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Michel Cabirol

Président du comité de liaison des Cercles Condorcet, consultant en stratégie

Les Cahiers Rationalistes
n°668

Cahier Rationaliste N° 668 septembre-octobre 2020

 > Document transition écologique <

L’électricité dans la transition énergétique

  1. PANORAMA GLOBAL [1]
 L’électricité tient une place à part dans le mix énergétique : ce n’est pas une  énergie  directement  disponible  dans  la  nature.  Sa  production  est  le résultat d’un processus industriel où une énergie primaire (pétrole ou charbon, vent ou énergie solaire, énergie potentielle d’une chute d’eau) est convertie en électricité. La production mondiale d’énergie dite primaire représente, en 2017, 14 milliards de tonnes d’équivalent pétrole (TEP). Les énergies fossiles classiques atteignent 81 % du total et l’électricité « directe » (nucléaire, hydraulique, EnR et un peu de biomasse) 10 % du total. Note : on peut d’ores et déjà remarquer la part marginale des énergies renouvelables mises en avant en général que sont le solaire et l’éolien dans la production mondiale d’énergie (2 %). En revanche, l’électricité représente une part bien plus importante de la consommation finale d’énergie (18,6 %) par rapport aux 10 % du graphe précédent.
Note : en 2017, la consommation mondiale d’énergie a atteint 9,72 GTEP en phase avec la croissance de long terme de 1,7 à 1,8 % par an.
  1. PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ
 En comparant les chiffres de production de 2017 (14 GTEP) à la consommation finale (9,72 GTEP), on remarque que le système comporte des inefficacités fortes : le rendement n’est que de 69 %. Ceci s’explique par :
  • Les besoins internes pour la production des produits : par exemple, le forage pétrolier ;
  • Les pertes (déchets générés lors du raffinage des produits pétroliers, fuites des réseaux, pertes en ligne de l’électricité par effet Joule qui avoisinent les 10 % [2].
Toutefois, la principale source de perte (en sus des pertes en ligne) provient des inefficacités de production de l’électricité. Les « intrants » représentaient 4,15 GTEP en 2017.
Ce graphe montre :
  • Que le pétrole n’est quasiment plus brûlé pour générer de l’électricité. Il a souvent été remplacé par du gaz (28 % de la production mondiale de gaz) ;
  • Mais surtout que 45 % du charbon extrait sert à nourrir des centrales électriques thermiques. C’est un problème majeur quand on sait que la combustion du charbon est très polluante (GES mais aussi particules). Le charbon sert de combustible dans des pays en développement, surtout en Chine et en Inde. Le prix du charbon a beaucoup baissé suite à l’exploitation intensive du pétrole et du gaz de schiste aux USA.
Les 4,15 Mds TEP d’intrants ne génèrent que 1,8 Mds TEP d’énergie électrique. Si on admet une perte de distribution de 10 % pour le nucléaire,  les Énergies Renouvelables y compris l’hydroélectricité, le rendement global pour les énergies fossiles n’est que de moins de 25 % (le gaz étant meilleur que le charbon). Ce panorama est cohérent avec les émissions de GES par pays : les pays riches en hydrocarbures ou en charbon sont les plus gros émetteurs de GES. En revanche, des pays comme le Brésil (hydraulique et biomasse) ou la France (nucléaire) sont beaucoup plus vertueux. Il est à noter que 20 pays représentent 78% des émissions de GES (32,3 GtCO2 en 2016 selon l’AIE) et qu’un seul est Africain (Afrique du Sud).

