est la première des libertés.”

 La logique peut paraître élémentaire à prime abord : le premier principe est la liberté et la première des libertés est la liberté de conscience, donc nul ne doit être inquiété pour ses opinions. Nous laisserons éventuellement à d’autres le vieux et difficile débat que nous avons connu nous-mêmes sur “liberté” et “libertés” puisque le manifeste rationaliste figurant en deuxième de couverture de nos Cahiers annonçait, il y a peu encore, parlant de l’Union Rationaliste qu'”elle lutte avant tout pour la liberté intellectuelle, pour toutes les libertés” alors que désormais “elle lutte avant tout pour la liberté, dans le respect de la loi de la République“.

 En revanche, nous ne pouvons pas ne pas remarquer la mise en relief réalisée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avec le “ même religieuses ”, comme si cela n’allait pas de soi. Cette distinction nous paraît toujours essentielle dans la conception de la laïcité que nous défendons. La mention “même religieuses” signifie tout d’abord, et à juste titre, que sont visés non seulement les ensembles d’idées religieuses (religions, cultes, églises, etc.) mais plus généralement toutes les opinions et systèmes d’idées (idéologies). De plus, pour reprendre un des autres motifs avancés par le décret du 2 avril 1871 de la Commune de Paris, en “ considérant, en fait, que le clergé a été complice des crimes de la monarchie contre la liberté ”, les principes républicains, en accordant à leurs ennemis cette liberté, s’inscrivent contre l’autre devise quelquefois proclamée : “ pas de liberté pour les ennemis de la liberté ”.

 Le premier article de la loi du 9 décembre 1905 réaffirme donc ce principe républicain (que nous faisons nôtre), affirmé pour toutes les opinions dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à savoir la liberté de conscience, et ce en notant bien : 

  1. qu’il s’agit d’une liberté de conscience conséquente puisque la libre manifestation des opinions est garantie, sous la seule réserve, du respect de l’ordre public, lui-même défini par la loi (expression de la volonté générale) ;
  2. que cette liberté et la garantie de son exercice s’appliquent même aux ennemis de la République, là encore sous la réserve du respect de l’ordre public. 

LE SECOND ARTICLE DE LA LOI DU 9 DECEMBRE 1905

Ce second article est plus complexe qu’il n’en a l’air. Sa première phrase établit que “ la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ”. La mémoire collective retient essentiellement le refus du financement public des cultes. Là encore, les antécédents sont presque aussi nombreux que pour le premier article. Nous retrouvons l’article 354 de la Constitution de l’an III qui précise que “ nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun ”, alors que la loi du 3 ventôse an III se contente d’affirmer que “ La République ne salarie aucun culte ” et que les attendus du décret du 2 avril 1871, renouant avec les considérants de la constitution de l’an III, mettaient en avant fort justement “ que le budget des cultes est contraire au principe [de la liberté], puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi. ”

Nous allons donc nous arrêter sur la notion de “ reconnaissance ”, puis revenir sur le concept de “ culte ” et enfin aborder la question du “ salariat ” ou de la “ subvention ” éventuelle des dits “ cultes ”, là aussi dans l’objectif d’approfondir notre réflexion sur la laïcité institutionnelle que nous voulons et non pour nous plonger dans les délices de l’histoire du droit.

 La “ reconnaissance ”

 On ne s’arrête effectivement pas assez souvent sur cette affirmation : “ La République ne reconnaît … aucun culte ”. Autant le premier article nous renvoyait à la Liberté, premier terme du triptyque républicain, autant ce second article commence en pointant sur le second terme du triptyque républicain, l’Egalité. “ Reconnaître ”, c’est assurer un statut (sans parler, pour le moment, du contenu de ce statut). Faire d’un culte une religion d’État (par exemple “ Church of England ” en Angleterre), c’est introduire une inégalité en droit entre citoyens : entre ceux qui adoptent ce culte et ceux qui ne l’adoptent pas. Élever, officiellement, pour l’ État, un culte au rang de “ religion de la majorité de la population ” d’une nation, comme le faisait encore il y a peu un chef d’État depuis plébiscité, est déjà une atteinte dans l’esprit : cette constatation, évidente sur le plan sociologique, ne peut être dressée par l’État, garant de l’égalité des citoyens.

