Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Jacques Haïssinski

Professeur Émérite au Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire.

Roland Borghi

Retraité, professeur des universités, ingénieur de l’aéronautique.

21/06/2023

 > Document transition écologique <

Climato-scepticisme et variations de la température de la Terre dans le passé

Auteur : Roland Borghi et Jacques Haïssinski

Par ignorance ou par mauvaise foi, les « climato-sceptiques[1] » rejettent l’urgence d’une transition écologique. Ils sont encore nombreux, notamment aux États-Unis, et parfois très influents par les pressions qu’ils exercent sur des responsables politiques. Parmi eux, il faut distinguer (i) ceux qui nient que le réchauffement actuel soit sans précédent, (ii) ceux qui admettent que le réchauffement actuel n’a pas d’équivalent dans le passé mais qui nient son origine anthropique, et (iii) ceux qui admettent l’origine anthropique du réchauffement actuel mais nient la gravité de ce dernier.

Plutôt que d’une analyse scientifique, certaines de ces prises de position résultent d’un a priori idéologique ou d’intérêts personnels (c’est le cas le plus fréquent) – mais on se doit d’y répondre.

  Reformulons l’argument (i) ci-dessus[2] de la façon suivante : « Pourquoi le réchauffement de la Terre observé actuellement serait-il exceptionnellement inquiétant alors que météorologistes et climatologues ont identifié dans le passé des épisodes météorologiques et des variations de température à la surface de la Terre qui, parfois, ont eu des effets encore plus spectaculaires que ceux dont nous sommes témoins aujourd’hui? »

En l’an 1303, la sécheresse qui a affecté l’Europe fut telle que l’on pouvait traverser le Rhin à pied sec[3]. L’Amérique du Nord a connu plusieurs « méga-sécheresses » pendant la période médiévale. La présence d’arbres aujourd’hui noyés dans des lacs, par exemple le lac Fallen Leaf dans la Sierra Nevada (États-Unis), a été interprétée[4] comme résultant de l’une de ces périodes qui aurait asséché le lac permettant aux arbres de pousser à son emplacement.

Entre le début du 14ème siècle et la moitié du 19ème, le pourtour de l’Atlantique nord ­– et peut-être d’autres régions – a connu un « petit âge glaciaire », un refroidissement climatique qui dura environ 550 ans[5]. Sans qu’il y ait un consensus sur la cause (ou les causes) de ce refroidissement, la plus plausible est la dispersion dans toute l’atmosphère d’aérosols provenant de plusieurs gigantesques éruptions volcaniques qui auraient pris place en Indonésie, peut-être accompagnée d’une activité solaire plus faible. Pendant le « Grand  Hiver » de 1709, la France fut saisie d’un froid polaire[6], les températures ont alors chuté jusqu’à – 20 °C. « Les loups, les sangliers, les cerfs, les biches et les ours sont décimés. Le froid fait geler les puits, les étangs, les rivières grandes et petites, et même les bords de mer, où les poissons périssent […] le vin gèle dans les carafes, des chevaux errent, portant parfois leurs cavaliers morts de froid ». La moyenne de la température en Europe durant ce petit âge glaciaire fut inférieure de 1 à 2°C (des valeurs plus importantes sont parfois citées) par rapport à la moyenne des deux siècles précédents.

Certains climato-sceptiques invoquent aussi les variations de température du Groenland sur la base de récits relatant les migrations des Vikings qui ont débuté vers la fin du 10ème siècle. Toutefois l’étude de l’étendue des glaciers du Groenland lorsque les Vikings y habitaient n’indique pas que cette île connaissait un climat particulièrement favorable à cette époque-là. (Certes, le Groenland fut une « Terre verte », mais c’était il y a plusieurs centaines de milliers d’années.)

Donnons un dernier exemple de variation du climat dans le passé : si on remonte le temps au-delà de 5 000 ans, on découvre que le Sahara était alors couvert d’une végétation tropicale.