3. CONSOMMATION D’ÉLECTRICITÉ

L’électricité possède de nombreux inconvénients :
  • très faible part, aujourd’hui, de la production par des EnR ;
  • risques liés au nucléaire (déchets et exploitation) ;
  • forte consommation d’énergies fossiles pour sa production donc fortes émissions de GES ;
  • faibles rendements de la conversion de l’énergie thermique en énergie électrique ;
  • stockage difficile en grande quantité ;
  • pertes qui deviennent significatives lors de transport sur des distances dépassant quelques centaines de kilomètres hors Très Haute Tension.
Malgré ces inconvénients, l’électricité a des avantages très importants :
  •  praticité en particulier pour alimenter d’innombrables moteurs et disponibilité ;
  • mise en œuvre immédiate, pour l’éclairage notamment ;
  • propreté locale pour les usagers ;
  • production naturelle des EnR ;
  • facilité de transport sur de courtes distances et de distribution locale.
Cette « modernité » de l’électricité et ses avantages induisent une croissance constante de son usage : près de 3 % par an par rapport à une croissance globale de la consommation d’énergie de 1,8 % par an.
L’électricité est utilisée à 42 % dans l’industrie (moteurs, électrolyse…), à 22 % pour les appareils domestiques et les ordinateurs, à 15-20 % pour le chauffage et le refroidissement de l’air et à 15-20 % pour d’autres usages (dont les transports). La Chine et les USA consomment près de la moitié de l’électricité mondiale.
Cet appétit pour l’électricité ne devrait pas faiblir dans le futur car  plus d’un milliard d’habitants n’ont pas accès à l’électricité et 2 milliards d’habitants n’ont accès qu’à de la biomasse (souvent du bois) pour faire cuire leurs aliments. La consommation d’électricité de l’Afrique en 2016 représentait seulement 1,5 fois celle de la France ! En outre, le développement du numérique ou des transports en commun, voire des voitures électriques, seront des facteurs forts de croissance de la consommation. D’ici à 2040, selon l’AIE, la croissance de la consommation d’électricité atteindra 12000 à 15000 TWh, soit plus de 50 % de la production de 2016 qui était de 23000 TWh (la moitié de cette croissance sera le fait de la Chine et de l’Inde). Cette augmentation nécessaire de production d’électricité plus la conversion du mix d’intrants actuel (cf. page 3), qui fait la part belle aux énergies fossiles est un défi majeur pour la planète. En effet, en 2017, près de 70 % de la production d’électricité en Chine provenaient de centrales à charbon. Malgré une forte croissance, le nucléaire et les EnR restent à un niveau faible.
L’AIE [3] prévoit une  croissance  annuelle  des  énergies  éolienne  et  solaire  de 125 GW par an de 2017 à 2040. Avec un rendement moyen de 25 %, ceci conduirait à une production additionnelle de 6200 TWh soit environ  la moitié seulement de la croissance de la demande mondiale d’électricité.
  1. L’EXCEPTION FRANÇAISE
La consommation Française a triplé entre 1973 et 2010 et elle s’est stabilisée depuis aux alentours de 475 TWh (2 % de la consommation mondiale). Dès le début de la crise pétrolière en 1974, la France a fait le pari de l’électronucléaire : 46 réacteurs ont été mis en service entre 1978 et 1988. Actuellement, la France possède 56 réacteurs répartis en 19 centrales. Ceci a conduit à deux particularités Françaises :
  • l’électricité représente 45 % de la consommation totale d’énergie primaire en France de 250 MTEP (vs 19 % au niveau mondial) ;
  • le nucléaire fournit 70 à 75 % de la production électrique française.
Ce graphe montre le dilemme de la transition énergétique en France :
  • faut-il favoriser le développement de l’électricité, notamment dans les transports, pour diminuer les émissions de GES ?
  • ou bien faut-il privilégier la substitution du nucléaire par des EnR en maintenant les émissions de GES à leur niveau actuel ?
Dans tous les cas, il faudra chercher à réaliser un maximum d’économies d’énergie. 
  1. CONSÉQUENCES ET CONCLUSIONS
Les qualités de l’électricité, malgré ses inconvénients et la  nécessité  de faire des économies d’énergie, pousseront à une croissance soutenue de cette source d’énergie à moyen terme. La production mondiale actuelle d’électricité provient à 80 % d’énergies fossiles qui génèrent un énorme volume de GES. En conséquence :
  • il faut maximiser la sobriété énergétique ;
  • il faut investir massivement dans les énergies renouvelables (éolien et solaire) notamment pour satisfaire la croissance de la demande (soit près de 200 Mds€ par an en solaire et éolien pour suivre le plan de l’AIE). Ceci sera surtout vrai pour les pays émergents où il faudra essayer de mettre en place des sources d’énergie décarbonées dès le début. En outre, certaines énergies renouvelables permettent des productions décentralisées qui minimisent les pertes liées au transport et qui permettent de bâtir des réseaux plus résilients ;
  • le stockage de masse et dans la durée (pas seulement journalier mais aussi inter saisonnier) de l’énergie est un défi technologique majeur pour les EnR ;
  • un débat citoyen doit être tenu pour déterminer la priorité entre la réduction des GES et la sortie du nucléaire. Si la maîtrise du climat et des émissions des GES est prioritaire, la construction de centrales nucléaires nouvelles est nécessaire à court et à moyen terme.
Enfin, les analyses précédentes montrent que l’avenir du climat sur terre se joue essentiellement en Chine, en Inde et aux USA, voire en Afrique. L’Europe se doit d’être vertueuse mais son impact sera limité. Certes, en étant exemplaire, elle est susceptible d’entrainer des initiatives/mesures à l’échelle mondiale. En effet, il faut traiter le problème du climat de façon mondiale en remettant en place des instances multilatérales. Les enjeux sont tels qu’il faut créer des organismes mondiaux de régulation et de planification. Il faudra aussi organiser des transferts financiers significatifs vers les pays émergents pour qu’ils gèrent au mieux l’évolution de leur production d’énergie sans que ces transferts ne génèrent de l’inflation ou de la corruption. La situation politique mondiale actuelle n’incite pas l’optimisme sur ces deux derniers points.
Notes : – les évolutions fondamentales sont très lentes dans le domaine de l’énergie et que des conclusions émises à un moment donné restent valables pendant plusieurs années – l’industrie nucléaire rencontre des difficultés actuellement (perte de savoir-faire de la filière française et explosion des coûts, problème de production lié à des nécessités d’entretien supérieures aux prévisions, limitation de la production par manque d’eau pour le refroidissement, …). Ces sujets devront être traités d’urgence pour permettre le nécessaire développement de la filière nucléaire mais aussi pour que la France garde son rang dans ce domaine.
Michel Cabirol Président du comité de liaison des Cercles  Condorcet Consultant en stratégie Ancien élève de l’Ecole des Ponts & Chaussées MBA Harvard Business School

[1] Les données utilisées dans ce document proviennent de l’Agence Internationale de l’Energie sauf spécification contraire. Dans tout ce document : M désigne 1 million d’unités  106 G désigne 1 milliard d’unités 109 T désigne 1.000 milliards d’unités 1012 TEP signifie Tonne équivalent pétrole Wh : Watt·heure t : tonne EnR : énergies renouvelables classiques : éolien et solaire surtout.

[2] Source Enedis, RTE : Les pertes en ligne du réseau RTE sont de 2 à 2,5 % mais celles de la distribution capillaire d’Enedis sont d’environ 6 %. En outre, il faut rajouter les pertes dans les transformateurs et les pertes accidentelles. D’où un total de près de 10 %. Ensuite, il y a des inefficacités liées au pompage turbinage de l’eau pendant les périodes creuses et aux dépenses d’énergie demandées par l’enrichissement de l’uranium.

[3] World Energy Outlook 2016 (p. 412) et WEO 2017 présentation du 14 novembre à Londres (p. 6-7).

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