 Au-delà, étendre cette reconnaissance à un ensemble de religions (typiquement réalisé dans les États alémaniques, ou, en France, dans les départements encore assujettis au Concordat, pour lesquels le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme sont reconnus) ne change rien à la question de l’inégalité de droit entre les citoyens adoptant l’un des cultes reconnus et ceux ne se reconnaissant dans aucun d’entre eux, et même se reconnaissant éventuellement dans un autre : la question du nombre de citoyens français d’Alsace ou de Moselle revendiquant l’islam aujourd’hui par rapport au nombre de citoyens français revendiquant leur judaïsme, du fait à la fois des ravages de la destruction des juifs en Europe et du développement de l’immigration maghrébine, a été bien évidemment soulevée au regard de ce “ droit local ”. Ainsi, affirmer que “ la République ne reconnaît aucun culte ” est effectivement un principe républicain fort découlant directement de l’égalité en droits. La laïcité (celle que nous défendons) est donc contradictoire tant avec un culte d’État qu’avec la mise en œuvre d’un quelconque pluralisme.

 Chacun aura, bien entendu, noté que les précisions de la fin de ce même deuxième article contredisent l’interprétation que nous préconisons puisqu’il y est dit que “ pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ”.

 Cette “rallonge budgétaire”, étonnamment élevée au rang de “principe” et témoignant à l’évidence de débats et rapports de force historiquement datés, était censée assurer la garantie du libre exercice de leur culte pour les citoyens (actuels, ou futurs dans le cas des élèves mineurs, ou anciens dans le cas de détenus ayant perdu leurs droits civiques, ou “ailleurs” pour parler des aumôneries aux armées en charge du repos spirituel de nos guerriers en opération) privés de leur liberté de mouvement. L’argumentaire s’abrite donc derrière l’article 1 pour contredire en douceur la première phrase de l’article 2. C’est grâce à une approche comparable que les moyens de radiodiffusion publique ont établi des émissions cultuelles sur France 2 et sur France Culture le dimanche matin, émissions ouvertes, à la télévision, à un pluralisme officiel (catholiques, juifs, musulmans, orthodoxes, protestants et bouddhistes), pluralisme s’élargissant, avant la radiodiffusion de l’office catholique sur France Culture, par une émission consacrée à “ divers aspects de la pensée contemporaine ” (Grande Loge de France, Grand Orient, Libre Pensée, Union Rationaliste).

 De proche en proche, cette institutionnalisation du pluralisme aboutit à la négation des principes républicains que nous défendons, la contradiction apparaissant au grand jour depuis que l’église catholique est en mesure d’assurer son propre canal télévisuel, financé par elle-même et diffusé par les moyens de satellite : quelle est la justification “républicaine” du “ service public cultuel ” ?

 Chacun aura constaté que nous bénéficions (peu certes mais nous bénéficions !) de ces largesses plurielles. Conscients que nous sommes du caractère fallacieux de ces diffusions, devons-nous alors nous priver, en ce qui nous concerne, des tranches d’antenne que le pluralisme à prétention républicaine nous offre ? Devons-nous, qui plus est, comme certains de nos amis le demandent de façon récurrente, revendiquer que, comme à France Culture, la télévision publique nous accueille le dimanche matin avant la messe (ou après) pour délivrer notre message de mécréant ?

 Le concept de “ culte ”

 Nous avons une nouvelle fois franchi, avec le service public de l’information, la frontière stricte des “ religions ” puisque le pluralisme qui prétend y régner (un pluralisme sur liste “ fermée” ) entend faire profiter de sa manne les “ divers aspects de la pensée contemporaine ” issus des Lumières.

La rédaction en termes de “ cultes ” est historiquement datée. Il apparaît clairement qu’aujourd’hui, en conformité avec l’interprétation de l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen que nous avons défendue, c’est à l’ensemble des idéologies et non aux seules idéologies religieuses qu’il conviendrait d’appliquer tant le premier article de la loi de 1905 que la première phrase de son second article. Nous considérons qu’il ne saurait y avoir d’État laïque qui adopterait une idéologie officielle (ce qui exprime d’ailleurs que la laïcité, principe de philosophie politique, ne saurait être une idéologie – même si ce principe est incompatible avec certaines idéologies -, sinon il y aurait contradiction dans les termes). En particulier, il ne saurait y avoir un État athée qui serait laïque, même en garantissant la liberté de conscience.

