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Gérard Fussman

Agrégé de lettres classiques – Professeur honoraire au Collège de France

Les Cahiers Rationalistes
n°658

Les Cahiers Rationalistes N°658 janvier-février 2019

Le rouge et le noir

On assiste depuis quelque temps à un regain d’épidémies de rougeole. La rougeole est une maladie d’origine virale (les antibiotiques sont donc inefficaces), très contagieuse et, dans de rares cas, mortelle. Un vaccin très efficace est disponible depuis 1966 en France. Il n’y a pas d’effet secondaire. Le lien établi par certains entre vaccination et autisme s’appuie sur  un article de 1998 depuis longtemps dénoncé comme un faux  scientifique,  celui du chirurgien britannique  Andrew  Wakefield.  Un  chirurgien  n’est  pas un épidémiologiste. Le refus de vaccination s’est néanmoins répandu non seulement dans des pays du tiers et du quart monde, mais même dans des pays dont la population est depuis longtemps entièrement scolarisée : l’Ukraine, la France et l’Ouest des USA. D’où la réapparition de nombreux cas de rougeole et quelques morts.

On verra dans ce numéro que les 21 et 22 février derniers un colloque de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) consacré à l’histoire de l’extermination des juifs polonais de 1940 à 1945 a été plus que chahuté par des nationalistes catholiques polonais qui ne supportaient pas que l’on évoque l’antisémitisme polonais. Or rien n’est plus connu. Les exactions des Polonais antisémites (tous ne le furent pas) et les massacres systématiques commis par les nazis ont fait qu’il n’existe presque plus de juifs en Pologne : beaucoup avaient déjà fui ce pays avant 1940. Mais l’antisémitisme reste, au moins chez certains.

De ces deux faits on retiendra que l’information et l’école ne peuvent pas tout. Il reste toujours une frange d’individus que rien ne peut convaincre. Cela ne vaut pas seulement pour les vaccinations et l’antisémitisme. Dans notre beau pays où le bon sens est censé être la chose du monde la mieux partagée, on trouve une quantité de médecins homéopathes, des astrologues qui gagnent fort bien leur vie, et même quelques sorciers qu’on appelle désormais tradithérapeutes. Toutes les fins de semaine des jeunes gens, pourtant bien avertis des dangers de l’alcool et de la vitesse, après une soirée arrosée trouvent la mort dans des voitures surchargées.

Dans certains cas on peut réprimer et passer outre aux protestations d’une partie, parfois importante, de la population  qui  ne  comprend  pas des mesures dont l’objet est pourtant évident. Les enfants non vaccinés ne peuvent plus être scolarisés ; les fous du volant, les ivrognes sont ou devraient être sanctionnés. Les astrologues et homéopathes, rarement à l’origine de graves accidents, ne gênent personne. On peut seulement regretter que les consultations et médicaments homéopathiques soient encore partiellement remboursés par la Sécurité Sociale.

Mais interdire la désinformation n’est pas une solution. La loi Gayssot n’a pas fait diminuer l’antisémitisme si l’on en juge par la résurgence des actes antisémites depuis quelques mois. Il est impossible d’arrêter la rumeur une fois qu’elle est imprimée : internet désormais permettra toujours de trouver un texte la justifiant. Surtout, si l’on commence à interdire des publications, à détruire (brûler !) les ouvrages qui répandent des doctrines fausses ou dangereuses, où s’arrêtera-t-on ? Interdira-t-on les alertes sur le Mediator et le nouveau Levothyrox, les articles qui s’interrogent sur le rôle de l’armée française au Rwanda et au Mali, ceux qui prétendent qu’Israël a le droit d’occuper toute la Cisjordanie palestinienne car Dieu a donné aux Juifs, il y   a bien longtemps, la Judée (d’où son nom) et la Samarie ?

L’interdiction ne résout rien. Il n’y a pas d’autre choix que de se battre tous les jours pour dénoncer les mensonges, les fausses idées qui paraissent vraies, les paralogismes et montrer les conséquences des cris de haine qui sont des cris de mort. Le racisme, dont l’antisémitisme est la variante aujourd’hui la plus connue, n’est pas une opinion. C’est une doctrine d’assassins. Combien de noirs, réduits en esclavage ou lynchés, en ont été victimes ? Combien de juifs en ont-ils été victimes au fil des siècles ?

Le combat contre les ténèbres n’aura jamais de fin. Mais il porte ses fruits. Sans les humanistes de la Renaissance, dont certains furent brûlés pour cela, sans les philosophes des Lumières obligés de se cacher, sans les Républicains du XIXe siècle, nous ne pourrions imprimer ces lignes. À nous de continuer  ce combat. C’est pour cela que l’Union Rationaliste fut fondée.

Gérard Fussman

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