De telles références à des changements de la température de la Terre ou à des événements d’extrême sécheresse cherchent à brouiller les conclusions du GIEC – aujourd’hui fermement, scientifiquement établies. Trois caractères distinguent fondamentalement le réchauffement actuel des variations de température antérieurs :

  • Le réchauffement actuel est extrêmement rapide (environ 1° C en 60 ans), ce qui n’est pas le cas des épisodes climatiques du passé. Dans le cas du petit âge glaciaire, la baisse de température (voir plus haut) fut de 0,3 – 0,4 °C et cette variation de température a mis plus d’une cinquantaine d’années pour s’établir, ainsi que pour disparaître.
  • Le réchauffement actuel affecte la Terre dans sa globalité, ce qui n’est pas le cas des variations de température antérieures, sauf peut-être pour ce qui est du petit âge glaciaire dont l’extension en dehors de l’hémisphère nord n’est pas connue.
  • Il est accompagné d’une augmentation de la concentration de dioxyde de carbone (le CO2) et de quelques autres gaz (méthane, CH4, protoxyde d’azote, N2O) dans l’atmosphère dont la rapidité est sans précédent : la concentration du CO2 dans l’atmosphère a augmenté de plus de 30% ces soixante dernières années. Aucun épisode comparable n’a pris place depuis des centaines de milliers d’années. Plus précisément, toutes les glaciations depuis -700 000 ans ont montré une baisse de CO2, à environ 200 ppm[7], alors qu’il a été proche de 280 ppm entre ces glaciations et jusqu’à l’année 1900, et qu’il est monté à 413 ppm en 2020.

Or, des lois de la physique montrent que cette augmentation du CO2 atmosphérique s’accompagne nécessairement d’une augmentation de la température de notre planète. Déjà, vers 1824-1825, Joseph Fourier avait constaté que l’atmosphère était relativement transparente au rayonnement solaire, mais qu’elle absorbait fortement celui émis par la surface de la Terre vers l’espace[8]. Il parlait de « chaleur obscure » pour ce dernier rayonnement (il s’agit de rayonnement infra-rouge), alors  que celui émis par le Soleil couvre un spectre bien plus large (en particulier toute la partie visible). Plus tard (1896), Svante Arrhenius (prix Nobel en 1903 pour ses travaux en chimie) a identifié cette absorption infrarouge comme due au CO2 et à la vapeur d’eau de l’atmosphère, et a même estimé l’augmentation de température qui résulterait d’un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Les travaux effectués depuis en laboratoire sur l’absorption de rayonnement par les gaz ont montré ensuite que le méthane, le protoxyde d’azote et les produits polluants clorohydrocarbonés absorbent, eux aussi, le rayonnement infrarouge. On appelle maintenant cet effet « effet de serre », parce que le vitrage des serres agricoles piège de la même façon le rayonnement émis par le sol. Il est d’autant plus efficace dans l’atmosphère que la concentration de CO2 est élevée, et joue aussi la nuit, puisque l’émission est due à la température du sol, qui a été chauffé le jour.

La forte corrélation ainsi attendue entre les variations de la concentration du CO2 dans l’atmosphère et les variations de température de la Terre a effectivement été confirmée – s’il en était besoin – par l’analyse des carottes glaciaires antarctiques et du Groenland. Celles-ci permettent de déterminer, au fil des ans, la température de la Terre dans ces régions et la teneur de l’atmosphère en CO2 sur une période de centaines de milliers d’années[9].

Étant donné que l’on observe une augmentation du contenu en CO2 de l’atmosphère depuis environ 100 ans, l’augmentation de la température moyenne de la surface de la Terre pendant cette période n’est pas une surprise[10] !

Les sciences de l’atmosphère et de la (très fine) couche de biosphère à la surface de la Terre, en particulier notre connaissance du « cycle du carbone », ne peuvent expliquer cette augmentation rapide du CO2 autrement que par les activités humaines qui provoquent la combustion d’énormes quantités de produits carbonés fossiles[11]. Il s’agit, notamment, de l’activité industrielle qui a beaucoup augmenté durant les 100 dernières années – bien plus que dans les 2000 années précédentes, période pendant laquelle la teneur en CO2 de l’atmosphère a très peu changé.