 La question du financement public

 Avec la question du financement public, nous revenons sur le terrain concret des batailles régulières. Chacun a en mémoire aussi bien ce qui est relatif au financement public des écoles confessionnelles (mais également “communautaires” comme les Diwan, etc.) que les “affaires” qui ont chahuté, à juste titre, notre actualité du combat laïque, des subventions ayant contribué, sous couvert d’un musée, au financement de la cathédrale d’Evry, aux financements publics directs ou indirects des dernières visites pastorales du pape des catholiques (certaines collectivités territoriales de l’Ouest ont d’ailleurs été condamnées par les tribunaux, sur plaintes de citoyens, pour non respect de la loi de 1905). La question du financement permet d’illustrer la rupture d’égalité républicaine entre citoyens, et ce même dans le cas de l’instauration d’un pluralisme comme pour les impôts religieux en vigueur en Allemagne ou en Suisse.

 On devrait aussi élargir une nouvelle fois la problématique aux idéologies et non aux seules religions. Ainsi, le questionnement de la laïcité plonge aussi au cœur de notre système politique : que penser, au regard de la laïcité, du financement public des partis politiques ?

 En guise de conclusion

 Comme nous le disions en introduction, l’objet que nous poursuivions n’était pas de faire une analyse juridique ou historique de la loi de 1905 et de sa contribution originale et historiquement datée à la laïcité institutionnelle. À n’en pas douter, dans la perspective de son centenaire, il ne manquera pas d’analystes pour le faire. Notre objet n’était pas non plus de rechercher si le contexte d’aujourd’hui nécessiterait un “toilettage” ou une “révision” de la loi de 1905, par exemple pour la rendre compatible avec une intégration dans une Europe pour le moins étrangère à la laïcité, pour répondre à l’évolution de la sociologie ou de la démographie religieuses de la France tout au long du siècle écoulé, ou pour intégrer les élans communautaristes de toute nature que nous déplorons. Nous n’oublions pas que la loi de 1905 fut partiellement été remise en cause par l’État français de Vichy et n’a pas été réinstallée correctement à la Libération. La première question qui doit, dans cette logique, se poser est alors celle de son rétablissement …

 Notre propos ici est d’affirmer haut et fort que nous faisons nôtre ce premier des principes de la République Française qui est la liberté ; que nous faisons nôtre cette affirmation des Communards que la liberté de conscience est la première des libertés ; que nous faisons nôtre ce deuxième principe de la République Française qui est l’égalité, et qu’au nom de l’égalité des droits il convient donc de ne reconnaître aucun culte et aucune idéologie, cette absence de reconnaissance trouvant une de ses déclinaisons pratiques par l’abandon de tout salaire et de toute subvention de la part de la puissance publique.

 Nous considérons donc que si décidons de réfléchir, au sein de l’Union Rationaliste et avec les organisations qui partagent la même approche de la laïcité institutionnelle, à l’élaboration de propositions, par exemple dans la perspective de la préparation du congrès mondial de l’Union Internationale Humaniste et Laïque (IHEU) qui se tiendra en 2005 à Paris sur le thème de la séparation des églises et des États, association internationale dont l’Union Rationaliste est membre, nous devrions retenir comme objectif de faire un pas de plus, si possible décisif, vers une séparation totale des églises et des États et notamment vers une non reconnaissance stricte de toutes les idéologies, y compris religieuses, et ne pas accepter de rentrer dans les débats de mise à jour des listes de reconnaissance sélectives.

 C’est ainsi que l’initiative récente du Gouvernement, faisant suite aux efforts de Chevènement, d’”associer le culte musulman à la République”, par la contradiction évidente entre la démarche poursuivie et les principes de laïcité que nous défendons et que nous venons de synthétiser, plonge nos débats et les nécessaires initiatives qu’il faudra prendre, sous le drapeau de l’Union Rationaliste et mais aussi avec nos amis (à l’image du colloque organisé à Bordeaux ce 24 mai), au cœur de l’actualité de ce combat permanent pour la laïcité institutionnelle, condition nécessaire de la démocratie.

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