La synthèse des innombrables études portant sur le système Terre-Océan-Atmosphère dans le passé a permis de modéliser et par là même d’expliquer les variations de la température de la surface de la Terre depuis des centaines de millions d’années[12] et, beaucoup plus en détail, pendant ces deux derniers millénaires. Ces modélisations numériques détaillées de l’évolution de l’atmosphère ont été faites depuis longtemps (spécialement depuis que l’on sait que la couche d’ozone est attaquée par les CFHC des réfrigérateurs et par les oxydes d’azote lorsqu’ils sont dégagés à haute altitude, comme c’était le cas pour les avions Concorde). De tels modèles sont encore développés dans plusieurs dizaines de laboratoires de différents pays. Les codes numériques qui en résultent sont des extensions de ceux qui servent aux calculs météorologiques ; ils s’en distinguent par leur maillage spatio-temporel, moins dense mais considérablement plus étendu. Ils incorporent de très nombreuses connaissances de différents domaines de physique, de chimie, de mécanique des fluides et de biologie, en particulier celles portant sur l’absorption de lumière par les gaz  faites en laboratoire, cf. plus haut. Les lentes variations des paramètres astronomiques dont dépend le flux énergétique reçu par notre planète en provenance du Soleil sont prises en compte, ainsi que l’activité volcanique passée et actuelle de la Terre[13]. Les calculs sont validés par les nombreuses données expérimentales publiées au fil des ans. La recrudescence des phénomènes météorologiques extrêmes actuellement constatée s’interprète aussi dans le cadre de ces modélisations. 

Les nombreux phénomènes physico-chimiques et biologiques qui interviennent dans ces modélisations font que celles-ci doivent décrire une dynamique très complexe. Certains parmi ces paramètres sont pris en compte de façon plus rigoureuse que d’autres ; s’il apparaît que les résultats sont très sensibles à l’un ou l’autre d’entre eux, des études additionnelles sont effectuées. Il s’ensuit des incertitudes que l’on sait évaluer sur les résultats de ces modèles. Les milliers de travaux portant sur ceux-ci ont permis de les rendre plus précis et surtout plus fiables.

Les prévisions concernant l’évolution du climat dans les années qui viennent sont faites selon plusieurs scénarios. Dans chacun d’eux, une hypothèse est faite sur les émissions mondiales futures de gaz à effet de serre. Des codes de calcul permettent alors de prévoir ce qui se passera dans chacun de ces scénarios, et même de le faire région par région sur le globe.

Compte tenu des incertitudes qui affectent données, calculs et hypothèses, ces prévisions sont formulées en termes de probabilités. Bien sûr, les calculs ne s’accompagnent pas de recommandations pour ce qui est des mesures socio-économiques à prendre dans le futur, ceci reste toujours de la responsabilité des populations et de leurs gouvernements, mais ils permettent de faire des choix rationnels[14].

Roland Borghi et Jacques Haïssinski, juin 2023

[1] Nous utilisons cette dénomination (climato-sceptiques) parce qu’elle est bien plus utilisée – nous semble-t-il – que « climato-dénialistes » ou « climato-négationistes », mais le scepticisme dont il est question ici n’est pas de même nature que le scepticisme qui contribue à faire progresser les sciences.

[2] Cet argument, fondé sur le fait que le climat a changé de nombreuses fois dans le passé et « donc » que le changement actuel n’est peut-être pas dû aux activités de l’homme, est sans doute le plus fréquent.

[3] http://la.climatologie.free.fr/secheresse/secheresse1.htm

[4] https://www.discovermagazine.com/environment/the-alien-world-of-deepwater-research#.Uqqt8PRDuSo

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Petit_%C3%A2ge_glaciaire

[6] https://www.historia.fr/1709-les-terribles-ravages-du-%C2%AB-grand-hiver-%C2%BB,
https://www.caminteresse.fr/environnement/coup-de-froid-sur-leurope-au-xviiie-siecle-qui-est-le-coupable-11125856/

[7] [7] ppm = partie par million.

[8] https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/decouverte-effet-de-serre-au-giec/#2_Decouverte_de_leffet_de_serre

[9] http://images.slideplayer.fr/3/1314329/slides/slide_3.jpg

[10] D’autres facteurs contribuent aux changements de la température de la Terre, le niveau moyen de l’activité du Soleil par exemple.  Ces autres facteurs ont des constantes de temps beaucoup plus longues.

[11] On observe aussi une (faible) baisse de l’oxygène dans l’atmosphère, ce qui signe une combustion.

[12] https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_climat_avant_1850

[13] Ces programmes de calcul offrent la possibilité d’« éteindre » toutes les contributions anthropiques.

[14] Les modélisations n’incluent pas une évolution possible, dans le futur, des tâches solaires – évolution qui pourrait abaisser la température – puisque ces tâches sont totalement imprévisibles. Il serait absurde de « miser » sur elles pour que le réchauffement que nous connaissons ait des effets moindres.

Venez découvrir

Les Cahiers Rationalistes

Venez découvrir

Raison Présente

Podcast

RECHERCHE PAR THÈME

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *